Chapitre 1
Une alarme se déclencha dans le village. Toutes les têtes se tournèrent alors vers la porte où ils virent passer à tout à l’allure leurs Gardiens. Sephiro se dirigea sans ralentir vers la partie de leur territoire qu’il devait inspecter. L’un des leurs avait enfreint le Traité. Ou un non-magique avait pas inadvertance franchit la frontière. Mais il y avait peu de chance, lui et ses frères renforçaient chaque jour les sortilèges de protections et veillaient à ce qu’aucun non magique ne souhaite s’aventurer dans cette partie de la forêt. Il ralentit en s’approchant enfin de sa zone. C’était une partie de la forêt assez agréable, mais avec de nombreux recoins où se cacher. Il déploya ses sens, ouvrant la voie pour repérer toute vie qui était étrangère à ce lieu. Le jeune homme se déplaçait sans bruit, ayant par précaution masqué sa propre présence. Quel que soit l’intrus, il ne repérerait sa présence qu’à l’instant où il serait trop tard. Les seuls bruits perceptibles pour le moment étaient ceux habituels de la forêt. Le pépiement des oiseaux, les bruissements des broussailles sous les pas de divers rongeurs. Le brame d’un cerf au loin. Le bourdonnement des insectes autour de lui. Il s’arrêta, fronçant les sourcils. Qu’était-ce donc que cela ? Là, dans la clairière, il y avait une étrange fluctuation. Il envoya un signal télépathique à ses frères. Le code pour prévenir qu’il inspectait une zone étrange ainsi que les coordonnées de l’endroit. S’il n’envoyait pas de nouvelles dans les cinq minutes suivantes, deux de ses frères le rejoindraient pour voir ce qu’il se passait et ainsi de suite jusqu’à ce que la situation soit réglée. Sephiro sortit ses dagues, sortant du couvert des arbres, dans la trouée qu’il connaissait si bien.
***
La clairière était un petit havre de paix où Sephiro aimait venir s’isoler lorsqu’il en ressentait le besoin. En son centre, sortant des rocs une petite cascade plongeait dans un étang suffisamment profond pour y plonger et s’y rafraichir. Habituellement uniquement habité par des animaux… Une femme reposait au milieu des herbes mourantes de cette fin d’été. Une jeune femme aux longs cheveux argent. Il s’avançait prudemment dans sa direction. L’énergie qui l’entourait était… étrange. Il n’arrivait pas à savoir dans quel état se trouvait la femme étendue là. Toujours sur ses gardes, il s’accroupit et ausculta sommairement la créature face à lui. Tout en testant les réactions de l’inconnue, il envoya un nouveau signal à ses frères : ce n’était pas l’intrus qu’il cherchait, mais il y avait bien quelqu’un ici.
— Qui est-ce ? demanda la voix de Joras, son chef dans son esprit.
- Je ne sais pas. Une jeune femme inconsciente. Elle ne semble pas blesser, mais ne réagis à aucun stimuli. Je l’amène chez Olivia. Il faut que quelqu’un prenne ma relève.
— Compris. Va.
La communication télépathique prit fin. Sephiro rengaina ses dagues et prit la jeune femme dans ses bras. Elle était affreusement légère pour sa taille ! Cela inquiéta d’autant plus. Il devait se hâter !
Olivia était occupée à désinfecter le genou d’un petit garçon lorsque Sephiro fit irruption dans la salle de soin, quelqu’un d’inconscient dans les bras.
— Olivia ! cria-t-il, ne l’ayant pas vue.
— Je suis là, pas la peine de crier, dit-elle de mauvaise humeur, Voilà, tu peux y aller et sois plus prudent la prochaine fois Elio.
Le garçonnet s’enfuit avec un simple sourire pour remerciement.
— Bon, qu’est-ce que tu m’amènes là ? dit Olivia en se nettoyant les mains, étends-la sur le lit.
Sephiro s’exécuta. Vu l’humeur d’Olivia, ce n’était pas le moment de plaisanter.
— Explique-moi, dit la rouquine en commençant à examiner l’inconnue.
