Je suis dans un état de stress maximum. C’est idiot, certes, car l’enjeu est frivole. Mais à mon humble échelle, c’est important. Une course contre la montre, une stupide compétition ; premier arrivé, premier servi, et ça tombe mal, parce que j’imagine être salement en retard.

Pour les dix-huit ans de ma fille, sa réussite au baccalauréat, son acceptation à l’université, son déménagement à deux cents bornes de la maison, j’ai décidé de lui offrir un animal de compagnie. Compensation dérisoire, mais lourde de sens, à cette impression de l'abandonner.

Ça m’est venu comme ça, alors que je revenais de l’épicerie, quand j’ai vu ce petit bout de papier scotché à un réverbère : donne chaton, tout juste sevré, suivi d’un numéro de téléphone. Simple, lapidaire, urgent. De mon cerveau a germé la singularité. J’ai appelé, on m’a communiqué une adresse. Depuis je cogite au pas de course. Plus vite, bon sang, je dois aller plus vite !

Il y a un monde fou dans les rues. J’ai l’impression que la terre entière se précipite sur ce chaton, ce qui est ridicule, bien entendu. Tandis que j’accélère encore le pas, je m’imagine administrant crocs-en-jambe et bousculades aux autres prétendants. Laissez-moi faire ce cadeau à ma fille !

Enfin, j’arrive à l’adresse indiquée. Je sonne. La porte s’ouvre. Une jeune femme apparaît, un petit chartreux dans les bras. Suis-je la première ? S’il vous plaît, dites-moi que oui !