Chapitre IX 2/2
La chaleur peine à s’évacuer des murs. On prend place sur la terrasse. Alice vient se blottir à mes côtés tandis que le bouchon du champagne explose dans le ciel.
- A nos quinze premiers jours de bonheur absolu mon chéri. S’écrit-elle heureuse.
- Et à tout le bonheur qui nous attend encore ma puce.
- Oui, j’espère... J’ai reçu ma convocation ce matin. Ce n’est pas la semaine prochaine mais celle d’après. Je serai probablement hospitalisée trois ou quatre jours à Villejuif près de Paris. Ça ne dure pas très longtemps mais d’expérience, je supporte mal. Après, lorsque j’irai mieux, je passerai quelques jours chez mes parents. Ils me l’ont demandé. Si tout va bien, je serais absente une dizaine de jours. Tu penseras à « Voie Lactée » ?
- Évidemment ma chérie. Chose promise, chose due. J’en profiterai pour faire plus ample connaissance. Je suis sûr qu’elle a quelques petits secrets croustillants à me raconter. Tu préviendras aussi ton coach pour éviter qu’elle se pose des questions. Je ne suis pas certain qu’elle se rappelle de moi.
- C’est déjà fait et elle m’a dit qu’elle t’a trouvé plutôt mignon, posé et très attentionné.
- Vu les circonstances de notre rencontre, elle ne m’a pas spécialement marquée. Elle s’appelle comment déjà ?
- Julie. Tu verras, c’est une chic fille. Elle est très gentille, mais il ne faut pas s’en approcher de trop près.
- Tu sais que le danger ne me fait pas peur.
- Le danger, il est plutôt pour moi. Sentimentalement elle a toujours été à l'ouest alors elle est bien capable de te draguer.
- Si elle n'est pas mignonne, promis je ne me laisserais pas faire.
- Tu n'es qu'un gros rustre. Mais je sais que je peux te faire confiance même si parfois je me demande ce que tu fais avec une fille comme moi.
- Ce que je fais avec une femme comme toi ? Moi, je ne me pose même pas la question. Je vis. Je suis heureux. Je n'ai jamais été comme ça. Tu es là, c'est le bonheur. Tu n'es pas là, je pense à toi, à nous, à nous deux parce que je sais que c'est important. Pendant dix jours, tu dis ? Tu vas me manquer, énormément. Avec toi, j'ai envie de croquer la vie à pleines dents parce que je ne la conçois plus sans toi. D'ailleurs j'allais oublier, demain soir tu fais quoi ? J’ai une invitation piscine avec mes collaborateurs. Ça te dit de m’accompagner ?
- Demain Olivier, je reprends le travail. Je suis de l’après-midi. Je vais terminer mon service vers vingt-deux heures.
- Ah ! Mince.
- Et puis me baigner, dans mon état…
- Oui, j’y ai songé mais on est pas obligé de faire trempette et je ne voulais pas trop m’attarder, juste passer, te présenter, prendre un verre, discuter. C’est une bande de joyeux lurons. Personne ne se prend la tête et on évite soigneusement de parler boulot.
- Il ne faut pas que ça t’empêche d’y aller, si tu en as envie.
- Je sais bien ma chérie. Mais j’aurais préféré que tu sois là toi aussi. Bon tant pis. Je te rejoindrai à la fin de la soirée.
- Une dernière coupe et hop, dans les dunes.
- Je vais être pompette Olivier et je te rappelle que je ronfle quand j’ai bu.
- Toi pompette, ça doit être rigolo. Je demande à voir.
- Embrasse-moi mon cœur et on y va.
- °° -
Alice a tout préparé. Sac à dos, lampe torche, couverture s’il venait à rafraîchir, jumelles, carte du ciel. Ses yeux couleur noisette brillent. Ils sont trop beaux. Le champagne n’y est certes pas étranger mais c’est l‘excitation qui prédomine.
