Chapitre 2 (1/2)
Erdrel. Ses forêts giboyeuses, ses nombreuses rivières, ses hautes montagnes aux sommets recouverts de neige, mais surtout ses si abondantes mines d’or. Convoitées par les autres royaumes depuis des siècles, le pays n’a eu de cesse de résister à tout envahisseur. Grâce à ses richesses, le roi Alron Erthera, souverain en l’an 1306, engagea plusieurs compagnies de mercenaires en plus de son armée régulière. Grâce à cette gigantesque force de frappe, les autres seigneurs environnant n’osèrent plus s’aventurer sur ce territoire qui resta alors sans conflits. Des alliances furent conclues, des mariages organisés pour affermir cette paix. Et elle dura longtemps.
Un jour de l’an 1387 cependant, la paye ne parvint pas aux différentes compagnies. Le roi Tolsten, descendant d’Alron, avait décidé de ne plus les rétribuer. Les explications de cet arrêt ne vinrent jamais. Fidèle à leur réputation, les mercenaires se retirèrent en quête d’autres employeurs. Quelques semaines plus tard, lorsque les impôts tombèrent, les serfs eurent la désagréable surprise de les voir doublés. Plusieurs révoltes éclatèrent, mais elles furent vite matées. Le climat du pays commença à se dégrader. Les royaumes alentours y virent enfin une occasion de mettre la main sur l’or. Le plus puissant roi, Alvyor Vyrmel, de Nenntela, dit le Seigneur au Griffon, frappa en premier. Il avait récupéré les mercenaires et pouvait enfin les mettre à profit. La guerre éclata.
Tout en songeant à l’histoire d’Erdrel, la jeune femme analysait la carte. Son attention se porta sur Ragorna, forteresse construite sur le flanc de la montagne Melrayel. Capitale d’Erdrel, elle était une des dernières villes à ne pas encore être tombées. Si Alvyor se l’appropriait, la victoire était sienne. Cela ne se ferait néanmoins pas sans mal. La prise du jour, Valtem, avait causé de nombreuses pertes dans les rangs du Griffon, tant humaines que matérielles, et Ragorna était réputée imprenable. Maintes armées, souvent plus conséquentes que celle dans laquelle la mercenaire se battait, s’étaient cassées les dents sur les murailles. Seul un long siège pourrait en venir à bout. L’intérieur du bastion toutefois communiquait avec le ventre de la montagne, et qui sait les réserves que les Erdreliens avaient pu amasser et stocker là. De plus, si ces galeries possédaient une autre communication avec l’extérieur, le ravitaillement serait possible. Dans ce cas, un blocus devant le château ne serait pas suffisant. En outre, l’armée adverse pourrait tenter de les prendre à revers, vu qu’il serait impossible de savoir si les soldats stationnaient toujours à l’intérieur des murailles. D’autres troupes pouvaient aussi intervenir. Alvyor n’était pas le seul à convoiter les mines. Si jamais il montrait le moindre signe de faiblesse ou de défaite, les autres concurrents qui avaient refusés l’alliance avec lui se précipiteraient pour prendre sa place et récupérer les richesses de la ville.
Elle soupira. Le bruissement de l’entrée de la tente la fit se retourner. Erik venait d’entrer.
- Tu ne te joins pas à la fête ? C’est pourtant une grande victoire aujourd’hui.
- Je n’ai pas la tête à ça. Tu sais que je n’aime me réjouir de la mort de personne, ami ou ennemi. Et il y a eu tellement de vies perdues aujourd’hui.
- Tu répugnes à tuer, même si tu ne rechignes pas à le faire, je sais. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas fêter la vie que nous avons gardé et de ne pas honorer celles que nos compagnons ont abandonnées pour notre victoire, répliqua-il. À moins qu’il n’y ait autre chose ?
Devant le silence de son épouse, l’homme approcha. Il lui pris son bras non blessé et la tira vers lui. Glissant la main dans les boucles brunes, il l’embrassa. Elle y répondit sans grande conviction, avant de le rompre et d’aller s’asseoir. La tête lui tournait. Les rires, les chansons et le bruit des chopes s’entrechoquant filtraient à travers la toile. Son mari la regardait, désemparé.
