Lettre à Kasia
Kasia,
Non, tu ne rêves pas, il s’agit bien d’une lettre, comme on en écrivait avant (ici, « avant » est à lire en italique, mais l’écriture manuscrite a du mal à le rendre).
Tu te demandes probablement la raison d’une telle chose, pourquoi pas un mail ou un message sur Discord ? Eh bien, tout d’abord, parce que je ne suis pas très courageux. Non, ce n’est pas de la fausse modestie : aussi vrai que je temporise avec de l’humour depuis le début, ce texte est probablement celui que j’ai mis le plus de temps à écrire.
Là, certainement, tu dois déjà baliser.
Tu te souviens, ces discussions sur l’avenir de la planète, l’optimisme béat des imbéciles, et l’inconscience profonde des nouveaux parents ? Eh bien, parfois, quand on est ensemble, je me dis que finalement, même si la planète crame, si on court vers le fascisme et qu’on va tous crever avant de mourir ; même si tout ça, eh bien c’est cool d’être là et d’en parler avec toi.
Oui, c’est un euphémisme.
Je m’aperçois soudain qu’être sobre n’est pas forcément la meilleure idée pour parler clairement. Mais, tu me diras, au vu de notre état lorsqu’on parle toute la nuit, dehors, à picoler, je ne sais pas ce à quoi notre écriture ressemblerait.
Je sais, je sais, je traîne encore. Ça te dit, on se voit demain ?
Ça m’a toujours paru bizarre, le fait qu’on ait parlé de tellement de choses… enfin, je veux dire, ce qu’on est, ce qu’on a été, bref tout ce pourquoi on s’entend si bien. Les gens qui ne savent pas se parler nous énervent tellement… et pourtant, même pour rire, on s’est jamais posé la question de nous.
Oui, c’est ce « nous » dont je parle, mais ne secoue pas la tête avec cet air dépité. « Pas toi, Thomas », oui, j’étais l’élu, censé ramener l’équilibre dans la Force, pas la condamner au néant.
Mais ne me condamne pas. Pas encore. Tu valorises tellement l’honnêteté que, moralement, je ne peux pas faire semblant. Mais je ne te ferai pas l’affront de te le dire en des mots si communs et galvaudés.
Tu es certainement la personne la plus – non la seule, en fait – importante. Non, ce n’est pas niais. Non, stop ! Tu sais pourquoi je dis ça, je te l’ai déjà raconté. Tu es la seule raison que j’ai de sortir de chez moi et, bien sûr, d’écrire quelque chose avec un stylo.
Alors ne parlons pas, ne pensons même pas à l’avenir, condamné de toute façon, ni aux implications que la société voudrait nous faire bouffer afin de nous enfermer dans une identité. La seule question, après cette longue tirade, c’est : ça te dit, on se voit demain ?
De toute façon, tu recevras cette lettre plusieurs jours après l’envoi, donc on se sera déjà vu, vu qu’on se voit déjà tous les jours.
Parce que je te connais, je t’épargne l’affront d’attendre une réponse. Je voulais juste que tu saches ce que je ressens, et que tu saches que j’irai volontiers plus loin, avec toi.
T.
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