Partie I - Chapitre 1

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« La pluie s’abat sur nous comme un véritable torrent. Une journée banale en automne. J’arrive à l’arrêt de bus, et me plante à côté d’elle. Elle tourne la tête et, s’apercevant que je n’ai pas de capuche, lève poliment son parapluie pour m’abriter aussi. Je lui souris en la remerciant. Elle a à peine le temps de répondre en souriant à son tour que le bus arrive. Le lendemain se déroule exactement de la même manière. Puis cela devint chaque jour notre rituel silencieux.

Je n’ai jamais autant souhaité que l’automne dure éternellement. »



Ce doit être le choc de la roulade qui m’a secoué la tête et a fait revenir ce souvenir. Comme si j’avais besoin de ça maintenant. Je ne veux pas m’en rappeler. Même si c’est à cause de ça que j’ai rejoint l’Ordre, je ne veux pas. Je secoue la tête, peut-être qu’un nouveau choc me sortira le souvenir du crâne. Mais non, moins je veux y penser et plus j’y pense. Je déteste ça. J’essaye de me focaliser sur la porte au bout du couloir, repenser à notre mission, juste pour virer ce souvenir dans un coin de ma tête, mais il persiste à rester le salopard ! Bon, on reste zen, on respire, on…


— Ça va Sabre ? demande alors Sniper.


Je me rends compte que je me suis mis à respirer un peu trop bruyamment, et mon visage devait sûrement être rouge. Enfin, s’il ne l’était pas, maintenant il l’est. Merci Sniper.


— Ouais, t’inquiète pas…

— C’est la réaction de Patriarche qui le fait stresser, lança Rapière. Si ça se trouve, il a tout loupé, rajouta-t-il avec un sourire narquois.


Non vraiment, j’apprécie l’intention, mais j’ai pas besoin d’une nouvelle raison de stresser.


— Euh, ouais, on va dire ça, répondis-je.


Tu parles. Laissez-moi tranquille !


— En même temps, Patriarche a de quoi faire peur des fois, dit Sniper.


Patriarche est en quelque sorte le chef de ce QG de l’Ordre. Il y a un QG aux quatre points cardinaux de la ville. Et Patriarche est, dit-on, très puissant. Si puissant que même la BAR n’oserait pas s’attaquer à lui, car un seul de ses regards pourrait vous tuer sur-le-champ. Si c’était vrai, Paris serait déjà meilleur. Et nous n’aurions pas besoin de tout un Ordre d’Assassins. Mais c’est vrai qu’il fait peur quelques fois, si peur qu’on a l’impression qu’il va nous tuer à mains nues.

Mais heureusement, il est pas souvent comme ça avec nous. Il sait reconnaître nos qualités et nos défauts, il sait reconnaître les erreurs, et n’attribue pas de missions impossibles à réaliser. Par exemple, je serais incapable de tirer sur une cible à cinquante mètres de distance, alors que Sniper, lui, si.


— Pfeuh, c’est juste que tu as pas de c…, commença Rapière.

— Vous voulez bien la fermer ? s’exclama Ombre. Je suis sûre que Patriarche vous entend, et dans ce cas attendez-vous à ce qu’il vous tue vraiment.


Nous arrivons à la porte. Ombre toque, et une voix à la fois douce et rocailleuse retentit de l’autre côté, nous invitant à entrer. Ombre pousse alors la porte et s’écarte pour nous laisser passer. J’essaie de gagner un peu de temps en jouant la fausse galanterie, mais elle m’attrape par le bras et me fait entrer de force. Je lui rendrais la pareille un jour.

Nous arrivons dans une petite pièce avec en son centre, une table hexagonale éclairée par une puissante lampe accrochée juste au-dessus et qui projette sa lumière sur toute la pièce. Sur la table se trouve une grande carte de Paris, bien dissimulée sous tout un tas de feuilles ; des rapports de mission, des ordres, des informations diverses, etc. Nous nous regroupons autour de la table puis nous saluons, jambes écartées et bras derrière le dos, qui doit être bien droit. En se redressant ainsi, j’entends la colonne vertébrale de Rapière craquer. Beurk. Ombre referme la porte et vient se placer entre moi et Sniper. Elle salue, puis sort une enveloppe de sa poche. Cette enveloppe, c’est l’objectif de notre mission, ce pour quoi nous avons tué quatre hommes. Ce pour quoi j’ai tué un homme. C’est peut-être brutal, mais ce n’est rien comparé à la BAR.

Patriarche s’avance près de la table, à la lumière de la lampe. C’est un homme à la carrure massive et au crâne carré. Son nez a subi de multiples fractures et une cicatrice découpe sa joue droite en deux. Malgré les signes apparents de son âge, il a l’œil vif et pétillant, prêt à réagir à la moindre chose inhabituelle.