- J’ai raison n’est-ce pas ? C’est lui ? Il a encore tenté de prendre le contrôle ?
Ses longs cheveux bruns tombèrent devant ses yeux tandis qu’elle acquiesçait. Cet être, cette entité, cette chose qui dormait en elle, il était à présent bien réveillé. L’excitation de la bataille l’avait tiré de son sommeil, et le fait d’être passée si près de la mort n’avait rien arrangé. Chaque fois que la mort l’entourait, il accourait, et elle le sentait toujours plus fort. Cinq années s’étaient écoulées depuis qu’elle avait rencontré Erik et qu’il lui avait permis d’enfermer la folie au fond de son âme. La guerre était là, elle l’avait réveillé. Une larme coula sur sa joue. Seul Erik l’avait jamais vue pleurer.
- J’ai peur, souffla-t-elle, j’ai l’impression que je ne vais pas savoir le retenir bien longtemps. Il m’a laissé tranquille toutes ses années, mais cette paix est révolue. Je le sens si proche de moi. J’aurai dû rester en retrait et ne pas participer à cette bataille, ça a fini de le ramené… Ce n’est plus qu’une question de temps à présent avant qu’il ne me dévore. Et quand ça arrivera…
- Je sais, tu me l’as déjà demandé, je serais là pour l’empêcher de nuire…
Elle se leva avec rudesse, repoussant la chaise en arrière, et lui agrippa l’épaule.
- Non Erik, tu ne doit pas juste le stopper, tu devras le tuer ! s’écria-t-elle. Je ne serais plus là si ça arrive, alors sauve ta vie et tue-moi…
Ses grands yeux bruns l’imploraient, emplis de larmes. Elle savait les horreurs dont l’être était capable, elle n’en rêvait que trop souvent. Tous ces rêves de sang. Le jeune homme l’a pris dans ses bras. Il souffrait de la voir dans cet état, et encore plus de ne pas pouvoir mieux lui venir en aide. Il l’a conduisit jusqu’à sa couche. Elle s’agrippait à lui, le sommeil lui faisait peur, il affaiblissait ses défenses face à lui. Mais après la journée qu’ils venaient de vivre, la bataille, toutes ses inquiétudes sur l’avenir, tant celui de la guerre que du sien, elle s’endormit la tête à peine posée sur l’oreiller.
Erik la regarda dormir quelques minutes. Il l’avait aimée dès les premiers instants, cette femme forte, indépendante et fière, mais si fragile lorsqu’elle baissait ses barrières. Il caressa sa joue, essuya ses larmes et embrassa son front. Il enleva le bandage à son bras gauche. La blessure, bien que profonde au début, était déjà presque cicatrisée. Il ne comprenait décidément pas comment elle pouvait guérir si vite. Il y avait tant de mystères qui entouraient son existence…
Il se détourna et repartit dehors. Il serait bien resté avec elle, mais ces hommes l’attendaient et il ne pouvait ne pas les rejoindre. Les mercenaires ne suivent que celui qui les paye, les garde le plus longtemps en vie et les respecte. Ne pas festoyer avec ses soldats après un si dur combat serait un affront.
- Drya…
La voix était suave, mielleuse.
- Drya, j’arrive….
La jeune femme se retourna dans son sommeil, les traits tendus. Des gouttes de sueurs perlaient sur son visage.
- Drya, reste tranquille voyons… je viens juste t’anéantir !
Elle se redressa en sursaut, le souffle court, et grimaça. Elle porta la main à sa poitrine. Une douleur lui comprimait le cœur. Elle s’atténua peu à peu et sa respiration se ralentit. Il avait encore essayé, mais elle l’avait repoussé. Cependant, la panique continuait à s’insinuer en elle. Cela faisait maintenant près d’une neuvaine que l’être s’était réveillé, lors de la bataille de Valtem. Il aurait dû s’être rendormi depuis longtemps. Or, elle le sentait toujours là, à la provoquer, à l’empêcher de se reposer, la harcelant dès qu’elle baissait un tant soit peu sa garde. Jamais elle ne s’était sentie si fatiguée, si nerveuse et proche de l’implosion. Seule la présence d’Erik arrivait encore à la calmer. Sans lui, cela ferait longtemps qu’elle aurait abandonné tout espoir de vivre.
