Chapitre 5

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Un an passa. Je demeurai dans la ville, n’ayant de toute manière nulle part où aller. Le libraire m’engagea comme aide pour faire des livraisons, et ses contacts me donnèrent quelques petits boulots me permettant de vivre. Je vivais le plus souvent dans le grenier de la librairie, où je réussis à avoir un espace de calme et de liberté.

Comme elle l’avait promis, la Mort ne revint pas me déranger. De nombreuses fois j’hésitais à l’appeler, mais à chaque fois, je résistais. Mes soirées étaient rythmées par mes cours d’escrime. J’employais en effet mes économies dans ces leçons. Dès le début, j’avais trouvé un véritable talent pour l’escrime, et mon professeur m’avait rapidement proposé des cours particuliers afin de me perfectionner. Je maniais donc le sabre avec une grande habilité, ce qui n’aurait pas été pour déplaire à ma chère Amie.

  • Tu as dû faire de l’escrime dans ta vie passée, c’est impossible sinon, souffla mon professeur après que j’eus gagné un énième duel.

Je lui avais en effet confié que j’étais amnésique.

  • C’est possible, fis-je en haussant les épaules.
  • Tu ne te souviens vraiment de rien ? demanda-t-il encore une fois.
  • Rien. Et pourtant je me souviens de la définition de tous les mots de mon vocabulaire, je sais lire, écrire et parler plusieurs langues, je sais faire des mathématiques… mais je ne savais rien de l’histoire de notre planète, et je ne sais toujours rien de mon passé.
  • Mais alors comment es-tu arrivé ici ?

J’hésitais à lui révéler la vérité, ce que mon professeur vit. Il me dit d’un ton bienveillant :

  • Tu n’es pas obligé de tout me dire, tu sais.
  • Il vaudrait mieux que vous vous asseyiez, lui dis-je.

Nous nous installâmes autour d’un verre, et je lui contai tout ce dont je me souvenais, sauf le fait que la Mort était venue avec mes pouvoirs. Une fois que je lui eus tout raconté, mon professeur poussa un long soupir.

  • J’ai du mal à y croire, avoua-t-il. Mais cela me paraît trop construit pour que ce soit un mensonge. Et tu dois vivre avec tout ça depuis des mois ?

J’acquiesçai, et il resta silencieux un moment.

  • Quoiqu’il en soit, il faut absolument que tu en parles au gouvernement. Tout est évident à présent : ce que tu as vécu est en réalité…

Une détonation retentit alors, et la tête de mon professeur éclata soudain, projetant du sang sur tout mon corps. Je m’écartai vivement en poussant un cri d’horreur et m’accroupis près de son corps, refusant de croire à cette mort si soudaine. Je me repris, avant de regarder autour de moi, effaré, cherchant l’auteur de ce crime abominable. Une voix retentit alors, une voix que j’aurais souhaité ne plus jamais entendre :

  • Il était plus intelligent que la moyenne, celui-là. Alors, mon petit Simon Artel, comment te portes-tu ?

A l’autre bout de la salle, le Directeur me regardait. Une escouade de soldats lourdement armés se trouvait derrière lui, leurs fusils d’assaut pointés vers moi.

  • Je te déconseille d’utiliser tes pouvoirs, m’avertit l’homme comme s’il avait lu dans mes pensées. Tout le quartier est encerclé. Tu n’as aucune chance de t’en sortir… sauf si tu te rends immédiatement.
  • Vous avez pris des cheveux blancs, fis-je remarquer.

Une grimace d’agacement passa sur son visage, ce dont je tirais beaucoup de fierté.

  • Je n’ai pas le choix. LA MORT !!! VIENS !!!

Je m’attendais à entendre sa voix désagréable à tout moment, mais elle ne vint pas. Désespéré, je n’eus d’autre choix que de lever les mains en l’air.

  • C’est bien. Je n’en attendais pas moins de la part d’un faible comme toi.

J’encaissai l’insulte sans rien dire. Les mois passés en solitaire m’avaient également appris à contrôler ma colère. Deux soldats vinrent me passer les menottes, puis me trainèrent jusqu’au Directeur.

