1. PRISE EN CHARGE FACE AUX QUATRE PRINCIPES ETHIQUES
1.1 - Autonomie
Les témoignages sur le vécu de la thérapie montrent bien la singularité de chaque personne et les ressources parfois insoupçonnées dont elles disposent pour affronter la situation. Eliane parlera même de « force surnaturelle ».
Aucune d’entre elles, n’a traversé cette expérience de la même manière et n’a réagi pareillement, ce qui montre la part d’autonomie dont chacun dispose pour agir face à une situation difficile.
Lorsque les patients parlent de leur perception du consentement, on retiendra le mot guérir , exprimé sous différentes formes « je vais vous guérir », « on va vous guérir » et « vous allez guérir ». On peut s’interroger sur la puissance qu’il détient : c’est le mot qui change tout, fait basculer la situation vers l’espoir, redonne un avenir et anéantit l’angoisse.
Les médecins savent bien quel effet produit ce mot en fait, tant désiré par les patients qui ajouteront « ce qu’il m’a dit en premier ».
Ces témoignages traduisent aussi l’empreinte de la société où seule la promesse de guérison est acceptable face à l’annonce d’une maladie potentiellement mortelle. Mais dans cette quête de guérison, le patient ne met-il pas le médecin, lorsque la situation est favorable, dans l’obligation de baser le discours sur la guérison ?
Les patients interrogés disent qu’il leur a été « assez facile » de consentir au traitement. Il est cependant difficile de savoir si le consentement relève d’une intime conviction. Ont-ils confiance en eux où s’en remettent-ils au pouvoir médical sous cette promesse de guérison ?
Un deuxième piège survient dans le discours lorsqu’un autre avis médical s’affirme avec moins d’optimisme, on tombe inévitablement dans le piège du pourcentage, si la réalité du 100 % (la guérison) n’est pas, combien de chances reste-t-il ? Le pourcentage tombe inévitablement comme un couperet comme l’exprime Pierre dans ses propos.
1.2 - Non malfaisance
Le sentiment de crainte est présent lorsque les soignants décrivent la thérapie sous les termes de « torture, traitement barbare, invasif, primaire », quand le corps est perçu comme «souffrant, atteint dans sa partie la plus intime, dépendant, envahi, diminué. »
On peut poser ici la question de savoir s’il existe des limites éthiques à la pratique de cette thérapie et reprendre l’expression de Pierre « Il ne faudrait pas que le remède soit pire que le mal.»
Cent questionnaires n’apporteraient pas de réponse à cette question qui ne peut trouver de résolution sous forme statistique. Chaque expérience vécue apporte en fait une réponse qui n’est pas reproductible pour autrui. C’est pourquoi, il paraît néanmoins indispensable de pouvoir entendre les peurs et les inquiétudes des patients et tenter de les désamorcer.
La vision sévère de la thérapie exprimée par les soignants s’oppose au récit d’Annie : « La situation s’est retournée depuis la curiethérapie : je me suis sentie plus saine. Pour moi, c’est assaini, c’est propre, … c’est impressionnant…ce que ce traitement a provoqué en moi. »
Les soignants de l’unité ne connaîtront pas ce ressenti car ils n’auront aucune nouvelle d’Annie après sa sortie. Ils s’arrêtent sur cet épisode isolé du traitement sans vision possible des bénéfices ou des séquelles, comme s’ils vivaient au plus fort de l’intrigue sans jamais connaître le dénouement de l’histoire.
C’est peut-être ce que veulent traduire les propos d’Annie et Pierre lorsqu’ils parlent de « cloisonnement », « d’absence de communication », « d’absence de globalité ».
Du côté des soignants, on note que les infirmières lorsqu’elles accueillent les patients à leur admission ne savent pas quelle information a été donnée préalablement.
Josiane, quand à elle, regrette le temps où son bureau se situait à proximité du service de consultation : elle pouvait ainsi échanger avec les patients à distance de leur traitement.
