Chapitre 4 (troisième partie)

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La visite de Maureen, accompagnée d'Ewan, au service des archives, fut intéressante. Elle y trouva nombre d'informations sur la fondation de la ville, son développement, mais aussi le rôle joué par la garnison qui y était basée durant les guerres jacobites. Elle chercha plus précisément des documents et renseignements sur la période de 1745-1746, lors du soulèvement mené par Bonnie Prince Charlie. Dans son journal, Héloïse avait plusieurs fois mentionné le nom du jeune prince et en avait dressé un portrait assez sévère. Au cours de ses recherches précédentes, Maureen avait lu beaucoup de choses sur Bonnie Prince Charlie dont le nom faisait toujours briller les yeux des Ecossais. Elle avait trouvé aussi des portraits de lui, portant l'habit traditionnel. Mais ce qu'Héloïse en disait nuançait le souvenir un rien dithyrambique qui subsistait. Ce "prince qui ne se préoccupe plus de ce que devient son peuple. Nous l'avons suivi et nous sommes comme abandonnés. Ce n'est pas lui qui doit affronter désormais la vindicte anglaise, l'injustice, les crimes, la faim, l'exil". Ces mots, Maureen ne pouvait en faire abstraction.

Elle découvrit lors des deux heures qu'elle passa aux archives que le fort de Fort William avait échappé à la conquête jacobite, aux tout débuts de la guerre. Que son gouverneur, n'ayant pas de forces suffisantes, avait laissé passer l'armée écossaise qui arrivait de Glenfinnan pour se rendre à Edimbourg. Mais qu'une fois l'armée anglaise revenue en conquérante, les exactions avaient commencé. Le nombre de prisonniers exécutés à Fort William la fit pâlir, de même que la lecture des registres.

Ned MacGuivan de Corran, 22 ans, exécuté par pendaison le 28 mai 1746 pour trahison

James Alystair MacKenzie d'Inverness, 27 ans, exécuté par pendaison le 28 mai 1746 pour participation au complot jacobite

James Cameron d'Invergarry, 23 ans, exécuté par pendaison le 28 mai 1746, pour participation au complot jacobite

Torquil Fitzgerald de Glendessary, 25 ans, exécuté par pendaison le 28 mai 1746, pour vol, sédition et tentative d'évasion

Finn MacFinnan de Lismore, 17 ans, exécuté par pendaison le 28 mai 1746, pour vol et sédition

Ian MacKenzie d'Invergarry, 15 ans, exécuté par pendaison le 28 mai 1746, pour tentative d'évasion

Ian Fitzgerald MacGovan de Laggan, 16 ans, exécuté par pendaison le 28 mai 1746 pour tentative d'évasion et participation au complot jacobite

Et la liste continuait ainsi, sur des pages et des pages, pour toutes ces journées sanglantes du printemps 1746.

Mais nulle part, Maureen ne trouva trace de Kyrian ou d'Héloïse MacLeod et elle fut incapable de savoir pourquoi elle avait parlé des prisonniers de Fort William. Avait-elle su, d'une façon ou d'une autre, que des hommes - et parmi eux, des gens de son clan - y étaient emprisonnés ? Avait-elle voulu s'enquérir de ce qu'il advenait d'eux ? S'était-elle rendue auprès du gouverneur pour plaider leur cause ? Elle avait parlé d'une longue fuite depuis Fort William, mais n'en avait rien dit de plus…

Alors qu'elle consultait les copies des précieux registres, Maureen fut abordée par un des archivistes auquel elle avait expliqué ce qu'elle recherchait. Comme avec Stanley MacKenzie, elle eut le sentiment de rencontrer là quelqu'un qui connaissait bien l'Histoire de la région et elle prit grand plaisir à parler avec cette personne.

- Je vois que vous consultez les registres des exécutions… Elles furent très nombreuses, tout au long de la deuxième moitié de l'année 46. Parfois, pour des motifs qui nous paraissent aujourd'hui vraiment dérisoires, comme ce jeune homme qu'on exécuta pour avoir gardé au fond de sa poche un petit morceau de tartan…

Maureen frissonna en entendant cette anecdote. Elle avait lu, au cours de ses recherches, bien des faits terribles. Elle comprenait mieux aussi pourquoi les Highlands restaient une terre à part en Ecosse et dans tout le Royaume-Uni. Vaincus peut-être, mais toujours insoumis.

