Chapitre 1

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  • Qui suis-je ?

Ce fut la première pensée qui me vint en tête lorsque je me réveillais dans ce lit d’hôpital. Autour de moi, du blanc à perte de vue. En tournant la tête, je vis que j’étais le premier d’une immense série d’adolescents, qui attendaient, inconscients, vêtus comme moi d’une longue chemise blanche. Lorsque je tentais de me relever, je m’aperçus que j’étais cloué sur mon lit par des sangles étroitement serrées autour de mon corps. J’arrêtai rapidement de me débattre pour me concentrer sur mes souvenirs… Je paniquai en me rendant compte que ma mémoire comportait beaucoup de trous. La seule chose dont je me rappelais sur ma vie était mon prénom : Simon. A part cela, rien. Pas de famille, pas d’amis. Pas d’âge. Rien. Le vide total.

  • Bon sang, qu’est-ce que je fous là ? murmurai-je pour moi-même.

Je pris le temps de me calmer, puis je fis un inventaire des évènements qui auraient pu arriver. Un kidnapping, un effaçage de mémoire ? Rien de très probant, à part dans le scénario d’un film policier. Je penchais plutôt pour un trouble de la mémoire lié à un choc ou un traumatisme. Des bruits de pas résonnèrent soudain dans l’immense pièce silencieuse. Deux infirmiers vinrent vers moi, se saisirent de mon brancard et l’emmenèrent à travers une suite de portes battantes. Je tentai de leur adresser la parole :

  • Hey ? Qu’est-ce que vous allez faire de moi ?

L’un des hommes en blanc me mit immédiatement un masque sur le visage, m’empêchant de prononcer la moindre parole. M’étant résigné, j’essayai de repérer des détails qui pourraient me donner des indices sur le lieu où je me trouvais. Mais il n’y avait rien, que du blanc, encore et toujours. Enfin, nous arrivâmes dans une grande pièce. Au centre se trouvaient deux grands tubes, reliés à de multiples fils électriques. Autour, des rangées de soldats lourdement armés gardaient le lieu, ce qui fit revenir ma terreur.

Les deux infirmiers défirent mes sangles et retirèrent mon masque, puis me relevèrent de force, et me poussèrent vers le tube. Je tentai de me rebeller, mais compris rapidement que c’était inutile. Même si j’échappais à l’emprise des médecins, je ne réussirais jamais à passer le barrage de soldats. Je ne savais cependant pas si la mort la plus douce qui pouvait s’offrir à moi serait la mort par balle… J’entrai donc dans le tube, qui se referma derrière moi. Un autre adolescent, une fille, fut introduite inconsciente dans le deuxième tube. Puis je vis tous les infirmiers s’enfuir par la grande porte. Les soldats restèrent en place, mais de ce que je pouvais voir, ils n’en menaient pas large. Un sourd bourdonnement commença à se faire entendre tout autour de moi. Je frappai les parois de verre avec force, en criant :

  • Qu’est-ce que vous faites ? Laissez-moi sortir !

Une vive lumière éclaira soudain toute la pièce, et quelque chose d’imprécis, une sorte d’énergie entra en moi. Je tombai à genoux, ne pouvant supporter une telle intensité, laquelle se faisait de plus en plus forte. Tout mon corps me brûlait, la douleur était insupportable. Je hurlai à m’en briser les cordes vocales, avant de m’écrouler au sol, et de plonger dans un profond sommeil.

  • Oh… Alors c’est toi ? On va faire de grandes choses ensemble…

Je m’éveillai en sursaut en entendant cette voix inconnue me susurrer à l’oreille. Un coup d’œil m’apprit qu’il n’y avait pourtant personne dans la pièce où je me trouvais. Cette dernière ressemblait à un mélange entre une chambre d’hôpital et une chambre d’hôtel. Les murs étaient d’un blanc immaculé, mais de nombreux meubles d’apparence luxueuse s’y trouvaient.

Le souvenir de la voix étrange se dissipa immédiatement lorsque je m’aperçus que je ne contrôlais pas mon corps. Seuls mes yeux répondaient aux appels désespérés de mon cerveau. Persuadé d’être dans un cauchemar, je fermai les yeux de toutes mes forces. Je me levai soudain… sans que ce soit du fait de ma volonté. Quelqu’un dirigeait mon cerveau.

L’heure suivante se déroula comme dans un rêve éveillé. Aucun de mes gestes n’était intentionnel. Ce fut ainsi que j’allai jusqu’à un réfectoire, mangeai un petit-déjeuner, puis me rendis dans un grand auditorium. Je croisai plus d’une centaine d’adolescents qui, comme moi, agissaient de manière automatique.

  • On dirait une armée de robots, pensai-je amèrement.

Un homme entra soudainement dans la pièce. Sur son passage, nous nous levâmes de concert, avec un salut militaire des plus millimétrés. Une fois sur le promontoire, l’homme nous ordonna de nous rasseoir. Je pus alors le regarder plus attentivement. Il était plutôt petit pour un homme, mais compensait ce désavantage par une musculature assez développée. Ses cheveux étaient grisonnants. Il portait une blouse de scientifique, mais on sentait dans ses gestes un passé militaire. Ses yeux étaient scrutateurs, il balayait la foule d’un regard vif et acéré, qui me fit penser à celui d’un rapace cherchant sa proie.

Lorsqu’il croisa mon regard, l’ombre d’un sourire apparut sur son visage. Je compris à cet instant que j’étais la proie.

  • Bonjour à tous, commença l’homme d’une voix douce. Vous vous demandez sans doute pourquoi vous êtes là.
  • A quoi bon, ironisai-je.
  • Eh bien, j’ai l’honneur de vous apprendre que vous êtes les heureux élus d’une expérience qui s’est déroulée hier même. Vous voilà dotés de formidables pouvoirs !