  • Tu m’as donné du fil à retordre, tu sais, cracha ce dernier. Mais je n’ai pas abandonné, et je ne regrette pas d’avoir gâché autant de temps et de moyen pour te retrouver.
  • Qu’allez-vous faire de moi, maintenant ?
  • Malheureusement, je ne peux te tuer ici. Je dois faire une exécution publique, pour montrer qui est le chef.
  • Pourquoi ? Vos soldats sont parfaitement contrôlés, non ?
  • Beaucoup de choses ont changé depuis que tu es parti, éluda le Directeur. Je dois faire face à quelques… révoltes. Bien. Assez parlé. Nous t’avons retrouvé, c’est le principal.

Il claqua dans ses doigts et ordonna d’une voix forte :

  • Nettoyez tout ça, qu’il ne reste rien. Quant à nous, nous rentrons. Envoyez un signal à la base, qu’ils nous ramènent en sécurité.

Le Directeur me traîna à l’extérieur. L’air était chaud pour une fin d’après-midi, et je mis un temps avant de comprendre. Tout le quartier était en feu. On entendait au loin les sirènes des pompiers.

  • Vous a-t-on déjà dit que vous êtes une personne exécrable ? crachai-je.
  • Tous les jours, répliqua le Directeur avant de me donner un coup de poing qui me plongea immédiatement dans l’inconscience.

  • Alors c’est lui ?
  • Faut bien croire…
  • Il ne ressemble pas au sauveur que tu nous avais promis, Jade…
  • Attends de le connaître avant de le juger, Victor…
  • Je vous entends, vous savez, dis-je en ouvrant soudainement les yeux.

Je vis que je me trouvais au sol, dans une petite cellule miteuse. Séparés par des barreaux, quatre adolescents me regardaient avec des yeux plein d’espoir. Je me relevai lentement, la tête endolorie, et m’appuyai contre le mur.

  • Tu es Simon, c’est ça ?
  • Le seul et l’unique, grimaçai-je. Et vous, qui êtes-vous ? Vous êtes venus admirer la bête noire de toute cette vaste plaisanterie ?
  • Je m’appelle Victor, se présenta un adolescent musclé au teint basané et aux yeux verts étincelants. Voici Matthieu et Lucie, poursuivit-il en montrant tour à tour un garçon à l’air vif et une fille aux longs cheveux bruns.
  • Je suis Jade, finit par se présenter une jeune fille aux courts cheveux blonds.

Je reconnus en elle la fille qui avait subi en même temps que moi l’expérience.

  • Toi aussi, tu as des pouvoirs spéciaux ? demandai-je.
  • Si on peut appeler ça ainsi, grimaça-t-elle. Je n’ai aucun pouvoir. Tu m’as tout volé…
  • Du moins c’est ce qu’on suppose, intervint Matthieu. D’après ce que Jade nous a raconté, on n’en a déduit que l’énergie qui aurait dû aller en elle est venue en toi, ce qui t’a conféré des pouvoirs plus importants…
  • Tu n’as rien raté, fis-je lugubrement.
  • Quant à ta seconde question, comme tu as peut-être pu le voir, nous ne sommes plus contrôlés par le Directeur. Nous voulons le dénoncer au monde entier.
  • Vous parlez peut-être en présence de micros ou de caméras, observai-je. Vous risquez gros en venant jusqu’ici.
  • Nous avons tout coupé, normalement… commença Victor.
  • Ton « normalement » veut tout dire, ironisai-je. Ecoutez, nous avons les mêmes objectifs pour l’instant : mettre dehors le Directeur. Mais pour cela, vous devez d’abord rompre le contrôle mental de tous les élèves. Et vous avez une occasion pour ça : mon exécution qui se déroulera dans quelques jours. Vous devrez être prêts à neutraliser le Directeur rapidement, avant que les soldats ne ripostent. Cela ne devrait pas être trop compliqué, puisque vous vous êtes vous-même libérés…
  • Eh non, me coupa Lucie. On ne sait pas comment on s’en est sortis.

Je restais bouche bée. Cela me rappelait mon cas.

  • Cela n’a rien d’étonnant, ricana la Mort.
  • C’est maintenant que tu reviens, toi, murmurai-je.
  • Pardon ? demanda Jade, intriguée.
  • Rien, rien, éludai-je. Je comptais sur vous pour répondre à cette question, puisque moi non plus, je n’ai pas la réponse.
  • Ça commence bien, grommela Victor.
  • Profitez de mon exécution pour vous échapper, proposai-je. A quatre, vous pouvez réussir à vous enfuir sans que le Directeur ne vous rattrape.

