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 Le chien se carapate sous l’étagère, peur prémonitoire ou peur de l’habitude ? Moi je pense, mais Bob devrait être gentil vu sa gueule, il est où le mec parfait psychopathe ? Laeticia regarde le mur de droite, non il n’y a pas de fenêtre, c’est quatre murs sans sortie de secours. Léna est collée à l’étagère, les deux mains encore dans les câbles, entre Laeticia, elle et Bob, il y a Liv et moi, on est en première ligne, les sacrifices que la guerre exige. Bob avance d’un pas, Liv ne bouge pas, alors moi non plus ou peut-être que je ne bouge pas parce que je suis pétrifiée, mon sang a été remplacé par du ciment.

—Vous êtes bien là, toutes les quatre, non ?

Comment ça Bob ? Oui, on passe un super moment, tout est exactement comment j’avais imaginé notre soirée entre filles, manque plus qu’une pluie de paillettes et un chapeau de fête sur ton minuscule horrible chien.

— Pas vraiment, j’ai envie d’aller aux toilettes, tu peux ouvrir la porte ?

Bien tenté, Liv.

— Il n’y a plus que vous et moi ici, vous savez ce n’est pas seulement une salle de concert, j’habite ici aussi. Et là vous êtes dans une de mes salles spéciales. Vous savez pourquoi c’est une salle spéciale ?

Bob désigne son chien.

— Lui, il sait pourquoi c’est une salle spéciale. Si vous ne lui aviez pas marché dessus, peut-être qu’il vous l’aurait dit.

Un rire.

— Il y a trois salles dans cet endroit qui ne sont que des cubes, quatre murs, sans fenêtres, avec une seule porte. Et surtout : comme des studios d’enregistrement, c’est particulièrement bien insonorisé. Je suis très investi dans ce que je fais.

— Ok, réponds Liv et elle s’avance d’un pas.

Bob et elle ne sont plus qu’à cinq centimètres l’un de l’autre.

— J’en ai rien à foutre de ton charabia de vieux mec. Ouvre la porte.

Bob rigole. Un rire qui solidifie le ciment dans mes veines, sa bouche tremble comme une attraction aquatique, sa glotte monte et descend, il devient rouge, les yeux fermés.

— Ouvre la porte, répète Léna depuis le fond de la pièce.

Les yeux de Bob s’ouvrent brusquement, comme ceux de Gollum quand il a mis la main sur son précieux, des yeux immenses et globuleux, blancs de rage au reflet sordide. Il empoigne Liv qui fait sa taille par le cou et sort un tournevis de sa poche dans un geste qui ne dure pas mais qui reste pour toujours il lui enfonce le tournevis dans le ventre non pas une mais deux fois le sang jaillit Laeticia hurle moi je suis toujours pétrifiée tout est flou sauf la main aux ongles sales de Bob qui plante un putain de tournevis dans le ventre de Liv les fleurs de sa robe se noient dans le sang je ne sais pas si c’est un bon signe si il y en a beaucoup ou pas beaucoup putain il se tourne vers moi Liv tombe par terre elle n’a pas émis un son pitié qu’elle ne soit pas morte dans tout les cas on va toutes crever je n’ai jamais autant détesté avoir raison Léna me fera la morale dans une autre vie Bob se tourne vers moi et me dit de me déshabiller si je ne veux pas mourir moi aussi il dit à Léna et à Laeticia de ne pas bouger sinon il me tue je crois que j’ai arrêté de respirer il me menace avec son tournevis j’enlève ma veste mon premier t-shirt il s’impatiente je ne pleure pas non pas parce que je suis courageuse mais parce que à ce moment-là je n’existe plus je ne suis même plus dans la pièce il ne reste que mon corps qui enlève le premier t-shirt puis j’enlève mes pouces du t-shirt gris je le sors de mon jean -

Un cri.

On me bouscule.

Un autre cri. Différent.

Léna a sauté sur Bob, un câble jack dans les mains. C’est Indiana Jones, c’est un lasso, comment elle arrive à lui mettre autour de son cou, il est surpris, nous aussi, elle serre le jack autour de son cou mais il se débat ce con il gesticule avec son tournevis qui griffe le visage de Léna, je me mets à trembler de manière incontrôlable ce n’est pas le moment de me découvrir épileptique putain putain Liv est par terre Laeticia hurle de rage elle renverse l’armoire sur Bob il tombe par terre Léna évite ce qui lui tombe dessus mais pas moi je me retrouve à moitié assommée.

