Chapitre 28
« Comment tu te sens avec ton nouveau bras ? »
Victor le bougea doucement pour montrer à Louise ses progrès. Il arrivait désormais à le bouger un peu plus. C’était un travail quotidien pour tenter de retrouver une partie de ses capacités. Il pouvait désormais bouger sa main et refermer doucement ses doigts. Il pouvait aussi légèrement plier son bras. Mais chacun de ces mouvements lui demandait un effort considérable. Mais cela ne lui faisait pas peur. Peu importe le temps que ça lui prendra, il fera les efforts qu’il faut pour utiliser au mieux la prothèse de Louise et Wright. Ces derniers procédaient de temps en temps à quelques réglages pour créer la meilleure prothèse pour Victor. Le jeune homme leur était éternellement reconnaissant :
« Tu as l’air de t’habituer, constata Louise en souriant.
— Oui ! Ce n’est pas facile, mais je vais réussir. »
Il se concentra et leva un peu plus son bras. Ses doigts de fer se posèrent sur la joue de Louise. Elle écarta légèrement sa tête au contact froid du métal. C’est vrai, il oubliait qu’avec la température, son bras devait être gelé. Son plus gros regret, c’était qu’il ne pouvait rien sentir à travers le métal. Aucune température ni aucune texture.
« Pardon, lâcha Victor d’une petite voix, j’oubliais que c’était froid.
— Ne t’excuse pas.
— Tu sais, je te suis vraiment reconnaissant. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi, Louise. »
Elle sourit. En dépit de son regard doux et de ce sourire, Victor voyait que la fatigue n’avait pas quitté le visage de celle qu’il aimait. Il commençait à s’inquiéter. Et l’agitation qui commençait à avoir lieu tout autour d’eux n’aidait pas. Depuis maintenant plusieurs jours, les miliciens des Cités Libres, du moins ceux encore en vie, se rassemblaient à val. C’était le point de ralliement pour tenter une reconquête. Val Éthéré débordait de personne. C’était presque anxiogène de voir tout ce monde ici. Et surtout, leur présence faisait naître une tension qui se mélangeait à de la peur. Eos débarquerait à un moment. C’était maintenant sûr. Ils finiraient le travail. Louise n’avait pas abandonné l’idée de se battre, mais elle n’avait pas pensé qu’elle se heurterait aux refus des miliciens. Ils ne voulaient pas d’une femme dans leur rang décimé. Cela lui avait miné le moral. Et Victor le savait. Mais une idée germa dans son esprit maintenant que sa rééducation avait marché. Il se sentait capable de piloter un méchanicus, ou du moins un un peu plus aménagé pour lui.
« Louise, j’ai une idée ? »
Elle sortit de sa rêverie et le regarda de nouveau.
« Je vais me battre.
— Quoi ? Tu n’es pas sérieux, Victor !
— Pourquoi ? Je sais que je peux. »
Elle soupira et secoua doucement sa tête.
« Ce n’est pas ton pays. Tu n’as pas à te battre pour nous.
— Je ne veux pas me battre pour les Cités Libres. Je veux juste me battre pour ce que je considère comme mon foyer. Et pour ceux que j’aime. »
Louise, mais aussi Guillaume, Elanor, et tous ceux qu’ils l’avaient aidé jusque là : Wright, Violena. Il avait envie de se battre pour chacun d’eux. Il n’allait pas rester les bras croisés en voyant les villes tomber les une après les autres. Pas cette fois. Louise semblait pourtant en désaccord avec lui. Point de colère sur son visage, mais un simple air triste. Ses lèvres se mirent à trembler lorsqu’elle répondit d’une petite voix :
« Je t’en prie, Victor, ne fait pas ça. Si je devais te perdre, je ne sais pas ce que je ferais. Je crois que je mettrai moi même le feu à l’empire.
— Je sais ce que tu ressens. »
Il prit une des mains de Louise avec sa main valide. Il avait besoin de sentir sa peau pendant qui lui parlait :
« Je ressens la même chose Louise, reprit Victor. J’ai peur. Je suis mort de trouille à l’idée de te perdre sur-le-champ de bataille. De voir l’empire me prendre ce que j’ai de plus cher. Mais je sais aussi à quel point c’est important pour toi de te battre. Et je ne chercherais jamais à t’en empêcher. Alors, ne m’empêche pas. Ne m’empêche pas de me battre pour la personne qui fait de cette ville un foyer pour moi. »
Louise retira sa main de celle de Victor. Elle essuya rapidement ses yeux qui commençaient à devenir humides.
« De toute façon, ils ne veulent pas que je les rejoigne. On est visiblement bonnes qu’à la cuisine.