Au regard que les quatre adolescents échangèrent, je compris qu’ils avaient déjà réfléchi à la question. Lucie me demanda, hésitante :

  • Et… Et toi ?
  • Ne vous en faites pas pour moi, fis-je en m’étirant. Je trouverai bien un moyen de me sortir de là. En attendant, faites marcher vos méninges. Et ne passez plus me voir, cela paraîtrait trop suspect. Je m’adapterai le moment venu.
  • Dis-moi, lança soudain Jade. Tu n’as pas un plan en tête ?
  • Peut-être, dis-je avec un grand sourire. Et ce potentiel plan impliquerait que vous ne soyez pas présents. Si vous l’êtes, alors que vous n’avez aucun moyen de délivrer les autres élèves du contrôle mental… Je ne vaux pas cher de vos vies.
  • Tu me parais bien sûr de toi pour quelqu’un qui vient de se faire emprisonner et qui va être condamné à mort, répliqua Jade.
  • Tu me parais bien agressive pour quelqu’un qui n’a pas de pouvoirs, dis-je sans me départir de mon sourire.

Jade rougit, mais ne répondit rien. Je m’allongeai sur ma couchette et déclarai :

  • Quand on se reverra, je serai le gars sur la potence.
  • Quand on se reverra, on sera peut-être loin de là, fit Jade avant de tourner les talons et de s’enfuir en courant.

Les trois autres adolescents firent de même, après un moment d’hésitation et de vagues saluts qui ressemblaient à des adieux. Une fois seul, je respirai lentement, puis demandai mentalement :

  • Qu’est-ce que tu voulais dire ?
  • Tu sais très bien ce que je voulais dire. Je l’ai lu dans tes pensées.
  • Il y a d’autres Entités que toi, pas vrai ?
  • En effet. Je sais, pour les avoir déjà rencontrés par le passé, que le Temps et la Paix existent. Par déduction, il doit également avoir la Vie et la Guerre. Quant au sixième, il ne s’est manifesté que très rarement, et j’ignore qui il est.
  • Et ces adolescents en seraient les réceptacles ?
  • Non, seulement deux d’entre eux. Victor et Lucie.
  • Les deux autres ont donc trouvé un autre moyen de se libérer du contrôle mental.
  • Peut-être. Attention, ton meilleur ami arrive.

Des pas résonnèrent dans le long couloir, puis la voix du Directeur se fit entendre :

  • Tu es bien installé, Simon ? Tu ne manques de rien ?
  • Directeur. Que me vaut le plaisir de votre visite ?
  • A vrai dire, rien que l’orgueil de te voir, pour me convaincre que je t’ai enfin ramené à la maison. Au fait, pour information, tu seras exécuté dans deux jours, à l’aube.
  • Quelle gentillesse de votre part. Décidément, vous êtes le plus prévenant des bourreaux.
  • D’ici-là, poursuivit l’homme en m’ignorant complètement, n’hésite pas si tu souhaites quelque chose en particulier.
  • A part la liberté et votre mort, rien. Mais je doute que ce soit dans vos moyens.
  • Petit imbécile, cracha le Directeur. Je te ferai ravaler tes mots sur l’échafaud !
  • Comptez là-dessus !

Une grimace de haine pure traversa le visage de l’homme, et je crus sur l’instant qu’il allait me tuer immédiatement. Mais il se ressaisit, et lança, avant de partir en riant sournoisement :

  • D’ailleurs, tu n’as pas encore testé si tes pouvoirs marchaient ? Je te donne la réponse : non !

Je ne cherchai pas à vérifier s’il mentait ou non ; de toute manière, mes pouvoirs ne m’étaient d’aucune utilité.

  • Quel personnage intéressant, commenta la Mort. Avec vous, je ne m’ennuie pas.
  • Tu ne comptes pas m’aider ?
  • Je te l’ai déjà dit : si tu veux que je t’aide, il faudra tuer pour moi. Mais je lis dans ton esprit que tu es déjà moins réticent à l’idée de tuer, pas vrai ?

Je ne répondis pas, sachant pertinemment qu’elle avait raison.

  • Oh que oui, j’ai raison. Mais je ne t’embête pas plus longtemps : tu dois mettre en œuvre ton fameux plan…

Je me levai et allai regarder par la fenêtre. Un mince rayon de soleil me réchauffa le visage, et je repris espoir.

  • Oui, mon plan… Tout espoir n’est pas perdu.

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