Chapitre VI

10 minutes de lecture

Au petit matin, je me réveille et Camille, le sourire accroché aux lèvres comme à son accoutumée, me regarde d’un œil réprobateur.

- Avant hier tu étais en sauterie, hier tu t’es transformé en bon samaritain. Tu vas faire quoi aujourd’hui ?

Je lui tire la langue.

- Ça t’apprendra à vouloir me prendre au saut du lit sur le ton de la moralité.

- °° -

Après les frugalités matinales, je pars récupérer ma voiture. Aujourd’hui ce sera télétravail. Cela me permettra de me reposer de ma très courte nuit et surtout d’aller prendre des nouvelles d’Alice.

Nous étions rentrés aux environ de cinq heures du matin alors que le jour commençait à poindre. J’avais proposé à Alice de finir la nuit chez moi. Elle a préféré rentrer chez elle.

Je sonne à sa porte. Alice ouvre.

- Je ne te réveille pas ?

- Non, ça fait un petit moment déjà que je suis réveillée. Je t’ai entendu partir ce matin. Tu ne travailles pas aujourd’hui ?

- Si, mais en télétravail. Sans ma voiture c’est pas très pratique. Je suis allé la chercher tout à l’heure.

- Il faut que je récupère la mienne moi aussi. Tu pourrais m’y emmener. Je suis courbaturée de partout et j’ai des hématomes sur tout le corps, dans le dos, sur les fesses, les jambes.

- Montre-moi ! lui dis-je en riant.

- Oui c’est cela... Tu sais être un véritable goujat quand tu veux.

- Bon d'accord. Tu voudrais y aller pour quelle heure ? J’ai une visioconférence de seize à dix-sept heures. Je suis disponible avant ou après.

- Maintenant, c’est possible pour toi ? Je voudrai aussi passer voir mon cheval. Je te présenterais si tu veux bien.

- D’accord, rendez-vous en bas dans cinq minutes alors.

J’aide Alice à prendre place dans ma voiture. Ce n’est pas évident car elle grimace à chaque mouvement.

- Ça va aller ?

- Oui, ça va Olivier.

- Tu es sûre que tu vas pouvoir conduire en rentrant ?

- Il faut que j’y aille. C’est important pour moi et ce quelle que soit la douleur que je peux ressentir. Tu conduiras doucement ?

Je suis un peu dubitatif. Mais j’ai devant moi un mur de volonté qu’on ne soupçonnerait jamais vu la fragilité physique apparente qu’elle donne. Je me disais bien qu’en sourdine, il y a du caractère.

Arrivée au centre équestre, Alice ouvre la barrière d’accès à l’aide de son badge ce qui nous permet de stationner au plus proche de notre destination.

- Viens me dit-elle. Je vais te présenter « Voie-Lactée ».

A proximité du box, ça remue beaucoup. Des coups de sabots sont donnés nerveusement dans la porte, sur les murs. Et puis Alice appelle son cheval. « Voie-Lactée » passe la tête par les barreaux de la porte. Les retrouvailles sont émouvantes. La jument s’est calmée subitement. Elle se laisse caresser et embrasser sans difficulté. Je suis spectateur éberlué de cet épilogue heureux qui aurait pu être bien plus tragique.

- Tu vois ! c’était urgent que je vienne. « Voie-Lactée », je te présente Olivier.

Alice m’invite à m’approcher, à toucher l’animal. Je devine une certaine méfiance dans les yeux de l’équidé mais il se laisse faire.

- Parle lui.

- Euh, tu me prends de court. Tu veux que je lui dise quoi ?

- Ce que tu veux, ce qui te passe par la tête.

Qu’est-ce qu’elle ne me fera pas faire. Bon ok, c’est pour la bonne cause alors je me lance.

- « Voie Lactée », tu es une jument magnifique. Avec Alice vous formez un duo adorable. Depuis que je connais Alice, elle a pris une place énorme dans mon cœur. J’ai appris à l’aimer. Je ne devrais pas avoir beaucoup de difficulté à arriver au même résultat avec toi.

- C’est une déclaration ?

- Woui Mademoiselle.

Le visage d’Alice est devenu rouge pourpre jusqu’aux oreilles. Elle me regarde. Je sens qu’elle hésite entre fuir et rester et si elle hésite... Je lui prends une main, puis l’autre. Elle se laisse faire. Je pose mon front sur le sien. Mes yeux sont dans ses yeux, son nez contre mon nez.

- Je peux ?

Une seconde passe, deux, une éternité. Ses pupilles sont surprenantes, toutes bouleversées. Elle pose furtivement ses lèvres sur les miennes et les retire presque aussitôt.

- Ça c’est pour aujourd’hui dit-elle avec un joli sourire.

Je comprends que je n’aurai rien d’autre mais c’est déjà une avancée fantastique.

- Vivement demain alors.

- Tu crois tout de même pas que ça va être comme ça tous les jours. Vilain garnement ?

Je souris, j’ai dans la tête tout un programme.

- A demain Alice.