Se concerter pour « ne pas nuire » pourrait être une piste mais comment favoriser la concertation dans un système où chacun doit intervenir dans un espace et dans un temps bien définis dans une charge de travail croissante ?
1.3 - Bienfaisance
Dans leurs attentes, les patients mettent avant tout l’accent sur la nécessité de l’écoute et de l’attention à porter envers eux :
- qu’ils prennent le temps de m’écouter et de répondre à mes questions.
- qu’ils me rassurent avec des paroles bienveillantes.
- qu’ils écoutent mes points de vue, mes doutes.
- qu’ils fassent attention à moi et prennent en compte mon état d’esprit.
- qu’ils me décrivent les gestes qui constituent le soin lors de sa réalisation.
On peut opposer ces attentes aux termes de la charte de la personne hospitalisée qui prévoit le respect de l’intimité sous l’angle du respect de la pudeur, de la vie privée, des croyances et convictions du patient, du droit à l’anonymat, du secret médical et de la confidentialité.
Ces attentes ne sont pas retenues comme prioritaires par les patients, non pas parce qu’elles sont négligeables mais parce qu’elles apparaissent comme un droit élémentaire.
Pierre, Annie et Sébastienne ne rêvent pas d’anonymat, et dans l’isolement de leur chambre plombée, le respect de leur vie privée ne semble pas menacé.
Les patients attendent ce qui ne peut s’écrire dans une charte, ce qui ne relève pas du droit mais survient par nécessité face à l’épreuve qu’ils traversent : l’écoute, la réassurance, l’attention, la considération, la reconnaissance, en d’autres termes, être accompagné.
L’écoute est aussi une sorte de nécessaire réciprocité à l’information scientifique délivrée au patient, un espace où il est considéré avant tout comme un individu face à une rude épreuve. C’est à cet instant que la rencontre médicale basée sur le discours scientifique bascule dans un espace d’intimité où se constitue le dialogue : le patient peut laisser émerger ses sentiments et exprimer ses limites dans le parcours thérapeutique proposé.
L’écoute n’est toutefois pas aisée lorsque le patient exprime des sentiments contradictoires ou une angoisse débordante.
Les soignants ne se montrent cependant pas impuissants devant ces situations : lorsque Josiane se trouve devant une patiente très angoissée lors d’une séance de traitement, elle n’appellera pas le psychologue en urgence, elle improvisera la démarche appropriée.
L’approche de Joëlle lorsqu’elle accueille le patient : « écouter, comprendre l’autre pour capter sa confiance », n’a rien d’un banal interrogatoire d’admission.
Dans ces situations, on perçoit les théories de P. Ricoeur et E. Levinas. Le soignant est en quelque sorte « saisi » par la présence de l’autre et dans ces moments, il ne compte que sur lui-même pour agir.
Lorsque que Sébastienne parle des conditions du retrait du matériel, une épreuve qu’elle appréhende beaucoup, on mesure toute l’importance d’un accompagnement réussi. Elle reconnaît la compétence mais elle est surtout touchée parce que l’ensemble des gestes des soignants sont la juste réponse à ce qu’elle éprouve.
1.4 - La justice
L’institution hospitalière n’a cessé de se moderniser pour répondre aux besoins de la population et promouvoir une meilleure qualité des soins.
Technicité et spécialisation :
Pour accéder à des techniques diagnostiques et thérapeutiques toujours plus performantes, les établissements sont invités à se regrouper formant ainsi de plus grandes structures de soins. Les services eux-mêmes se regroupent en Département ou Pôle.
Inversement, cette technicité de pointe s’accompagne d’une spécialisation du praticien qui devient spécialiste de telle ou telle technique, de telle ou telle partie du corps.
Pour soigner une tumeur, il est donc fréquent que le patient consulte plusieurs médecins : oncologue, chirurgien, radiothérapeute, spécialiste de l’organe atteint…. en plus de son médecin traitant.
Qualité et sécurité :
La technicité médicale est relayée sur le terrain par des protocoles standardisés et des procédures qui retracent la pratique des soins et la manière de prendre en charge, accentuant la notion de sécurité et de prévention.
