Lettre à Éli
Éli,
Si je compte bien, c’est la deuxième lettre que je t’écris, en 18 ans. La première t’avait fait rire ; j’avais découpé des lettres pour les coller sur une feuille, à la façon d’un tueur en série. C’est tout moi, ça.
Je ne compte plus, en revanche, les lettres, courriers, poèmes, ou simple mots que je t’ai écrit, sans jamais te les montrer, ou sans jamais explicitement te nommer.
Pendant des années, tu as été une muse, un idéal, un objectif. Puis tu as été une hantise, une blessure, un écho et, enfin, un souvenir.
Ce n’est que maintenant que je m’en aperçois, maintenant que tu m’as dit ce que tu as dit la dernière fois qu’on s’est parlé. Mon esprit a alors admis ce qu’il avait nié tout ce temps : tu n’as jamais cessé d’avoir un sens, jusqu’à maintenant. Toujours alors, je pense, il y a eu cette pensée, ce « peut-être », cet avenir incertain où ta silhouette flottait.
Notre histoire n’a pas été de tout repos. Il y a une voix malicieuse, en moi, qui dit même qu’elle n’a jamais vraiment existé. On s’est dit « au revoir » bien des fois, puis on s’est retrouvé, on s’est haï, blessé, tout en continuant nos vies chacun de notre côté. Et ce faisant, on s’éloignait, comme deux lignes obliques à partir de ce point où on s’est « rencontré ».
Celle que j’ai aimé, dès lors, n’a cessé de devenir un mirage. Je gardais le souvenir, je chérissais l’émotion, ce fossile mutilé qui m’a empêché, jusqu’à maintenant, d’aimer à nouveau.
En tout cas, pas comme alors.
Je l’ai cru, je me suis raconté des fables, comme quoi ma manière d’aimer avait changé. Mais je me leurrais. C’était ton fantôme qui était là, tapi, une étincelle, un espoir, une porte ouverte, toujours, « au cas où ».
Et puis là, tu m’as dit ces mots ; ces mots qui changent tout. Tu es heureuse, tu as cette nouvelle qui change tout. Et en moi, quelque chose s’est passé. Sur le moment j’ai pensé : « une page se tourne ». Mais comme il s’agit de toi, c’est plutôt un chapitre de fini.
Car, tu sais quoi ? Tu m’as libéré. Je ne t’aime plus. Je ne suis plus mélancoliquement amoureux, j’ai refermé la porte.
Pour l’ouvrir ailleurs et découvrir qu’en fait, l’amour n’était pas attaché à toi, à ton souvenir, à notre histoire. Car aujourd’hui, je l’ai retrouvé, ailleurs, oui, je suis amoureux. Et j’ai envie de croire, de cette façon romantique de voir le monde, que j’ai redécouverte aussi ; j’ai envie de croire que tes mots m’ont libéré. Tout est revenu, et je ressens aujourd’hui ce qui m’a été arraché quinze ans plus tôt : l’espoir. Celui de vivre, d’être heureux, de regarder l’avenir et d’avoir envie qu’il advienne, avec la personne que j’aime. Et qui n’est plus toi.
Car je ne t’aime plus, Éli. Et je suis heureux pour nous. Heureux de te le dire, de ressentir cette indifférence, certes bienveillante, mais libre de tes chaînes.
Au revoir, Eli.
Ou plutôt, adieu.
T.
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