Lettre à A.
Comme tu le vois, je n’ai pas pu attendre que l’on se retrouve pour te parler. Oui, je sais, techniquement je t’écris, juste.
Il m’a semblé que tout ce temps passé loin de toi était une éternité aux confins de l’univers, alors que oui, bon, ça fait à peine plus de douze heures et tu habites à un kilomètre de chez moi. Et pourtant, c’est déjà trop. Pourtant je me prends à insulter le monde et la réalité, qui érigent des barrières et semblent en avoir rien à foutre. Mais je les insulte dans ma tête ; je ne voudrais pas qu’on me prenne pour un fou.
Pourtant, je le suis. Fou de toi, me dit mon cœur ; fou d’espérer me dit le monstre d’acier et de rouages froids qui m’a hanté durant tant d’années.
Alors je trouve cette folie rassurante, car tu m’as rappelé que, finalement, j’étais toujours en vie.
Tu me rassures quant à l’existence, à l’avenir, et tu m’éloignes de cette porte obscure qui a toujours été, et restera, aux tréfonds de mon cerveau. Tu m’en détournes et me donnes une raison de vivre.
Et en même temps que la vie que tu m’offres par ton existence, je suis terrifié.
Ce n’est pas une peur concrète, cernable, contrôlable, que les lois d’airain du geôlier dans mon esprit savent dompter. C’est un vertige quand, au bord du précipice, on se dit qu’un seul pas serait suffisant, juste une impulsion, pour aller vers un endroit mystérieux et terrifiant. C’est la peur qui me prend, soudain, quand je me souviens que le monde existe, en dehors de toi. Alors je prends du recul, je tremble, je te regarde et me demande : qui est-ce que tu vois vraiment, quand tu me regardes ? Est-ce qu’il y aura un jour où tu t’apercevras que je ne te mérite pas ? Où tu te demanderas qui est ce type, et qu’est-ce qu’il fait là ?
J’ai envie de vivre. J’en ai envie, comme jamais depuis très longtemps. Le plus grand drame de notre condition est la solitude, indéfectible, inaltérable et impitoyable. Le monde est cruel, la réalité prend tout, mais offre si peu de choses. Dans nos pensées, nos sentiments, nous sommes seuls. La vie est une tragédie.
Je reviens, je vais ranger l’adolescent dépressif dans son placard.
Je comprends aujourd’hui que tu as le pouvoir, immense, absolu, de briser cette malédiction. Évaporer cette solitude implacable, par ta lumière et ta chaleur. Et la seule chose que je souhaite en retour, c’est être autorisé à chasser la tienne, afin que nous soyons deux rochers dans la tempête, que nous étalions la noirceur à coup de pieds dans sa face, pour rire au nez de leur réalité et y répondre par la nôtre.
On se revoit très bientôt, de toute façon pas le choix : je ne peux plus me passer de toi.
Et c’est à ce moment-là que, normalement, je ris, pour dédramatiser, me cacher derrière l’humour et l’auto-dérision. Que je désamorce.
Mais pas cette fois.
D’abord parce que j’écris une lettre, et que je vais pas rire tout seul (ce serait bizarre), et puis parce que c’est aussi comme ça que je compte me jeter dans le précipice, avec toi.
Sans hésiter, sans reculer.
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