Le soleil brillait dehors et s’infiltrait par les interstices de la toile. Une odeur de viande grillée flottait autour d’elle. Elle sourit en s’habillant, elle avait beau ne pas aller pour le mieux, jamais elle ne perdait l’appétit.
Elle cligna des yeux à la sortie de sa tente, éblouie après la semi-pénombre par ce radieux soleil. Dehors, les hommes s’affairaient à préparer le blocus. L’armée s’était installée aux abords de Ragorna la veille. Les coups de pioche et de pelle retentissaient dans les tranchées, accompagnant le vacarme des marteaux de forgerons et de maréchaux-ferrants. Les ordres fusaient de partout, qui pour presser au travail ou positionner les armes de siège. Les dernières tentes finissaient d’être montées. Tous suaient à grosse goutte dans la moiteur de l’air. Sa lourdeur rendait la respiration difficile et toute activité pénible. Drya observa le ciel d’un bleu éclatant sans nuages. Si la pluie tardait à venir rafraichir la terre, le siège allait devenir encore plus ardu qu’il n’était déjà censé l’être.
La jeune mercenaire se dirigea vers les cuisines de campagne. Le convoi de ravitaillement était arrivé trois jours plus tôt, avec près de quinze jours de retard. Les pillards, de plus en plus nombreux dans la région, profitaient de l’insécurité qui y régnait dans ce climat de guerre. Plusieurs chariots avaient été dérobés et de nombreux hommes avaient péri lors des embuscades. Le rationnement était de mise jusqu’à nouvel ordre. Le soleil était au zénith, et beaucoup de soldats déjà présents pour dîner. La nervosité ambiante était palpable, l’air semblait comme électrisé.
Sur le chemin jusqu’aux fourneaux, Drya salua ceux qu’elle connaissait d’un signe de la main, parfois d’une tape sur l’épaule. Les inconnus la regardaient avec animosité. Une femme, même habillée comme un homme, n’avait rien à faire à la guerre, hormis avec les cuisinières ou les prostituées. Or là, elle se baladait entre eux, insolente et brave. Ils ne pouvaient concevoir de la savoir se battre à leurs côtés. La plupart du temps, ils la médisaient sans jamais l’avoir vue combattre, mais changeaient vite d’avis après coup. Ceux qui restaient enfermés dans le carcan de la virilité et de la fierté mal placée n’attendaient que l’occasion de la dégager ou de la remettre à sa place, là où elle servirait les hommes, aux cuisines ou dans un lit. Mais elle était la compagne d’Erik, chef de la compagnie des Loups Ardents, et surnommée la Louve par les mercenaires qui la respectaient. L’imprudent osant lever la main sur elle n’aurait pas le temps de regretter son geste.
Une jeune fille tandis un bol de ragout fumant à la guerrière et lui souhaita bon appétit. Prise de vitesse, elle vit disparaître le plat dans les mains d’un soldat. Ce dernier s’éloigna de quelques pas avant de commencer à manger, comme si de rien n’était. Les quelques hommes de son amant présents sur place se levèrent d’un coup, la main sur le pommeau de leurs armes, prêt à en découdre avec l’importun. Elle les fit rasseoir d’un geste. C’était à elle seule de régler le conflit, elle ne pouvait se permettre de se laisser marcher sur les pieds et de se débiner ensuite.
Elle regarda le baroudeur et soupira, déjà fatiguée à l’idée de ce qui allait suivre. Ce genre d’offense, elle y avait droit souvent malgré son statut, et cela l’amusait parfois de voir comme certains hommes pouvaient être étroit d’esprit et vite s’en mordre les doigts par après. Mais là, après une neuvaine sans véritable sommeil et dans la moiteur du jour, elle n’était vraiment pas d’humeur. Elle vint se planter devant lui.