— Tu es ma mécanicienne, personne d’autre ne touchera le méchanicus. Et quand ils verront ce dont tu es capable, ils comprendront leur erreur. »
Elle hocha faiblement la tête. Victor voyait bien qu’elle n’était pas totalement convaincue. Il savait qu’avec le temps, les miliciens comprendraient leur erreur. Une simple question de temps. Il s’approcha un peu plus de Louise et posa doucement son front contre le sien. Elle ferma les yeux et poussa un profond soupir :
« J’aimerais me réveiller de ce cauchemar.
— Je sais. Moi aussi. Mais on s’en sortira. J’ai juste besoin que tu me fasses confiance, Louise.
— Je te fais confiance. Je te confie ma vie. »
Victor savait que rien ne serait facile à partir de maintenant. On ne gagne pas une guerre rien qu’avec des mots et des convictions. Mais Louise et lui pouvaient désormais se mettre au travail.
Les jours suivants, Louise perfectionnait le méchanicus de Victor. Il était à chaque fois impressionné parce qu’elle était capable de réaliser. La majorité des attaques avaient été reportées sur la droite du tableau de bord pour qu’il puisse y accéder facilement avec sa main valide. Sa main gauche allait essentiellement tenir les commandes et les bouger. Le reste, c’était avec sa main droite. Ils avaient réalisé quelques tests qui s’étaient avérés concluants. Victor avait pu sans trop de soucis rejoindre la milice. Sa seule condition avait été que Louise soit sa mécanicienne et personne d’autre. Le capitaine Anthonin Prudhomme avait quelque peu ronchonné, mais il avait cédé face au jeune homme. Tant que Louise ne combattait pas… Ce que le capitaine n’avait pas prévu, c’était l’efficacité de Louise, qui ne pouvait s’empêcher de prendre à part à toutes les réparations. Au grand soulagement des autres mécaniciens, et au grand dam du capitaine qui voyait son autorité bafouait. Louise n’avait cure de son avis, elle continuait. Et cela ne gênait aucunement Victor, il avait prévu que tous se passent comme cela. Alors qu’il rentrait d’une mission de ravitaillement de bois, il sentait que Val Éthéré était en proie à l’agitation. Une fois sa cargaison déposée, il gara son méchanicus. Louise vint aussitôt à sa rencontre :
« Tout s’est bien passé ?
— Rien à signaler. Toujours pas de trace de l’Empire. C’est quoi toute cette agitation ? »
Louise se retourna et regarda au loin le capitaine Prudhomme vociférant des ordres à tout va.
« Il y a des nouvelles, Sham’ra est tombé. Le reste de leur milice ne devrait pas tarder à arriver.
— Merde.
— On vient de perdre les puits d’éthers. Si on ne les récupère pas vite, on va perdre la guerre. »
Elle soupira et commença son habituelle inspection du méchanicus :
« On est mal barré.
— Il a un plan le capitaine ?
— Pas que je sache. »
Rien à signaler, comme d’habitude. Elle retira ses gants tachés d’huile et les jeta au sol. Elle était contrariée par les nouvelles, Victor le sentait. Rien d’étonnant. Mais lorsque Prudhomme les rejoignit, Victor comprit que la situation n’allait pas s’arranger :
« VanDyke, j’ai besoin de vous. »
Louise écarquilla les yeux de surprise. C’était bien la première fois que le capitaine avait besoin d’elle ouvertement. Elle croisa les bras et le regarda confuse :
« Pour ?
— Un plan. Il faut récupérer Sham’ra.
— Je ne suis pas tacticienne, monsieur.
— Non, mécanicienne. Et c’est de ça que j’ai besoin, Wright vous a recommandé. »
Victor n’était pas surpris de voir le professeur recommander sa protégée. En revanche, il l’était bien plus de savoir que Wright participait à l’effort de guerre.
Chacun revoit ses priorités en temps de guerre.
« Dites-moi ce que je peux faire.
— Pas ici. Venez. »
Louise adressa un regard confus à Victor, puis elle suivit le capitaine laissant Victor seul avec son méchanicus. Elle revint au bout de plusieurs longues dizaines de minutes. Victor ne tenait plus en place, il voulait savoir :
« Alors ?
— Je sens que mes nuits vont être courtes, soupira la jeune femme. Et je ne serais pas seule. Nous allons tripler la production de fer.
— Vous allez créer plus de méchanicus ?
— Oui, ils en veulent des plus puissants.
— Tu ne sembles pas convaincue.
— Non, soupira Louise, nous ne gagnerons pas comme ça. On gagnera peut-être une bataille, mais pas la guerre. Pas tant qu’ils auront leur étrange engin.
— Tu parles de leur zeppelin ? Pour l’instant, rien ne nous dit qu’ils vont l’utiliser.
— C’est qu’une question de temps, tu le sais bien. Et ce jour-là, on perdra tout. »
Elle soupira de plus belle et se mit à regarder le méchanicus de Victor longuement.
