Chapitre 4 (deuxième partie)
Dunvegan, septembre 1746
Ils reviendront à Inverie quand tout sera calme et nous aussi… Chaque jour ou presque, je me répète ces mots que Jennie avait prononcés, le jour de mon arrivée ici, après ma longue fuite depuis Fort William. Mes pensées, ce soir, sont multiples et confuses. Mon coeur pleure pour Kyrian, mais mon esprit est aussi tourné vers tous les nôtres. Que deviennent nos villageois ? Comment s'en sort John Delaery ? Doit-il faire face aux Anglais ? Aux hommes de Campbell ? Personne ne collectera les fermages du clan cet automne, il n'y aura aucun rassemblement. Comment assurerons-nous l'avenir ? En l'absence de Kyrian, c'est sur mes épaules que repose le clan. En étant à Dunvegan, j'y ai certes trouvé un refuge, mais je suis loin de nos terres, aussi. Et je ne sais comment assumer la charge que Kyrian m'a laissée.
Mummy marqua une pause dans sa lecture. Maureen tapa les derniers mots et elles se regardèrent.
- Nous avions convenu de traduire le récit dans l'ordre chronologique, mais, parfois, j'aimerais vraiment bien savoir si elle a retrouvé Kyrian ou pas, dit Mummy.
- Je pense qu'elle l'a retrouvé, dit Maureen avec assurance.
- Qu'est-ce qui te le fait penser ?
- Le portrait. A moins que la personne qui l'a réalisé ne l'ait fait avec ses propres souvenirs, mais Kyrian y est peint comme un homme mûr, pas comme un jeune homme. Or les portraits ont été réalisés presque quinze ans après Culloden. Pour moi, c'est la preuve qu'il en est revenu vivant. Vivant et libre.
- J'espère qu'Henry pourra nous faire parvenir une copie de l'acte de reddition, dit Mummy. On aura alors la preuve que Kyrian avait bien survécu.
- Oui, très certainement, dit Maureen. En attendant, Héloïse est bien triste et préoccupée.
- Cela montre aussi combien elle s'était senti investie par la charge du clan, comment elle l'avait assumée.
- C'est juste. Elle vivait vraiment pour son clan. Alors qu'elle n'était pas écossaise, à l'origine.
- Mais elle l'est devenue par amour, sourit Mummy.
Et le regard qu'elles échangèrent voulait dire bien plus que ces simples mots. Maureen relut les quelques lignes que Mummy venait de lui traduire. Le gathering était terminé, les enfants avaient repris le chemin de l'école, Ingrid et Henry étaient rentrés à Glasgow avec deux missions : Ingrid avait emporté les portraits et le paysage d'Inverie, pour les confier à un artisan qui faisait de la restauration d'œuvres et qui faisait du très bon travail. Il s'était vu confier des œuvres d'un grand intérêt historique et était très réputé. Il était installé à Glasgow. Mais ils avaient aussi l'intention de se rendre très vite à Edimbourg et d'entamer des recherches, dans deux directions. La première serait de collecter le maximum d'informations sur le clan MacLeod d'Inverie, voire de rencontrer le professeur MacGuiness, la deuxième serait d'entamer l'arbre généalogique à partir des données familiales connues de Mummy et de Kathleen, la jeune sœur de Steven qui était encore en vie et à qui Ingrid comptait bien faire part de leurs étonnantes découvertes. La mémoire de Kathleen était aussi très précise et ses souvenirs de ses propres parents et grands-parents leur seraient précieux. Mais parmi les documents qu'ils espéraient consulter se trouvait en premier lieu l'acte de reddition du clan, dont Stanley MacKenzie avait parlé à Maureen.
Le calme étant revenu sur la maison, Maureen et Mummy avaient repris leur lecture et leur travail de traduction. Les belles et longues journées du printemps éclatant les aidaient aussi, car, bien souvent, elles s'y replongeaient un peu le soir une fois les enfants couchés.