- Quoi ? grogna le soudard, piochant sans vergogne dans la gamelle, adossé à un des piquets qui soutenaient le toit de l’office de campagne.
- Cette nourriture m’était destinée, expliqua-t-elle d’un ton froid.
- Ah oui ? Et alors ?
Il ne daignait même pas la regarder et continuait de manger.
- Je vois. Tu risques de le regretter si tu ne me la rends pas.
- C’est une menace ? ricana-t-il en posant enfin les yeux sur elle.
Il l’a dominait de toute sa taille et de toute sa musculature, mais elle soutint le regard moqueur sans sourciller, maudissant sa propre hauteur qui l’obligeait à redresser sa tête. Même si elle restait grande pour une femme, les hommes la dépassaient toujours. Les spectateurs observaient en silence, impatient de connaître la suite. Un petit cercle s’était formé et certains pariaient même déjà sur la conclusion de l’affrontement.
D’un geste fluide et sans se départir de son petit rictus, l’homme renversa son bol sur la tête de la mercenaire. Son sang ne fit qu’un tour. Il n’avait pas finit qu’elle lui décrocha un direct du droit en pleine face. Elle sentit le cartilage et les os craquer sous son poing. Il tenta de répliquer, mais, plus rapide elle s’enroulait déjà autour de lui avec souplesse. Ils basculèrent sous leur poids combinés. Ils se retrouvèrent alors à terre, la tête du soldat coincée dans l’étau des jambes de Drya. Elle serrait, et serrait, et prenait du plaisir à voir l’impudent tenter de se dégager. L’adrénaline courait dans ses veines comme un feu liquide. Elle commença à rire, un rire de dément, tandis que les gestes de sa proie devenaient de plus en plus faibles et spasmodiques. L’assistance contemplait la scène, béate. La femme, d’ordinaire posée et qu’ils pensaient tous faible, était en train d’étrangler un mercenaire aguerri en riant aux éclats. Stupéfaits, aucun ne réagit. Le soudard ne bougeait presque plus. Un jeune Loup Ardent, Gard, reprit alors ses esprits et se jeta sur la Louve.
- Arrête Drya ! Ça suffit, tu vas le tuer !
Mais la femme ne réagit pas. Prise d’euphorie, elle continuait de serrer. Le garçon, désemparé, la gifla. Secouée, elle s’arrêta sur le coup et relâcha la pression. Les autres vinrent en aide au blessé qui, par miracle, respirait toujours. Ils prirent soin toutefois de garder une certaine distance avec la combattante, encore assise par terre, hébétée. Gard lui parlait avec douceur, comme à une enfant. Il l’avait connue à ses débuts et ne voulait pas qu’elle retombe dans cet état.
Drya était perdue. Le monde était flou autour d’elle. Les sons lui parvenaient étouffé, comme à travers une épaisse étoffe. Quelqu’un lui parlait, mais elle ne le reconnaissait pas. Un visage jeune. Des cheveux châtain clair. Gard. Elle revint peu à peu à elle, consciente des événements. Elle se releva alors, prise de panique, et s’enfuit au pas de course.
La rivière qui coulait non loin du bivouac était presque à sec, tant le soleil tapait dur. Les moustiques et les taons lui tournaient autour, lui volant à chaque occasion quelques gouttes de sang. L’odeur de viande de ses cheveux enfin partie, elle marcha un tiers de cadran, histoire de se détendre. Les images de la scène, le sentiment de plaisir qu’elle avait ressenti sur le moment, et la colère de ne pas être parvenue à ses fins tournait en elle. Malgré son talent au combat, elle abhorrait les confrontations et plus que tout la mise à mort. Ses émotions ne venaient pas d’elle, elle en était certaine. C’était lui. Pendant un cours instant, sans qu’elle ne s’en rende compte, il avait pris le contrôle. Elle les percevait au fond d’elle, lui et sa soif de violence…
Elle finit par s’installer sur un gros rocher. De là où elle était, elle avait une vue en plongée sur le campement. Les hommes s’agitaient toujours, mais moins qu’auparavant. Toutes les armes étaient positionnées, les tranchées presque finies, l’attente interminable et l’ennui du siège allait maintenant commencer.