Sephiro lui raconta tout ce qu’il savait. Bien peu de chose, en somme. Comment il l’avait découverte et ce qu’il avait fait.
— Wahou, pour une fois que l’un de vous applique mes leçons ! dit-elle sarcastique.
— Je te rappelle que j’ai beau être Gardien, j’ai des aptitudes de guérisseur, évidemment que je t’écoute, dit Sephiro bien décidé à ne pas la laisser se défouler sur lui.
— Silence, je dois me concentrer, dit Olivia.
Sephiro fit un pas en arrière et regarda Olivia faire. Admiratif. Ses propres pouvoirs de soins n’étant pas si développés. Il pouvait prodiguer ses soins de base, mais en cela nulle magie, simplement les connaissances de transmises à tous les Gardiens lors de leur formation ; apaiser des douleurs légères, refermer de petites blessures… Là se trouvait la limite de ses connaissances et pouvoirs. Olivia pouvait faire bien mieux. Elle était capable de réparer des os. Il l’avait vu rattacher un bras d’un de ses frères, arraché par un loup. Elle était puissante, et l’une des femmes les plus instruites même parmi les guérisseurs. On chuchotait qu’elle serait élue au rang de druidesse d’ici la prochaine Lune. Les gestes sûrs, Olivia passait les mains au-dessus du corps de sa patiente. Une aura d’une douce couleur bleue entoura celle-ci. La guérisseuse fronça les sourcils et ses jolis yeux verts semblèrent un instant confus. Après plusieurs minutes à effectuer divers examens, l’aura s’estompa.
— Étrange, murmura Olivia avant d’ajouter d’une voix plus forte, aide-moi à la déplacer. Il faut la mettre dans une salle au calme. La pièce du fond près de ma chambre conviendra.
Sephiro hocha la tête et prit avec précaution la frêle jeune femme dans ses bras suivant Olivia. La soigneuse prépara rapidement le lit, ouvrant les draps et refermant ces derniers sur leur inconnue. Elle alluma un encens, censé aider à l’éveil des patients.
— Qu’as-tu appris ? Qu’a-t-elle ? demanda Sephiro une fois qu’Olivia eut terminé.
— Je ne sais pas. Elle est plongée dans un profond sommeil. Provoqué par un sort, semble-t-il, mais la seule chose que j’ai pu apprendre c’est qu’elle est dotée de magie. Je vais m’occuper d’elle jusqu’à son réveil. Je ne sais combien de temps cela prendra.
Sephiro hocha la tête.
— Pourras-tu…
— Je te ferais chercher si elle se réveille. Maintenant, va-t’en, j’ai du travail et toi un rapport à faire ! dit-elle en le pointant du doigt.
Sephiro parti sans en demander plus, même si l’humeur de la rousse semblait s’être apaisée, elle n’était pas pourtant calmée et il ne tenait pas à connaître son courroux. Le jeune homme prit aussitôt le chemin du quartier général des Gardiens. Tout à ses pensées, il n’entendait pas les chuchotis sur son passage. Le visage de l’inconnue le hantait. La finesse de ses traits, la pâleur de son teint… Il ne lui aurait manqué que des ailes pour qu’elle ne semble être un ange.
***
Les jours passaient et se succédaient sans qu’aucun signe de réveil ne semble s’annoncer chez l’inconnue des bois. Sephiro passait chaque jour voir l’endormie, une fois ses devoirs accomplis. Il savait que cela agaçait Olivia, mais pour se faire pardonner, il l’aidait autant qu’il le pouvait. S’occupant des blessures mineures, des petits bobos, l’aidant dans son inventaire. L’hiver approchait. Olivia devait être certaine d’avoir toutes les plantes nécessaires pour soigner les leurs durant les longs mois d’hivers jusqu’au printemps. Trocs, cueillettes, récoltes et achats des ingrédients qu’il lui fallait occuperaient ses prochains jours… Alors même si Sephiro l’agaçait à venir chaque jour dans l’espoir qu’il y ait une évolution avec la jeune femme, Olivia était bien contente qu’il soit là. Comme il avait de bonnes bases en soin, et des aptitudes de guérison, elle lui laissait volontiers les petits tracas du quotidien pour se préparer à la saison morte et pouvoir récolter les rares plantes qui ne poussaient qu’en cette saison : ce qui ferait faire de bien grandes économies au clan.