- °° -

Le lendemain, je quitte un peu plus tard mon bureau, ce qui me permet de rattraper une partie du retard accumulé. Je passe à l’appartement, douche, change de vêtements et me voilà chez Alice.

- Je t’attendais, je t’ai entendu rentrer.

- Tu vas bien ?

- J’ai mal partout mais à part ça, on peut dire que ça va. Je suis en arrêt de travail jusqu’à vendredi.

- Avec autorisation de sortie ?

- Oui.

- Alors viens, je t’invite manger dehors en tête à tête. J’ai repéré quelque chose de sympa sur le front de mer. C’est à deux pas d’ici.

La terrasse du restaurant a ceci de particulier qu’elle surplombe la plage directement. La communion avec la nature est franche, sans intermédiaire ; la plage de sable fin, la mer, le ciel. J’aime la mer parce qu’elle ne ment jamais. Elle est calme, agitée, bienfaisante et dangereuse en même temps. Certains diront même sournoise. Pourtant elle prévient toujours. Il faut juste interpréter. On sait ou on ne sait pas et si on ne sait pas il est préférable de s’abstenir.

En toute galanterie, je laisse Alice choisir sa place en lui présentant la chaise sur laquelle elle va poser son joli fessier, celle qui donne une vue magnifique sur les éléments naturels. Et comme je n’aime pas être en reste, je chamboule la table pour me placer à côté d’elle. Elle s’amuse de mon petit déménagement avec un regard interrogateur.

- Tu ne m’avais pas dit en tête à tête ?

- J’ai envie d’être à côté de toi pour pouvoir partager beaucoup plus qu’un simple repas lui dis-je.

- Waouh ! Et c’est quoi beaucoup plus ?

- C’est simple. Je m’arrange pour voir ce que tu vois et j’essaye de transposer ce qui passe par tes yeux sur mes yeux, juste pour partager ce que tu ressens, savoir ce que tu aimes, à quoi tu penses. Et lorsque ton visage est resté trop longtemps en dehors de mon champ visuel, je n’ai plus qu’à me tourner vers toi pour m’assurer que tu es bien là et me dire que tout cela n’est pas un songe. Et si je ne suis pas entièrement convaincu, je peux encore poser mon bras sur tes épaules ou prendre ta main pour vérifier que tu existes bien. On essaye pour voir ?

- Romantique, très attentionné, tu es bien différent des autres hommes. J’aime beaucoup.

- Un bibi, juste là en lui montrant mes lèvres.

Derrière son humble sourire, je discerne comme une angoisse, un frein puissant qu’elle ne sait pas gérer.

Elle pose ses lèvres sur les miennes, nos langues se touchent timidement, j’apprécie ce contact subtile, suave, d’une délicatesse hors norme.

- Humm ! Vous prendrez un apéritif ?

Je l’avais oublié celui-là.

- Un Whisky pour moi, sans glace.

- Et une Suze pour moi, avec un glaçon s’il vous plaît.

Les yeux d’Alice pétillent. Un véritable feu d’artifice, j’aime. Elle est délicieuse et adorable dans son naturel puéril.

- C’est surprenant Alice.

- Qu’y a-t’il de surprenant Olivier ?

- Avec toi, je redécouvre le plaisir d’aimer. C’était enfoui quelque part au plus profond de moi et voilà que tu arrives, et rien n’est plus pareil. C’est comme si je retombais en enfance, avec mes premières amourettes mais je ne savais pas ce que c’était qu’aimer.

- Je … pour moi, c’est pareil. Je ressens aussi quelque chose de très fort, un truc qui m’est tombé dessus sans crier gare et contre lequel je ne peux pas lutter … mais j’ai peur, peur de ne pas être tout à fait prête, peur aussi de ne pas être à la hauteur. Je suis bien avec toi, presque trop bien pour y croire. Je… je… Promets-moi d’être patient ?

Ses yeux sont plongés dans les miens. Ils trahissent une émotion intense qu'elle cherche à réfréner. Son corps s’est crispé légèrement. Elle est grave, sérieuse. J’ai déjà vu ce regard, ni timide ni provocateur, juste important. J’ignore de quoi il s’agit. Je sais simplement qu’il faudra attendre, mais attendre quoi ? Combien de temps ? Les questions me brûlent les lèvres mais je comprends que c’est trop tôt, que c’est elle qui donnera le tempo.

Je passe mon bras au-dessus de son épaule et je l’attire contre moi.

- C’est promis Alice et tu sais que je tiens mes promesses… Je t’aime.

Elle boit mes paroles. Elle se détend, elle sourit. Je la trouve belle, impétueuse dans sa fausse beauté juvénile.

- Merci Olivier. Je t’aime moi aussi.

- °° -

L'ombre est passée comme un nuage capricieux. Alice parle sans arrêt, se confie, interroge. Maintenant elle m’amuse et elle y prend plaisir. Je suis subjugué. Le restaurant est plein mais il n’y a que nous deux. Je l’écoute. On jacasse comme des enfants.

