Chapitre 3
Le pépiement des oiseaux s’éteignait doucement tandis que le ciel se couvrait. Alors que le début d’après-midi s’annonçait, la luminosité déjà faible parut baisser encore. Comme si la nuit avait décidé de tomber plus tôt. Le bruit doucereux de l’eau tombant dans la forêt berçait Elena qui peinait depuis déjà plusieurs heures à rester totalement éveillée. Elle finit par s’allonger, incapable d’attendre plus longtemps que son père rentre. Elle avait déplacé son futon vers l’entrée de la grotte dans l’attente de son retour. Enroulée dans sa couverture, elle luttait contre l’envie de dormir avec pour seule compagnie le plic-ploc inquiétant de la pluie. Elle finit par sombrer dans le sommeil.
La pluie tombait depuis presque une vingtaine de minutes maintenant. Une haute et svelte silhouette se glissa dans la grotte et s’ébroua. Elle jeta un regard à la fillette endormie puis s’assit à l’entrée de la grotte juste à la lisière humide. Ses oreilles orientées vers la forêt, le dos bien droit, l’animal semblait à l’affut. Son pelage noir mouillé collait sa peau révélant une musculature impressionnante même pour un chasseur de son espèce. Ses yeux ambrés regardaient la forêt ou plutôt… l’eau qui tombait. Cette averse l’avait surpris. Il ne l’avait pas sentie venir, lui qui pourtant connaissait tous les signes de la nature. Il était sur les traces d’un jeune lapin. Ils devaient se nourrir, l’hiver avait été long et la nature sortait timidement de son terrier. Le printemps tardait à prendre ses aises. Toujours était-il qu’il allait lui sauter à la gorge lorsque l’averse l’avait surpris ; lui faisant commettre une erreur stupide qui lui fit perdre sa proie. La bête montra ses crocs, comme courroucée. Cette simple pluie lui faisait perdre le repas de sa journée ! L’inquiétude le gagna à nouveau et il tourna son regard vers la fillette endormie. Elle devait l’attendre depuis plusieurs heures maintenant. Il était parti longtemps avant de finalement trouver une trace de quelque chose à manger. Le canidé oubliait parfois combien elle était encore fragile. La petite fille se mit à trembler sous sa couverture, la serrant contre elle. L’animal se mit sur ses quatre pattes, l’inquiétude envahissant à nouveau ses sens. Il s’approcha d’elle, la flaira avant de coller sa truffe contre son front. Il était encore brûlant de fièvre. Laissant son instinct l’emporter, il se coucha contre elle. Ses flans collés à son dos, sa tête posée contre son épaule. Il faisait attention à pouvoir se lever sans la réveiller si jamais un intrus venait à entrer. Il était hors de question que quelqu’un s’approche ou s’en prenne à Elena. La simple idée que quelque chose puisse la blesser ou l’attaquer lui fit hérisser les poils et il sentit un grondement monter dans sa gorge. Il se força à se calmer. Ne pas la réveiller. Elle était malade. Et avec cette pluie qui ne semblait pas vouloir se finir et forçait, il ne pourrait pas sortir chasser. Pas qu’il ne trouve rien bien au contraire, mais la petite n’avait pas de feu ; il n’avait pas eu le temps de ramasser du bois. Une branche craqua, l’animal redressa la tête aux aguets. Un oiseau passa devant l’entrée de la grotte piaillant de mécontentement. Il se leva souplement, se plaçant devant Elena, et attendit, guettant au travers de la pluie. Plusieurs minutes s’écoulèrent avant que finalement l’animal en conclût que ce devait être l’oiseau qui avait fait ce bruit. Il sentit une petite main se glisser dans son pelage et l’agripper.
— Tu es rentré… ? demanda une voix fluette ensommeillée.
Le Loup ébène tourna la tête vers la fillette, ses yeux d’ambres brillant d’amour.
— Oui, rendors-toi… je suis là, je ne repartirai que lorsque la pluie sera passée.
Elena eut un petit sourire avant de se recoucher plus confortablement sur son futon, s’enroulant dans sa couverture. Elle n’avait plus rien à craindre, son père était rentré. Ils reprendraient bientôt leur chemin vers la maison et tout irait mieux. Elle sentit la langue râpeuse et humide du loup sur son front. Le bruit de la pluie tout à l’heure angoissant, devenait rassurant maintenant que son père était présent. Ses pensées s’arrêtèrent brutalement, tout comme le bruit ambiant.
— Tu n’es pas si difficile à trouver…, dit une voix que le Loup ne connaissait que trop bien.
Il se retourna un grondement sourd s’échappant de sa gorge.
— Oh, épargne-moi ça veux-tu ? Je ne suis pas là pour elle, dit la femme en s’avançant dans la grotte, je t’ai connu plus accueillant que cela Merlin, et ce même sous ta forme lupine.
Le Loup montra les crocs alors qu’elle faisait un nouveau pas dans la grotte. La pluie semblait l’avoir épargnée alors que dehors elle tambourinait sur les feuilles et les pierres.
— Il est temps.
— Non, répondit la bête en se postant devant Elena.
— Nous devons partir tôt ou tard ! Que cela soit maintenant ou plus tard, cela ne changera rien à son destin !
— Nous ne partirons pas maintenant Morgane. Elle est trop jeune. Je refuse de la laisser maintenant. Pars, gronda-t-il.
Morgane soupira. Qu’il était têtu ! Très bien, elle rendrait les armes pour cette fois. Il avait raison, six ans c’était trop jeune pour la laisser. Le loup la fixait de ses yeux d’ambres, la colère, la rage brillant dans son regard. La petite ne vieillissait pas comme eux, mais elle lui poserait un ultimatum. Ils ne pouvaient pas attendre trop longtemps.
— Tu as quatre ans. Dans quatre ans, nous devrons partir. Je ne te laisse pas le choix.
Les babines de Merlin se retroussèrent. Quatre ans. C’était trop peu. Mais il voyait dans le regard de la sorcière face à lui que s’il n’acceptait pas, cela serait pire.
— Bien. Mais tu n’interviens pas pendant ces quatre ans. Jamais.
Un sourire mauvais se dessina sur le visage de la sorcière. Il est vrai qu’elle était intervenue déjà plusieurs fois dans la formation et la préparation de la petite… Cependant, au contraire de Merlin, elle sévissait rudement lorsqu’Elena ne respectait pas les règles.
— Ça, c’est si elle respecte les règles. Tâches de les lui apprendre, je ne serais plus aussi indulgente qu’une simple fièvre.
Une ombre envahit l’espace avant qu’un corbeau blanc comme neige ne s’échappe de la grotte en un battement d’ailes fluides. Une fois que Morgane eut disparu au loin, Merlin fit plusieurs fois le tour de la grotte pour être sûr que plus personne ne viendrait les déranger. Cela fait, et à nouveau trempé, il se recoucha près de sa fille, la cachant de son corps massif. Il observa la pluie. Quatre ans, il avait quatre ans pour la former et la préparer à ce qu’il l’attendait. Sa fille avait beau être intelligente et vive… Cela ne restait que trop court. Elle n’était qu’une enfant, et ce même si sa maturité était bien différente des enfants de son âge, son développement en restait proche. Le clapotis de la pluie sur la forêt l’aida à réfléchir, il trouverait un moyen. Il était hors de questions qu’il abandonne Elena. Comme si le temps se calait sur l’humeur du Loup qui semblait se calmer, la pluie s’apaisa. Redevenant un écoulement épars à mesure que Merlin songeait à une possible solution.
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