« À quoi penses-tu ?
— Ne le dit à personne, répondit Louise, surtout pas à Wright. »
Il haussa un sourcil. Évidemment sa curiosité avait été piquée en plein vif.
« Je ne dirais rien. »
Elle se hissa dans l’habitacle du méchanicus et commença à fouiller. Elle ressortit au bout de quelques minutes avec des plans, encore. Il n’était même plus surpris.
« Qu’est ce que c’est ?
— Des plans, pour créer un méchanicus volant.
— Volant ? Les fils de Wirght ont essayé, tu sais ?
— Oui, et ils échouent. Mais, j’ai beau les adorer, ils s’obstinent dans la mauvaise voie. Je suis sûre. Ils sont persuadés que si le méchanicus bat des ailes comme un oiseau, il volera.
— Et toi, non ?
— Non.Regarde. »
Elle tendit les papiers à Victor qui les prit. Comme à son habitude, il ne comprenait pas ce qu’il lissait. C’était des schémas de machines où des formules mathématiques étaient inscrites un peu partout. Il poussa un soupir :
« Je suis censé comprendre quelque chose ?
— Je suis sûre que j’approche de quelque chose. Avec un propulseur d’éther un peu plus puissant que celui de ton méchanicus, je devrais pouvoir créer un méchanicus assez puissant pour s’envoler. Mais il me reste à gérer certaines parties comme la portance. Je dois refaire mes calculs.
— Tu en as parlé à Prudhomme ?
— Non, il ne m’écoute pas vraiment… Je pense qu’il est dépassé par les évènements. Je ne peux pas vraiment lui en vouloir.
— Mais tu le dis toi même ! On pourrait gagner avec ça !
— En théorie seulement. Je ne peux pas gâcher nos ressources comme ça, Victor. Pour l’instant, je vais faire ce qu’il me dit de faire. Une fois qu’on aura Sham’ra, je soumettrai l’idée. »
Victor n’eut pas le temps de dire un mot, qu’elle était déjà partie rejoindre les autres mécaniciens pour donner des ordres. Victor secoua sa tête. Elle n’allait pas tenir le rythme comme ça. Et il n’était pas le seul à le penser. Avec la milice, d’autres personnes avaient rejoint le Val Éthéré. Une partie d’elle logeait en dehors de la ville, au pied de la montagne, là où se déroulait le lancement des opérations. Parmi ces nouveaux arrivants se trouvait Sybile. De quoi augmentait un peu plus la tension chez Victor. Lui non plus ne se reposait pas. Il était toujours sur le qui-vive. Hormis Louise, il ne savait pas à qui d’autre il pouvait faire confiance. Et cela commençait doucement à jouer sur ses nerfs. Chaque fois que la jeune femme était dans les parages, il se tendait et ne la lâchait pas du regard. Et pourtant, elle demeurait toujours souriante et serviable. Toujours là pour aider Violena ou Louise.
« Tu rêvasses Victor ? »
Il sortit de ses pensées en entendant la voix de Florian. Il était resté lui aussi, et comme Victor, il avait rejoint la milice pour les aider. Florian avait les traits aussi tirés que lui et Louise. Chaque jour, le jeune homme guettait une nouvelle de Basile ou de Maxime.
« Rien de nouveau ? demanda Victor. »
Le visage de Florian s’assombrit. Et il réfuta gravement de la tête.
« Je perds espoir d’avoir un jour de leurs nouvelles. »
Chaque jour la même routine. Il attendait qu’un de ses nombreux messages lui revienne. Mais rien d’autre qu’un silence assourdissant ne lui était parvenu.
« Rien n’est pire que l’attente, soupira Florian, si seulement on savait. Au moins, on pourrait avancer.
— Tu sembles vraiment contrarié par tout ça.
— Oui, tout est en train de foutre le camp. On va lancer toutes nos forces dans la bataille… Maxime ne répond pas… J’aimerais que ce cauchemar prenne fin. »
Victor se sentait désolé pour lui. Il avait commencé à l’apprécier au fil des jours, et il savait mieux que quiconque la douleur d’être dans l’attente. Lui aussi attendait des nouvelles de Guillaume. Le regard de Victor se posa à nouveau sur Sybile qui était au loin. Sa présence le rendait irascible. Quand elle était là, il n’était jamais tranquille. Il savait qu’elle jouait un double jeu. Son sourire envoûtant et sa voix douce n’étaient que des artifices pour cacher sa vraie nature et son vrai rôle. Comble de la situation, Sybile s’était permis de critiquer la décision de Louise de se battre. Elle avait joué un rôle de grande sœur dans l’espoir que Louise change d’avis. Évidemment, elle l’avait ignoré. La tension de Victor gagna un nouveau palier lorsqu’il vit que Sybile s’approchait de Florian et de Victor. Sa démarche était assurée, et son faux sourire charmeur donna des frissons à Victor.