L'archiviste poursuivait :

- En général, les gens qui viennent faire des recherches ici nous demandent le plus souvent des documents sur le massacre de Glencoe. Qu'est-ce qui vous pousse à vous intéresser à cette période de la dernière guerre jacobite ?

Maureen expliqua rapidement les raisons de ses recherches, ce qui intéressa vivement l'archiviste. Il lui livra ce qu'il connaissait sur le clan MacLeod d'Inverie, mais c'était sensiblement ce que Stanley MacKenzie lui avait déjà raconté. Mais quand elle dit qu'Héloïse MacLeod avait mentionné s'être rendue à Fort William après la bataille de Culloden, il fut un peu dubitatif :

- Rares ont été les femmes emprisonnées, c'étaient les hommes qui étaient recherchés et, parfois, durant plusieurs années. Les femmes ont subi ce que toutes subissent lors d'une défaite : parfois exécutées sur le pas de leur maison pour avoir caché leur mari, leur frère, leur fils. Souvent violées, chassées de chez elles avec leurs enfants en bas-âge. Mortes de froid et de faim au cours de l'hiver qui s'ensuivit…

Maureen hocha la tête, émue et compatissante. Il poursuivit :

- Il fut un personnage dont l'histoire pourrait vous intéresser et qui a sévi à Fort William durant une assez longue période. On peut même dire qu'il y fit une grande partie de sa carrière militaire, sans pour autant parvenir à obtenir un titre de gouverneur. Il fut surnommé "le sanguinaire". Je vous laisse imaginer pourquoi, car il fut l'un des exécuteurs des prisonniers du fort, au printemps 1746. Mais, étrangement, il disparut totalement dans le courant du mois de juin. Son nom n'est plus mentionné en tant d'ordonnateur des exécutions. C'est soit le gouverneur, soit le Capitaine Will Davidson, qui sont nommés.

- Qui était cet homme ? demanda Maureen avec intérêt.

- John Luxley. Le Capitaine sanguinaire.

- Qu'est-il devenu ?

- C'est un grand mystère, répondit l'archiviste. J'ai trouvé quelques éléments à son sujet, dans le journal du gouverneur de l'époque, qui regorge d'informations précieuses sur la répression du soulèvement. Attendez, je vais vous trouver cela.

Au bout de quelques minutes, il montra à Maureen, sur l'écran de son ordinateur, une page numérisée du fameux journal :

En ce jour de juin 1746, je dois déplorer encore ne pas avoir de nouvelles de John Luxley, parti avec quelques hommes à la recherche de rebelles. J'ai demandé des troupes supplémentaires pour assurer le maintien de l'ordre dans la région, mais je ne peux lancer plus d'hommes à sa recherche. Toutes les patrouilles sont revenues bredouilles, et la dernière était de retour ce matin : ils sont allés jusqu'à Mallaig, mais n'ont trouvé aucune trace de Luxley. C'est comme s'il avait disparu dans la nature…

- Dois-je mentionner qu'il n'y eut pas un seul habitant de la région à le regretter…

- Je crois que c'est inutile en effet, dit Maureen en redressant la tête après avoir lu l'extrait du journal. Mais je ne pense pas que cet homme ait quelque chose à voir avec Héloïse. Elle ne le cite jamais.

- C'est possible, mais comme vous vouliez élargir un peu vos recherches et avoir des éléments plus généraux sur la situation dans la région, je pense que cela peut être intéressant pour vous de le savoir.

- Tout à fait. Je vous remercie pour m'avoir permis d'accéder à ce journal, répondit Maureen en souriant. J'imagine que vous y avez puisé quantité d'informations !

- Oui. La lecture des registres des exécutions a de quoi faire faire des cauchemars pendant des nuits, mais elle est aussi très révélatrice. Les officiers anglais tenaient très soigneusement à jour tous leurs documents et ceux que nous avons pu collecter à Fort William nous le montrent bien. Ce sont des éléments essentiels pour notre connaissance de cette période.