Ce matin-là, alors que Mummy préparait une blanquette, Maureen avait étendu une lessive au-dehors, voulant profiter d'un franc soleil et d'un vent bien soutenu pour faire sécher des draps, mais aussi les tartans trouvés dans la malle d'Héloïse. Elle avait aussi lavé les costumes que les enfants avaient portés durant le rassemblement. Ils avaient tellement aimé cela qu'il avait été difficile de leur faire admettre qu'il leur fallait désormais se vêtir comme d'habitude pour retourner à l'école.
Maureen acheva sa relecture et fit remarquer :
- Elle mentionne Fort William, à nouveau. Aurait-elle été amenée à s'y rendre, au printemps 46 ? Pouvait-elle y avoir été convoquée ?
- Peut-être, émit Mummy.
- Demain, pendant que les enfants feront leurs activités sportives, j'en profiterai pour passer rapidement au service des archives municipales.
- Tu devras récupérer Ewan en premier.
- Oui, je l'emmènerai avec moi. Il sera sage et peut-être même intéressé pour s'y plonger avec moi.
- Il y a des chances, sourit Mummy. Allons, continuons ! Nous trouverons peut-être quelques indices qui te seront précieux dans la suite de son récit.
Mais dans les pages suivantes, elles ne trouvèrent rien qui puisse aiguiller Maureen dans ses recherches à Fort William. En revanche, Héloïse livrait de nombreuses informations sur la vie quotidienne à Dunvegan, comment les choses s'organisaient, ce à quoi elle était occupée. Elle parlait aussi des rôles de Manfred, de Craig. Quand elles lurent ce nom pour la première fois, Maureen et Mummy eurent alors confirmation qu'Héloïse était bel et bien liée au laird du clan de Skye. Ces indications se recoupaient avec celles qu'avait transmises Stanley MacKenzie. Et alors qu'elles abordaient les pages écrites à l'automne 1746, elles avaient désormais une idée assez précise de la famille dans laquelle évoluait Héloïse. Elles avaient pu déterminer qui étaient ses différents membres , depuis les parents, Craig et Elisabeth, jusqu'aux enfants de Manfred. Le lien entre Kyrian et eux était cependant encore flou, et elles n'avaient pu préciser quelle hypothèse était la bonne : était-il un neveu ou le fils d'un cousin de Craig MacLeod ? Quel était son rang exact dans la famille ? Il était proche, c'était indéniable, mais il leur manquait encore un élément à ce sujet.
Elles avaient bien avancé leur traduction ce matin-là, trouvant plutôt de quoi compléter les liens entre les différents membres de la famille, parvenant aussi à savoir avec exactitude qui étaient les enfants de Kyrian et Héloïse parmi la multitude de noms qu'elle citait. En revanche, elles n'étaient pas encore parvenues à replacer tous les enfants entre ceux de Manfred, ceux de Jennie et Kyle, ceux de Clarisse et Lorn. Si le premier était bien le chef du clan, que Jennie et Kyle étaient la belle-sœur et le beau-frère d'Héloïse, il leur avait fallu quelques autres pages plus précises pour comprendre que Clarisse et son mari étaient des serviteurs, mais dont Héloïse se sentait suffisamment proche pour les mentionner.
Quand Mickaël rentra pour déjeuner ce midi-là, il eut droit à deux belles surprises. La première était toute visuelle, avec les tartans claquant au vent, solidement attachés sur le fil à linge, entre un grand drap et des petits costumes. "Wahou !", se dit-il en descendant de la voiture, "il n'y a pas à dire, mais ça a de la gueule ! Ils sont vraiment beaux et j'aime comment les couleurs délimitent les carreaux plus sombres. Ils sont aussi beaucoup plus lumineux que sur le dessin, mais une fois qu'il aura été restauré, nous en aurons alors peut-être une idée plus précise et nous pourrons vérifier si mon hypothèse était juste."