Un ensemble de plans de lutte sont mis en oeuvre : lutte contre la douleur, la dénutrition, les infections nosocomiales,…
Les décisions thérapeutiques sont prises en concertation lors de RCP (Réunions de Concertation pluridisciplinaire).
Les pratiques professionnelles sont évaluées et l’accréditation des établissements de santé par la Haute Autorité de Santé, confirme la qualité de la prise en charge.
Compétitivité et concurrence :
Les pathologies traitées et les traitements effectués font l’objet d’un codage par le PMSI (Programme de Médicalisation du Système d’Information) qui définit des Groupes Homogènes de Malades, chaque GHM correspondant à un coût. Les soins et la gestion comptable dite analytique, sont donc étroitement dépendants.
Cet observatoire national permet d’établir des comparaisons et met les établissements en concurrence, concurrence souvent affichée dans la presse par la diffusion régulière d’un classement des meilleurs services hospitaliers dans telle ou telle spécialité.
Alors que l’institution s’affirme comme une grande entreprise, les patients obtiennent une reconnaissance de leurs droits.
Cette reconnaissance de droits est affirmée dans la charte de la personne hospitalisée annexée à la circulaire du 2 mars 2OO6 :
1. Toute personne est libre de choisir l’établissement de santé qui le prendra en charge.
2. Les établissements de santé garantissent la qualité de l’accueil, des traitements et des soins.
3. L’information donnée au patient doit être accessible et loyale.
4. Un acte médical ne peut être pratiqué qu’avec le consentement libre et éclairé du patient.
5. Un consentement spécifique est prévu pour certains actes.
6. Une recherche biomédiale ne peut être réalisée sans que la personne ait donné son consentement après voir été spécifiquement informée sur les bénéfices attendus, les contraintes et les risques prévisibles.
7. La personne hospitalisée peut, à tout moment, quitter l’établissement.
8. La personne est traitée avec égards.
9. Le respect de la vie privée est garanti à toute personne.
10. La personne hospitalisée (ou ses représentants légaux) bénéficie d’un accès direct aux informations de santé la concernant.
11. La personne hospitalisée exprime des observations sur les soins et l’accueil. Dans chaque établissement, une CRU (Commission des Relations avec les Usagers et de la qualité de la prise en charge) veille au respect des droits des usagers et à l’amélioration de la qualité de la prise en charge.
La modernisation du système hospitalier peut être vue comme une quête de justice : atteindre la meilleure qualité de soins pour le plus grand nombre.
Parallèlement, on peut s’interroger sur la place de celui que l’institution nomme tour à tour, personne, malade, patient, usager et la difficulté pour lui d’endosser ces différentes identités.
Est-il possible dans cette vaste et complexe entreprise de sortir le patient des rangs statistiques et le considérer simplement dans sa subjectivité et sa singularité ?
Au cours des entretiens, Annie et Pierre expriment leur ressentiment :
« Je vois dans le milieu institutionnel comme un glissement. Vous vous en apercevez au niveau du signifiant du langage n’est-ce pas. Combien de fois, je prends les secrétaires à parler de «client», déjà que j’avais remis en cause le mot patient, à part le fait que le patient est patient…. Il y a beaucoup à dire et à l’analyser ».
« Après, vous avez un charte, qui est mise partout chez vous, c’est n’importe quoi. Tout cela c’est du faux... Je rêve quoi, plutôt je cauchemarde… »
Annie parle du questionnaire de sortie « C’est très bien le questionnaire de sortie mais c’est complètement impersonnel. On ne permet pas à la personne de s’exprimer ».
Dans l’aventure EXTRA-ordinaire qu’ils vivent, Annie et Pierre ne se reconnaissent pas en tant qu’usager ou consommateur de soins dont ils pourraient s’estimer plus ou moins satisfaits.
Ils ont autre chose d’essentiel à porter à notre connaissance et dont ils espèrent que nous tiendrons compte : leur vécu, leurs sentiments profonds et une certaine vision du monde.
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