Maureen agréa et prit congé, Ewan sur les talons. Le petit garçon avait suivi avec attention toute la conversation et posa plusieurs questions à sa mère alors qu'ils se mettaient en chemin pour récupérer Killian et Erin, après leurs activités sportives. Maureen lui raconta ce qu'elle déduisait de ses recherches, ce qui était fort peu concernant Héloïse en particulier, mais elle lui dit cependant :

- Une chose peut être quasiment certaine : Kyrian n'a pas été emprisonné à Fort William, on ne trouve nulle part mention de lui. Et je suis de plus en plus persuadée qu'il a survécu à Culloden. Mais cela, le journal d'Héloïse devrait nous l'apprendre…

**

Quelques jours plus tard, Maureen et Mummy reçurent un appel d'Ingrid et Henry. Ceux-ci voulaient leur faire part de leurs premières recherches à Edimbourg. Ingrid avait bien avancé dans la réalisation de l'arbre généalogique, retrouvant sans difficulté les dates de naissance et de décès des parents et grands-parents de Donan. Mais ils avaient surtout retrouvé l'acte de reddition du clan MacLeod d'Inverie et Maureen put entendre à sa voix combien Ingrid était excitée de ce qu'elle avait découvert. La jeune femme espéra alors secrètement apprendre que l'acte avait été signé par Kyrian, mais sa surprise fut très grande quand elle lui apprit qu'il n'en était rien.

- Nous avons pu consulter l'acte, Maureen ! commença Ingrid. Mais ce n'est pas Kyrian qui l'a signé, c'est Héloïse ! Elle en avait le pouvoir…

- Oh ! Mummy, vous avez entendu ? fit Maureen en ouvrant grand les yeux en se tournant vers la vieille dame

- Oui, dit celle-ci qui se tenait assise près du téléphone, Maureen ayant mis l'amplificateur pour qu'elle puisse profiter de toute la conversation.

- C'est incroyable ! Une femme a pu signer un acte de reddition ?

- Oui, car il est arrivé à des femmes d'être chef de clan, et elle ne fut pas la seule dans ce cas… expliqua Ingrid.

- A quelle date a-t-elle signé ? demanda Mummy.

- Au mois d'avril 1747, presque un an jour pour jour après la bataille de Culloden, dit Ingrid.

A ce moment-là, la voix d'Henry se fit entendre, un peu lointaine :

- Nous avons aussi pu consulter l'acte de reddition signé par Manfred MacLeod. Il avait signé deux jours plus tôt. Mais les deux actes mentionnent le lieu de Dunvegan.

- Héloïse s'y trouvait donc encore à cette date… conclut Maureen.

- Et sans nouvelles de Kyrian, très vraisemblablement, ajouta Mummy. Sinon, c'est lui qui l'aurait signé.

Maureen acquiesça. Au bout du fil, Ingrid poursuivait :

- Nous allons continuer à travailler maintenant sur l'arbre généalogique, sauf si vous avez besoin que l'on fasse d'autres recherches. Avancez-vous de votre côté ?

- Oui, dit Mummy. Nous en sommes rendues à traduire ce qu'elle a écrit au cours de l'hiver 1746-1747. Ce n'est pas très gai. Mais elle garde espoir que Kyrian soit toujours en vie. Elle parle aussi souvent d'événements passés, elle a raconté notamment son voyage jusqu'en Ecosse, et sa première visite à Dunvegan, puis leur installation à Inverie. Dans les prochaines pages, que j'ai survolées, elle raconte le mariage de Moira et Kyle, mais aussi la naissance de ses enfants. Il me semble qu'elle leur consacre une page à chacun. Mais nous verrons cela en temps voulu.

- Voulez-vous que nous vous envoyons nos dernières avancées ? demanda Maureen.

- Volontiers ! répondirent Ingrid et Henry à l'unisson. Et nous vous envoyons une copie des documents que nous avons trouvés, ainsi que les données collectées pour l'arbre généalogique, ajouta Ingrid.

- Stanley MacKenzie m'a parlé d'un contrat signé avec la Couronne, rendant les MacLeod propriétaires d'une partie des terres du clan, émit Maureen. Avez-vous trouvé quelque chose à ce sujet ?

- Non, dit Ingrid.

- Je vais prendre contact avec le professeur dont il m'avait donné les coordonnées. Peut-être gagnerons-nous un temps précieux grâce à lui. Je lui enverrai aussi une photo des tartans, Stanley MacKenzie m'avait dit qu'il était passionné par ce sujet.

- Bonne idée, Maureen, dit Henry. Et si tu as besoin que nous retournions à Edimbourg, surtout, n'hésite pas…

- Merci beaucoup !

Et la conversation se poursuivit, mais sur un tout autre sujet, Ingrid et Henry demandant des nouvelles des enfants et de Mickaël.

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