Il s'attarda un moment, à regarder les pans de tissus s'agiter dans le vent, parfois gonflés par une risée plus marquée. D'où il se trouvait, il pouvait voir en arrière-plan la longue étendue du Loch Linnhe et les monts d'Ardgour. Il resta songeur, cherchant parmi les sommets arrondis celui qui pouvait être le plus proche d'Inverie, celui qui dominait le Loch Nevis. Le dominait et le protégeait.
Puis il entra dans la maison, trouva Mummy et Maureen dans la cuisine. Sa grand-mère était déjà assise à table, le couvert était mis et Maureen surveillait la cuisson. Là l'attendait la deuxième surprise.
- Hum... Ca sent délicieusement bon ! Je devrais vous embaucher, ça m'attirerait de la clientèle !
- Je ne crois pas que tu aies besoin de nous pour cela, répondit Mummy.
- Je ne sais pas si je pourrais supporter Sam à longueur de journée, ajouta Maureen avec un sourire espiègle.
- Ca... Bon, je vous ai ramené quelques légumes et du poisson, tout frais pêché dans la nuit. Vous vous régalerez ce soir, ajouta-t-il.
- Nous avons bien de la chance que les petitous ne rechignent pas sur le poisson, dit Mummy. Certains enfants sont si difficiles !
- Il suffit de les habituer tôt, à goûter et manger de tout. Après, ils exercent d'eux-mêmes leur curiosité…
Mickaël avait rangé les provisions au frais, puis déposé un baiser sur les lèvres de Maureen avant de s'emparer de la grosse marmite en fonte dans laquelle mijotait la blanquette. Puis ils prirent place à table et il fit le service.
- Nous avons bien avancé dans la traduction ce matin, commença Mummy. Nous sommes rendus au début de l'automne 1746.
- Des nouvelles de Kyrian ? demanda Mickaël avec intérêt.
- Toujours pas, hélas, dit Maureen. Par moments, on sent Héloïse bien désespérée.
- Mais elle fait preuve aussi d'un grand courage et trouve toujours quelque chose à quoi se raccrocher, fit Mummy. Elle nous a aussi décrit comment ils vivaient à Dunvegan, et nous sommes parvenues à y voir plus clair dans toute la marmaille.
- A l'époque, il n'était pas rare d'avoir beaucoup d'enfants, fit remarquer Mickaël.
- On lui en a décompté trois, avec certitude. Les autres ne sont pas les siens, même si on ne sait pas encore exactement qui est à qui, du moins pour certains, dit Maureen.
- Deux filles et un garçon, c'est cela ?
- Non, deux garçons et une fille. Comme nous, ajouta-t-elle avec un petit sourire.
Mickaël lui sourit en retour et Maureen poursuivit :
- L'aîné s'appelait Roy. Le second, Tobias. La petite fille se prénomme Lowenna.
- C'est mignon, comme prénom, Lowenna. Tobias sonne un peu anglais, mais pouvait aussi s'entendre en Ecosse, dit Mickaël.
- C'est un prénom assez original pour les Highlands de l'époque, c'est vrai, dit Mummy. J'aime aussi beaucoup celui de Lowenna. Mais j'ai une tendresse particulière pour la petite Eilidh dont elle parle parfois. Elle, par contre, on ne sait pas du tout qui sont ses parents.
- Elle la mentionne fréquemment en même temps que Tobias. Je crois que ce garçon l'avait prise en amitié et qu'ils s'entendaient bien. Peut-être étaient-ils cousins ? dit Maureen.
- Vous voilà avec encore beaucoup de questions et d'hypothèses, fit Mickaël.
- C'est vrai, dit Mummy, mais nous trouvons aussi des réponses, au fur et à mesure.
- Demain après-midi, pendant que les enfants seront à leurs activités, j'irai au service des archives, dit Maureen.
Mickaël opina. Ils achevèrent leur repas, puis il partit s'allonger un peu. Mummy fit de même et Maureen en profita pour ranger quelques affaires. Puis elle s'installa à nouveau devant son ordinateur et entreprit de rechercher d'autres informations pouvant apporter un complément à leur enquête.
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