« Bonjour les garçons. »
Sa voix fluette était désormais insupportable pour Victor. Il croisa les bras et toisa d’un regard mauvais la jeune femme tandis que Florian répondit chaleureusement à son amie :
« Comment ça va ? As-tu des nouvelles de quelqu’un ?
— Non, répondit-elle en secouant sa tête. Aucune. Je ne me fais pas trop de soucis pour Basile. Il n’est pas téméraire, et c’est un croyant. Je suppose qu’ils ne lui feront rien.
— Ça se trouve, il est déjà chez l’ennemi, siffla Victor. »
Le sourire de Sybile s’effaça, puis elle le regarda d’un air sévère. Même comme ça, elle demeurait magnifique. Victor se demandait combien de personnes étaient tombées dans le panneau de la jeune femme charmante. Beaucoup trop.
« Basile n’est pas un traître.
— Je ne suis pas si sûr. Et puis, il semblerait que ce soit quelque chose de commun dans votre groupe, la trahison. »
Florian hoqueta de surprise et regarda avec de grands yeux Victor. Ce dernier ne lâchait pas Sybile du regard. Elle demeurait impassible. Elle n’avait même pas haussé un sourcil de surprise.
« Qu’est ce que tu insinues ? demanda Florian.
— Je suis persuadé que ton méchanicus m’a attaqué sur le Condor, et une autre fois sur la plage avec Louise. »
Florian n’en finissait plus d’être surpris. Son regard était complètement perdu entre Sybile et Victor.
« Mais ce n’est pas moi ! Je n’ai rien fait !
— Ce jour-là, tu avais prêté ton méchanicus à Sybile, tu me l’as dit. »
Florian se tourna vers Sybile, le regard sévère. Cette dernière secoua doucement sa tête, ses longs cheveux blonds ondulant avec le mouvement. Elle lâcha un petit rire :
« Vraiment, Victor. Tu es drôle. J’imagine que c’est comme ça que tu as séduit Louise. Je conduis par moment, mais de là à me battre…
— Joue l’innocente, siffla Victor. Je suis sûr que tu te caches derrière le masque de Phantom.
— Oh, si tu le dis, reprit-elle amusée. Et j’imagine que tu as une preuve, en dehors de tes pressentiments. »
Victor fronça les sourcils. Bien sûr qu’il n’en avait aucune. Et elle le savait. Mais il n’en pouvait plus de rester à rien. Il espérait aussi secrètement que Florian l’écoute et se range de son côté. Et visiblement, sa prière avait été entendue.
« Tu sembles vraiment pas choquée par les accusations Sybile, constata Florian. C’est quand même assez grave. »
Elle haussa les épaules d’indifférence.
« Je ne vais pas chercher à vous convaincre. Et puis, je me pose une question Victor. Est-ce que Louise est au courant pour toi et Guillaume ? »
Victor se figea aussitôt. Elle le savait. Cela ne faisait que confirmer les soupçons de Victor. Si elle était au courant pour Guillaume, c’était qu’elle avait vu Chamberlain. C’était la seule explication qu’il trouvait. Il avait la gorge sèche et nouée. Elle avait un point de pression sur lui. Et il détestait, et il sentait désormais le regard de Florian sur lui.
« De quoi elle parle, Victor ?
— Oh, il ne l’a pas dit. Évidemment, il n’allait pas dire à l’un d’entre nous qu’il était le meilleur ami de Guillaume Hunter. De cet enfoiré.
— Je ne savais pas ce qui s’était passé avec Connor, se justifia le jeune homme.
— Mais maintenant, tu le sais non ? Et pourtant, je n’ai pas l’impression que tu en as parlé à Louise.
— Putain, dis-moi que c’est une blague, Victor.
— Non, je l’admets. Je suis ami avec lui. Mais écoute, c’était vraiment compliqué. Quand ma mémoire m’est revenue… Je sais que je dois lui dire, mais je n’ai pas trouvé l’occasion !
— Moi je pourrais trouver l’occasion de lui en parler, répondit Sybile. »
Son sourire ne suffisait pas à cacher la menace qui se trouvait derrière. Victor bouillonnait d’une rage intérieure qui ne demandait qu’à sortir. L’air suffisant de Sybile lui donnait envie de lui décoller un poing dans son visage lisse. Mais il n’allait pas le faire ici. Ni maintenant, cela lui causerait trop de problèmes. Il se contenta de serra son poing valide, en silence :
« Si on n’a plus rien à se dire, je ferais mieux d’aller voir Louise, elle a sans doute besoin d’aide. »
Elle tourna les talons et adressa un petit geste d’au revoir de la main :
« Ne t’en fais, je ne lui dirais, rien. Pour l’instant. »
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