Le choc arrête mes tremblements, je reviens dans mon corps. Juste à temps pour avoir les mains de Bob autour de mon cou, je lui donne des coups sur le crâne mais il n’a pas assez de cheveux auxquels m’agripper. Alors, j’enfonce mes doigts dans ces énormes yeux il hurle je hurle où sont les filles pourquoi personne ne vient m’aider j’arrive pas à transpercer ses yeux il m’étrangle de plus en plus fort son chien hurle à la mort oui il sait que quelqu’un va mourir peut-être qu’on va tous mourir mais si je meurs j’emmène ce connard avec moi Bob ne va nulle part ailleurs que dans un lieu avec des merdes encore plus grosses que lui où il se fera harceler par des serial killers sadiques et voyeurs frustrés d’être morts lui il n’est qu’un agresseur de seconde zone il n’avait qu’à être américain si il voulait être une star du crime.

Un choc dans mes os mais il vient du corps de Bob. Laeticia a trouvé un cadavre de guitare et roue Bob de coups avec. Léna l’attrape par la ceinture le flanque par terre vers le fond de la pièce et me relève. Il a l’air mort, du sang coule de son crâne. Je m’approche de Liv, cherche son cœur, il bat, les larmes viennent enfin, elle n’est pas morte, son cœur bat, on va s’en sortir, on va se casser et vite. Léna prend deux clés dans la poche de Bob, une pour ouvrir la porte et la deuxième ?

— Il a une jaguar quelque part, souffle Léna.

Elle ouvre la porte, Laeticia sort de la pièce mais ce n’est pas fini les pires types sont increvables. Bob est debout à nouveau il plaque Léna contre la porte lui lèche l’oreille il a un bout de verre qu’il plante dans le dos de Léna et elle hurle Laeticia de l’autre côté de la porte tambourine je me retourne pour prendre la guitare et terminer ce connard mais un bruit sourd suivi d’un silence m’empêche de finir mon mouvement.

Liv est debout, le tournevis dans la main. Bob est par terre, du sang s’échappe de sa poitrine, cette fois il y en a une telle quantité que ça ne peut pas être bon signe. Il glougloute, il veut dire un truc mais le pied de Léna dans sa gueule, une fois deux fois trois fois puis mon pied dans sa gueule quatre fois cinq fois ça y est il se tait il ne parlera pas il ne bougera plus jamais mais pour être sûre Liv plante le tournevis dans son cœur. Il n’y a pas de dernier sursaut quand tu en as trop volé toi-même. Il n’y a que la laideur d’un visage qui ne peut pas être apaisé.

— Les filles ?

C’est la voix de Laeticia, tremblante, de l’autre côté de la porte. On pousse Bob contre le mur avec nos pieds pour rien au monde on le touche, et on ouvre la porte. Laeticia nous serre dans les bras, à toutes mais surtout à Liv, comment elle peut encore tenir debout c’est un miracle on pleure toutes on mélange notre morve.

— Il faut qu’on se casse d’ici, murmure Léna.

On s’apprête à fermer la porte mais un couinement retient notre geste. Le vieux chien s’avance, il est encore parfaitement blanc, une traînée de pisse le suit.

— On ne peut pas le laisser, dit Liv.

Aucune de nous n’objecte alors Liv prend le chien dans ses bras. Léna ferme la porte à clé et glisse la clé sous la porte.

L’air frais nous pique les yeux, Laeticia me passe mon t-shirt violet gadoue je pourrais pleurer tellement je suis contente qu’il ne soit pas resté enfermé avec le cadavre de Bob. On fait le tour de la grange et des étables, tout derrière, sous une bâche, se trouve une jaguar des années 80, bleue cobalt, sans une seule égratignure.

Liv se glisse à l’arrière, le chien pressé contre son ventre, contre sa blessure, elle ne veut pas aller à l’hôpital, elle nous jure que ce n’est pas si grave, qu’on bricolera un truc quand on arrivera chez elle. Laeticia est à côté d’elle. C’est moi qui conduit, Léna est sur le siège du mort.

Les phares éclairent une dernière fois cette soirée frénétique d’angoisse et d’adrénaline puis la jaguar défonce le grillage et dans un virage très peu contrôlé prend la route à gauche, complètement plongée dans le noir.

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