Il nous interroge du regard. Ombre pose l’enveloppe sur la table puis s’incline avant de rejoindre le rang que nous formons, les autres et moi. Patriarche commence à lire le message, et un sourire – ou bien un rictus – se dessine sur son visage.


— La BAR pense savoir où se trouve notre QG. C’est-à-dire à trois pâtés de maisons d’ici ! (Il ricane.) Quelle bande d’incompétents. A moins qu’il ne s’agisse de désinformation… Non, ils ne pouvaient pas se permettre de sacrifier leur précieux ingénieur Varose. Tiens, qu’est-ce que c’est ?


Il retourne la lettre. Tandis que ses yeux parcourent la page, ses sourcils se froncent, lui donnant un air encore plus féroce. J’ai peur que sa colère retombe sur moi et que je ne sois pas accepté comme Assassin. Je jette des coups d’œil à mes camarades : ils sont tous aussi tendus que moi, j’ai même l’impression que Rapière tremble un peu. Et lui qui se moquait de moi ! Ombre, quant à elle, ne semble absolument pas s’inquiéter. Ou alors, elle le cache bien.


— Mmh… C’est un problème, repris Patriarche. Je vais voir ça avec les chefs des autres QG. En attendant, dit-il en pliant la lettre, je crois que nous devons féliciter quelqu’un. Aiden, si tu veux bien t’avancer.


Et voilà, nous y sommes. Je suis en plein sous le feu des projecteurs. La gorge nouée, j’avance d’un pas et reprends la position du salut.


— Aiden Gladia, j’ai l’honneur de t’annoncer que tu as réussi ta mission d’initiation. Désormais, à moins que quelqu’un y voie le moindre inconvénient, dit-il en élevant la voix et en promenant son regard sur mes alliés, tu fais désormais partie de l’Ordre des Assassins. Aiden Gladia est mort (mon cœur tressaute à ce moment-là) pour faire place à l’Assassin Sabre.

— C’est un honneur que de servir désormais l’Ordre, dis-je en m’inclinant. Je jure fidélité aux Assassins, jamais je ne bafouerai notre credo, et mon bras est désormais votre épée, au service de la Liberté et de la Justice. Laa shay'a waqi'un moutlaq bale kouloun moumkine.

Laa shay'a waqi'un moutlaq bale kouloun moumkine, répétèrent les autres.


Un silence s’installa pendant que je retournais dans le rang. Mon cœur fut soudain plus léger : non seulement parce que cette épreuve était passée, mais aussi parce que j’étais enfin devenu un Assassin.


— Mes amis, mes alliés, mes frères, repris Patriarche. Il est temps pour vous de vous retirer. Vous pouvez vous féliciter pour votre travail. L’Ordre vous recontactera au moment voulu. Quant à toi, Sabre, étant notre nouvelle recrue, tu devras venir t’entraîner. Reviens ici dans deux jours.

— Bien monsieur.

— Vous pouvez disposer.


Soupir de soulagement général. Tout le monde sort dans le couloir et se dirige vers les vestiaires. J’entends quelqu’un m’appeler, puis je me prends une grande tape dans le dos.


— Alors, ça c’est passé mieux que prévu, hein ? me demande Ombre.

— C’est sûr, je m’attendais à ce qu’il m’engueule sur un détail, mais rien. J’ai vraiment de la chance !

— D’ailleurs, c’est moi qui t’entraînerai.

— Je retire ce que j’ai dit.

— Eh, quoi ? Tu sais comment assassiner, très bien, mais ce n’est pas tout ce que doit faire un Assassin ! Tu dois te fondre dans la foule…

— « Ne pas faire de victimes innocentes, et ne jamais mettre la fraternité en danger ». Je sais.

— Je ne pensais même pas au Crédo. Non, vraiment, tu dois aussi savoir la jouer fine. Soit une brute, et tu te feras tuer dès ton premier contrat. Enfin, bien sûr, je vais devoir t’apprendre à te servir d’une épée.

— Vous avez déjà tous vu ce dont je suis capable lors de mon premier entraînement, non ? Même Patriarche a été impressionné.

— Oui, bon, d’accord, je reconnais que tu sais te battre, mais il y a quand même des failles dans ta garde. Enfin, je vais devoir te laisser, je vais me changer. A dans deux jours, Sabre !

— J’ai hâte d’y être… Ombre, soupirais-je.


Elle pousse la porte des vestiaires pour femmes – même s’il y en a très peu dans ce QG – et disparaît derrière. Même si je fais semblant du contraire, je suis heureux que ce soit elle qui m’entraîne : elle n’a pas pour habitude de se moquer des autres, et elle donne souvent de bons conseils. Je regrette juste qu’elle soit tout le temps aussi sérieuse.

Un quart d’heure plus tard, après m’être changé, je sors par une des nombreuses portes secrètes du QG, et je prends la direction de mon appartement. La pluie n’a pas cessé, je crois qu’elle tombe encore plus fort même. Je rabats la capuche de mon manteau sur la tête avant de hâter le pas.

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