— Sephiro, c’est plutôt calme. Je vais partir une heure, il me manque certaines plantes.
— D’accord, je garde la boutique, dit Sephiro avec humour en rangeant les bandages de lin qu’il venait de compter.
Olivia lui donna une tape sur la tête.
— Ce n’est pas une boutique, dit-elle sévère, surveille l’anonyme. Il faut aller l’hydrater d’ici peu.
Sephiro rit avant de hocher la tête gravement. Régulièrement, la patiente était hydratée et nourrit. La magie leur était d’ailleurs bien utile pour cette dernière action. Il termina de ranger les bandages avant d’aller chercher de l’eau.
Il entra dans la chambre, chargé d’un plateau avec une carafe. La chambre était chaude, douillette et enfumée par l’encens. Un bâton brûlait constamment dans celle-ci sauf lorsque l’air de la pièce était renouvelé. Il posa le plateau sur la table de chevet. Il observa la jeune femme. Elle ne semblait pas avoir bougé depuis la première fois qu’il l’avait déposé dans ce lit. Il replaça une mèche de cheveux argentée derrière son oreille. Il suspendit son geste. Sous ses paupières closes, il pouvait voir les yeux de la jeune femme bouger à toute allure. Il prit sa main.
— Vous m’entendez ? Serrez ma main si vous m’entendez, dit-il d’une voix forte et ferme.
Il se répéta plusieurs fois jusqu’à sentir une légère pression contre sa main. Il sentit l’excitation le gagner. Elle se réveillait ! Après plusieurs jours passés ici, elle se réveillait enfin !
— Vous êtes en sécurité, dit-il essayant d’être le plus rassurant possible. Olivia ne lui avait pas tellement dit quoi faire si leur inconnue se réveillait, il envoya une alerte télépathique à Olivia. Elle n’était partie que depuis peu de temps, elle devrait pouvoir revenir sous peu.
La jeune femme s’agita papillonnant des yeux dans la pénombre de la pièce. Cela n’empêcha pas Sephiro de capturer le premier regard de la jeune femme : des yeux d’un violet lumineux et envoûtant.
— Où-où suis-je… ? articula-t-elle avec difficulté.
Avant que Sephiro ne puisse répondre, Olivia arriva paniquée dans la pièce.
— Que se passe-t-il pourquoi… ? IDIOT ! râla Olivia, tu ne pouvais pas simplement me dire qu’elle se réveillait ?
— J’ai fait au plus vite, grommela le jeune homme.
— Où suis-je… ? répéta la voix de l’inconnue.
— Vous êtes dans le Clan de Magnus, en sécurité, dit Olivia délaissant ses besaces pour s’approcher de sa patiente qu’elle examina. Comment vous sentez-vous ?
— Confuse… Je… de l’eau… murmure-t-elle.
Sephiro prit la carafe ainsi qu’un verre et le lui tendit.
— Buvez doucement, ordonna Olivia, de quoi vous rappelez-vous ?
Un silence suivi, seulement troublé par les petites gorgées que prenait la patiente. Elle posa le verre contre elle avant de regarder tour à tour les personnes qui l’entourait.
— Je me souviens seulement de comment je m’appelle…, dit-elle une once de panique dans la voix.
— Ne vous inquiétez pas, s’empressa de la rassurer Olivia, vous sortez d’un très long sommeil, il est normal que vous ne vous rappeliez pas tout… Dites-nous comment vous vous appelez.
La jeune femme ne sembla pas convaincue par les paroles de la rousse, mais répondit à la question. Sephiro et Olivia attendirent patiemment qu’elle leur réponde. Elle semblait chercher ses mots. Sa voix s’éleva dans la pièce, à peine plus haute qu’un murmure.
— Elena. Elena Caerfyrddin.
***
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