Les dunes, c’est juste en face de chez nous. Il suffit de traverser l’avenue puis la pinède qui borde la mer et on y est. Néanmoins, il faudra s’éloigner un peu plus. A cet endroit, elles sont protégées afin de préserver la flore et notamment les oyats. Ces plantes ont une capacité à retenir le sable avec leurs racines profondes et contribuent ainsi à ralentir l’érosion de la plage.
Alice me prend la main.
- On va passer par là. Je connais bien. Je viens souvent m'y promener.
Les chemins sont étroits. On se déplace le plus souvent en file indienne. Pour autant ma main reste précieusement accrochée à la sienne. Et si par inadvertance, elles venaient à se disjoindre l'espace d'un instant, c’est pour mieux se retrouver. Alice a pris la tête des opérations. Je me laisse entraîner par ce petit bout de femme extraordinaire, volontaire, décidé et enthousiaste. De temps en temps, elle se retourne vers moi pour me gratifier d’un sourire majestueux. Elle est heureuse et je le vois. Rien que pour son sourire, je ferai avec elle le tour du monde, plusieurs fois même, s’il le fallait. Il y a tant de chaleur, de délicatesse, de bonheur et surtout tant d’espoir. Son regard me rend tout chose. Je ne suis plus moi-même. Je suis elle et elle est moi. Je ne pense plus moi. Je pense nous et maintenant plus que tout, je pense elle.
J’ai conscience que ce bonheur puisse n’être qu’éphémère, fragilisé par un avenir incertain et plutôt que de vouloir le protéger à tout prix au risque de l’étouffer ou de le perdre, je préfère le vivre intensément à chaque instant avec elle. Pour elle.
- Nous sommes arrivés mon chéri.
Elle se jette dans mes bras.
- Je suis contente. Je suis vraiment heureuse. Viens, on va préparer le campement.
Je la regarde s’activer. Le plaid est jeté par terre sur le sable mou dans un creux de la dune. Les jumelles sont de sortie. La carte du ciel est dépliée. La lampe torche aide à s’y retrouver dans la nuit qui est tombée.
- Allonge-toi à côté de moi, sur le dos et regarde comme c'est magnifique Olivier.
Alice me prend la main. Le contact fusionnel est établi. Il n’y a plus rien à dire. Il n’y a plus rien à faire qu’à écouter cette main si douce qui me cause en silence.
- Ça fait très longtemps que j’ai rêvé de vivre ce moment, contempler les étoiles avec celui que j’aime et toi tu débarques dans ma vie et tu m’offres presque tout ce que je n’ai jamais eu. Le côté fascinant, c’est que chez toi, tout est naturel. J’aime beaucoup.
Alice se concentre maintenant. Elle se penche sur le ciel étoilé et d'un doigt précis, elle dessine dans l'obscurité des formes qui deviennent évidentes une fois tracées.
- Tiens regarde. La Grande Ourse, certain y voit un chariot, d’autres une casserole à l’envers et si on prend les deux dernières étoiles du fond et qu’on trace une droite, en la suivant par le haut, on arrive sur l’étoile polaire. Impossible de se tromper. Tu la voit là ? Le « W » avec une patte plus ouverte, c’est Cassiopée. Les Pléiades la-bas, c’est le petit amas d’étoiles que tu vois. Il fait référence aux sept filles d’Atlas dans la mythologie grecque mais en réalité, les étoiles sont bien plus nombreuses.
On prend la carte et on se projette ensuite dans la nuit. On cherche les planètes accessibles et une fois trouvée, on la regarde aux jumelles chacun notre tour. L’idée de poser mes yeux là où quelques instants plus tôt elle a posé les siens me remplit de sérénité. Je suis fier de ma petite sauvageonne qui se transforme maintenant en institutrice patiente et appliquée. J’aime tout dans cette jeune femme que j’ai osé trouver il fut un temps ordinaire. Je ne comprends même pas comment j’ai pu ne serait-ce qu’un instant imaginer pareil sacrilège, probablement un peu trop haut perché dans ma virilité masculine. J’aime le contact de ce corps exceptionnel. J’admire sa voix chétive de petite fille sage, je contemple son aisance, sa façon de vivre, la joie timide qu’elle manifeste parfois avec en fond d’écran cette tristesse déconcertante.