Derrière se dressait Ragorna, la forteresse de pierre aux mines d’or, une des villes les plus riches de tout le continent. Ses hautes murailles narguaient même les plus grandes échelles de siège et masquaient l’intérieur de la cité. Seules les tours du palais royal émergeaient de leur sommet, comme autant de piques. Elle avait beau se creuser la tête, elle ne voyait aucune faiblesse à la place forte. Et de ce qu’Erik lui racontait des conseils de guerre, ni les généraux de l’armée régulière d’Alvyor ni les meneurs des différentes compagnies de mercenaires ne voyaient l’ombre d’une solution. Tenir sur la longueur, gagner par l’épuisement moral et physique des Erdreliens et attendre leur reddition semblaient être le seul moyen de pénétrer dans la ville.
Elle jeta son regard plus loin, sur la montagne Melrayel, la plus grande de l’Axis, chaîne montagneuse qui séparait les terres de l’océan Heltique, à l’est. Elle écrasait les environs de son imposante taille. Avec son sommet recouvert de neige éternelle, elle paraissait indifférente aux conflits des mortels qui se déroulaient pourtant à ses pieds. Drya se souvenait avoir entendu la légende de sa naissance.
On disait qu’une paysanne, Melrayel, était tombée follement amoureuse d’un jeune seigneur. Pour son plus grand malheur, lui ne connaissait même pas son existence, et il était en outre promis à une autre. Le jour du mariage, la jeune fille décida contre toute logique de tenter sa chance. Plus silencieuse qu’une souris, elle parvint à s’infiltrer dans le château, aidée en cela par l’ivresse des gardiens, toute la maisonnée étant à la fête, et à atteindre la chambre du prince. Elle savait que, après la célébration, la mariée attendait son nouvel époux, nue, à l’exception d’un voile qui lui masquait le visage. Le tissu se portait en l’honneur d’Orphéria, déesse de l’amour et de la fertilité, qui, brulée par le fourbe Belall, cachait ainsi ses propres traits. Lorsque Melrayel entra, elle trouva donc la promise étendue languissante sur le lit. La pauvre n’eu pas le loisir de crier. La lame s’enfonça dans son cœur sans bruit. La meurtrière prit le voile et fit passer non sans difficulté la morte par la fenêtre.
Le temps de nettoyer le sang, se déshabiller et mettre le voile, le jeune marié arrivait. Dans la pénombre et sans jamais avoir aperçu le corps de sa promise, il ne remarqua pas la substitution, d’autant plus que la paysanne fit bien attention de ne pas prononcer la moindre parole. Ensemble, ils passèrent des instants magiques. Mais leur union terminée, le seigneur enleva le voile et recula, horrifié de ne point voir la bonne femme. Paniquée, l’assassin avoua tout et tenta sans résultat de le convaincre de son amour pour lui. Elle voulu s’agripper à lui, mais dans la lutte, l’homme trébucha et cogna l’appui de fenêtre. Dans son élan, il bascula. La paysanne hurla. Sur le sol, dans les taillis, la peau des mariés assassinés brillait sous le clair de lune, nacrée.
Folle de douleur et de chagrin, elle sortit de la chambre et s’enfuit à travers le château. Personne ne la retint, qui trop saoul pour faire quoi que ce soit, qui trop ébahit de voir courir nue et en pleurs une fille au beau milieu de la nuit. Hors du bastion, elle continua à détaler jusqu’à se qu’elle tomba, exténuée. Elle se tourna alors vers le ciel, les bras tendu en supplication.
- Ô Dieux cruels ! Vous qui m’avez montré l’amour sans que je ne puisse y toucher ! Vous qui m’avez enlevé celui de mes songes, prenez ma vie, que je puisse le rejoindre dans l’au-delà !
Mais le seigneur, même mort, avait été marié devant eux avec une autre. Et elle avait brisé cette union. Alors, pour la punir, ils la changèrent en montagne, si haute que son sommet dépassait les nuages. Ainsi, elle avait vue sur l’autre monde où elle pouvait observer, silencieuse et seule, les deux amants enfin réuni pour l’éternité.
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