J’apprends qu’elle est propriétaire de son cheval, qu’il a une dizaine d’années ; un cadeau de ses parents pour ses vingt ans. Au centre équestre, elle n’a pas beaucoup d’amies. Les gens sont plutôt sophistiqués, trop à son goût. Ils se fréquentent entre eux sur des soirées mondaines et comme elle préfère le naturel, elle ne s’est pas réellement intégrée. Ça lui va très bien comme ça. Elle est plutôt proche de la nature. Ses parents sont agriculteurs et c’est sur leurs pâturages qu’elle a pu débourrer « Voie-Lactée », savourer le plaisir de la monter dans les près, dans les chemins. Un vrai bonheur de se sentir libre, en parfaite harmonie avec la nature. C’est une bouteille d’oxygène qu’elle n’hésite pas à utiliser pour se ressourcer au besoin.

- Tu as déjà monté ?

- Un cheval ? Non, jamais.

- Tu voudras essayer ?

La question est anodine mais je mesure toute la portée de ma réponse. Aux chevaux de pâturage, je préfère les chevaux de feu, plus faciles à dompter. Et dans mon esprit, la réponse était si évidente que je ne sais même pas pourquoi j’ai répondu tout le contraire.

- Oui, si c’est toi qui me coaches.

Je sens Alice radieuse. A lire dans ses yeux, je devine qu’elle nous voit déjà galoper ensemble sur la plage. Je crains d’avoir mis le pied dans quelque chose que je ne maîtrise pas. Après, monter un cheval, n’a apparemment rien de bien compliqué. Il faut tirer sur les rennes à droite pour aller à droite, tirer à gauche pour aller à gauche et un coup de jambes pour le faire avancer. Tout cela semble à ma portée. Je suis un peu plus réservé sur le galop et la façon d’arrêter la bête, mais je veux rester résolument optimiste. De toute façon, je n’ai plus le choix.

Le repas s’achève et nous passons un moment l’un contre l’autre à contempler la mer. Le soleil nous a fait le somptueux cadeau de se coucher juste sous nos yeux et lorsqu’il a entièrement disparu, dans la pénombre qu’il a laissée, Alice a envahi mes lèvres dans un baiser d’une sensualité magnifique. C’est la première fois qu’elle prend l’initiative et ce baiser n’en est que plus somptueux.

Seul inconvénient, prévoir un temps d’attente suffisant avant de se lever. Ça coince ... quand je n’y suis pas préparé et évidemment ça se remarque.

- On y va ? me dit-elle.

Je prends le temps de ranger mes affaires... Les autres clients nous regardent d’un œil désobligeant ou envieux. C’est selon. La main d’Alice dans la mienne, comme deux amoureux puisque maintenant nous sommes amoureux, nous sortons.

- On se promène ?

- Un autre soir si tu veux bien. Je suis encore toute courbaturée.

Dans le couloir de notre immeuble, nos lèvres s’unissent une dernière fois avant de nous séparer. Debout devant elle, adossé au mur, j’enlace Alice pour la retenir encore un peu plus longtemps. Nos corps se frôlent mais ne se touchent pas. Mes mains glissent doucement dans son dos sur son chemisier et je perçois l’armature de son soutien-gorge. Alice s’est raidie. Elle me repousse doucement.

- Tu as promis !!!

- Excuse-moi Alice. Vraiment désolé.

J’essaye de comprendre. Je n’ai pas toute la partition. Je me retrouve dans la peau d’un enfant qui a failli se faire gronder pour une bêtise qu’il allait commettre en toute innocence. Mais quelle bêtise ?

- D’accord. Tu es pardonné pour cette fois me dit-elle avec son sourire malicieux. A demain et merci pour cette soirée vraiment agréable. Je suis sous le charme.

- °° -

Allongé sur mon lit, je repasse en mémoire le film de la journée. J’avoue être dérouté par le comportement d’Alice. Elle est aimante pourtant elle affiche une réserve certaine.

Lorsque je veux la serrer contre mon corps, je sens qu’elle se raidit. Elle ne se laisse pas faire un peu comme une biche apeurée, une sorte d’angoisse intérieure qui la prend subitement et qui l’effraye aussi.

Lorsque je veux toucher son corps, c’est sensiblement la même réaction.

- Camille ! Tu crois qu’elle est encore vierge ?

- Oh ! Toi quand tu veux, tu sais aussi être très con. Elle n’a rien d’une nonne ton amoureuse.

- Merci pour le compliment... Mais tu as raison.

- J’ai toujours raison. Aller, arrête de ressasser me chuchote Camille. Dors maintenant. Ne te prend pas la tête. Elle t’aime, ça saute aux yeux. Tu l’adores, c’est plus qu’une évidence. Prends ce qu’elle te donne et n’hésite pas à lui donner tout ce que tu as. Elle en aura bien besoin.

- Tu sais quelque chose ?

- Si je devais choisir entre ma place et la sienne, je n’hésiterais même pas une seule seconde. Fais bien attention à elle.

- °°° -

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 7 versions.

Vous aimez lire jkf ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0