Alice m’emmène voyager dans l'immensité stellaire. Elle me dessine la Voie lactée, localise la planète Mars, les étoiles Aldébaran, Bételgeuse, et bien d'autres constellations.
- On peut observer trois mille étoiles à l'oeil nu mais il y en a beaucoup plus en réalité. Rien que sur la Voie lactée, on dénombre environ cent vingt mille soleils comme le notre. Tu imagines la probabilité pour qu'il y ait de la vie la haut ?
Elle est sérieuse, très sérieuse et parfois j’ai l’impression qu’elle se transpose seule dans cet univers qui lui est si familier. Je la récupère le temps d’un sourire et elle repart rassurée de ma présence.
- Tiens regarde, une étoile filante. On dit qu’il faut faire un vœu. C’est des conneries mais ce soir avec toi j’ai envie d’y croire.
- Et, c’est quoi ton vœux ma chérie ?
- C’est un secret. Je te le confierais que s’il se réalise.
- Tu ne prends pas beaucoup de risque lui dis-je en riant.
Alice me regarde. Ses yeux pétillent.
- Viens Olivier. J’ai envie de te surprendre.
- Houlà, il va falloir t’accrocher ma puce.
- On va se baigner ?
- Tu es folle. Il est deux heures du matin.
- Yes gagné. Trop facile avec toi. Allez viens. J’en rêve depuis des lustres.
J’abdique devant la détermination sans faille d’Alice. Je retire mes vêtements. Elle fait de même. Dans l’obscurité de la lune, nos corps nus, face à face se contemplent et se désirent déjà. On dévale la dune, la plage de sable fin, le sable tassé par la marée précédente. On discerne maintenant le reflet des vagues qui s’échouent fatiguées sur la plage. Il n’y a pas un souffle. La mer est d’un calme olympien.
Ma chérie vient se serrer contre moi. J’adore. Ses lèvres sont offertes, son corps est offert, son sexe est offert.
- Je t’aime Olivier. J’ai envie de faire l’amour. J'ai très envie.
Impossible de résister à un appel aussi direct, aussi sensuel et mon sexe a très bien compris. Je suis nu sur une plage déserte avec la femme que j'aime, ravissante, tout aussi nue que moi et … je bande comme un fou.
- Tout à l'heure dans la douche, c’était trop bon. J’avais oublié que c’était si bon. Vite Olivier, viens. J’ai trop envie.
Nos corps s’apprivoisent, nos âmes fusionnent, nos sexes s’unissent, nos mains se cherchent, nos lèvres se trouvent avec une facilité déconcertante. La mer, le ciel et le sable disparaissent, effacés comme par miracle par le vent de l’amour. Je ne vois plus qu’elle et d’ailleurs il n’y plus qu’elle. Elle est dans mes bras. Elle est dans mes yeux. Elle est dans mon cœur.
Alice est insatiable, gourmande et c’est un régal. Une vague plus téméraire que les autres, vient lécher nos pieds. Elle se tourne vers moi et m’embrasse amoureusement. Une seconde vague encore plus hardie que la première caresse nos chevilles.
- La marée monte. On va se baigner ?
L’eau est froide. On ne reste pas très longtemps juste suffisamment pour calmer nos corps encore brûlants d’amour.
De retour à notre campement sauvage, nous nous enroulons tous les deux dans la couverture. Mes mains traînent à la recherche de je ne sais quoi sur ce corps offert, abandonné à ma dextérité. Ma tête se cale dans le cou de ma bien aimée. Je respire son odeur. Je goutte ses cheveux humides avec un plaisir indescriptible. J’embrasse son oreille, ses lèvres et nous nous endormons radieux et conquis.
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