Cela sonnait comme une caméra cachée. Mes mains se levèrent cependant toutes seules et applaudirent pendant quelques secondes, avant de s’immobiliser.

  • Ainsi, chacun d’entre vous peut maitriser l’un des six éléments qui existent dans ce monde : la terre, l’eau, la foudre, l’air, le feu et finalement la nature. Vous apprendrez bien évidemment à manier ces pouvoirs. Il y a cependant quelques règles à respecter : la première, soyez tous obéissants…

Je fus bien heureux de pouvoir lever les yeux au ciel à ce moment.

  • La deuxième, ne remettez jamais en cause nos paroles ou nos ordres… Et la troisième, respectez toujours vos supérieurs. Toute effraction à ces règles sera punie de la mort.

Les yeux du directeur rencontrèrent à nouveau les miens, et je compris qu’il ne mentait pas.

  • Un emploi du temps vous sera distribué au courant de la journée. Vous pouvez à présent disposer.

Tous les adolescents se levèrent, mais au contraire des autres, mes jambes me dirigèrent vers le directeur. Celui-ci était en conversation avec l’un de ses adjoints :

  • … leur avoir donné de telles règles ? Vous savez autant que moi que jamais ils ne se rebelleront.
  • Pour voir justement s’il n’y a pas eu d’autres ratés.

En me voyant approcher, il ajouta froidement :

  • Autres que lui.

Nous eûmes un long échange de regards, puis il déclara d’une voix glaciale :

  • Alors, c’est toi, le problème ? Simon Artel, c’est bien cela ?
  • Oui, Directeur, répondit ma voix.
  • Heureusement que le contrôle mental a fonctionné, soupira l’homme. Viens avec moi, nous allons avoir une conversation tous les deux.

Je le suivis en silence à travers les longs couloirs de ce que je pensais être un hôpital. Le Directeur marchait d’un pas rapide, jetant fréquemment des regards autour de lui, en particulier dans ma direction. Nous croisâmes de nombreux adolescents qui vaquaient à des occupations dont j’ignorais la teneur. Ne contrôlant pas ma bouche, je ne pouvais pas poser de questions, ni exprimer le mélange de terreur et d’excitation qui grondait en moi, mais je savais que de toute manière, le Directeur ne me répondrait pas.

Nous arrivâmes enfin devant un bureau, dans lequel l’homme entra, et alla immédiatement s’asseoir sur une chaise, avant de se mettre à me fixer de son regard froid et perturbant. Je restai debout, n’ayant pas d’autre choix que d’attendre.

  • Tu es toujours là, au fond de toi, n’est-ce pas ? finit-il par dire. Je le vois à ton regard.

Je clignais plusieurs fois des yeux pour confirmer ses paroles.

  • Je ne sais pas si tu as plus de chance que les autres… Cela doit être rageant, de ne rien pouvoir faire, n’est-ce pas ? Mais cela m’arrange bien. Si tu étais libre, tu serais capable de faire capoter tout mon plan. Quel plan, me dirais-tu ?

Je luttais intérieurement pour actionner mes lèvres, afin de lancer une réplique cinglante, mais n’y parvins pas. Je me contentai alors de la dire de toutes mes forces dans ma tête :

  • Vous aimez bien faire les questions et les réponses, à ce que je vois ? Tout ce que j’aurais à dire, c’est que vous êtes le plus grand des cinglés.

Comme s’il avait entendu mes pensées, le Directeur sourit sadiquement. Il poursuivit :

  • J’ai passé des années à préparer ce plan. C’est l’achèvement de toute une vie. J’ai dû faire de nombreux sacrifices pour arriver jusqu’ici, mais je ne regrette rien. Je veux faire de vous une armée. De bons petits soldats, parfaitement contrôlés, et qui en plus maitrisent les éléments. N’est-ce pas magnifique ?

Il s’interrompit un moment, puis se leva, pour venir se planter devant moi et me murmurer :

  • Oh… Ce que j’aime cette lueur de rage dans ton regard… Cela aussi, c’est magnifique. Toi, la pièce maîtresse, réduite au silence.

Il se mit à tourner lentement autour de moi, en continuant à parler d’une voix basse et désagréable :

  • Car, oui, toi, tu es spécial. Les autres ne maîtrisent qu’un élément, toi tu les maîtrises tous… Eux sont limités, toi tu peux tout faire ; et j’ignore moi-même si tes pouvoirs ont une limite… Eux ne sont que des faibles comparés à toi, et moi je le suis encore plus. Pourtant, d’une simple impulsion, je peux t’ordonner de te jeter par la fenêtre, et tu ne pourras rien faire pour t’en empêcher…

Il s’arrêta de tourner, et je sentis son souffle chaud sur ma nuque :

  • Avec toi, je serai invincible…

Le Directeur se tût, semblant être plongé dans ses pensées.

  • Tu peux retourner avec tes compagnons. Tu vas apprendre à maîtriser tes pouvoirs. Tu deviendras mon bras droit. Et je deviendrai le maître du monde.

Mes jambes se mirent en mouvement, et je sortis de la pièce, l’esprit glacé d’horreur.

  • Comment de tels hommes peuvent-ils exister ? Des personnes dénuées de sens moral, qui font tout pour assouvir leur soif de pouvoir, jusqu’à sacrifier des adolescents pour des expériences douteuses ?

Une voix sembla alors me répondre, du plus profond de mon être :

  • C’est le propre de l’humanité d’être comme cela… Et ça m’arrange bien !

Mon sang se glaça dans mes veines. C’était la voix que j’avais entendu à mon réveil…

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