Un revers de la guerre

2 minutes de lecture

Des rais de lumière bleutés striaient, avec une régularité fantastique, le sol jonché de fourrage. La poussière dansait dans ces projecteurs sélénites, au rythme du silence particulier de la nuit, tandis que Guntasir sellait sa monture.

— Tout doux, mon vieux, murmura le champion revêtu de son illustre broigne auréoline et de son chapeau carré.

Le palefroi trapu secoua sa crinière et frappa la terre de son sabot. Il semblait dire : magne-toi, Guntasir, avant que

— Alors, tu t’en vas ?

Guntasir tourna la tête paisiblement, nullement étonné de trouver Emeline, les bras croisés, appuyée au chambranle de la lourde porte laissée entrouverte. Sa longue robe blanche la rendait spectrale dans la pénombre de la grange, mais son visage n’était pas vaporeux ; elle affichait le tempérament bien trempé qui faisait d’elle la propriétaire respectée du Corbeau Argenté ; dans son établissement, un des derniers qui n’avaient pas fermé durant les hostilités, les clients filaient droit. Cette poigne et cette volonté de fer avaient plu à Guntasir, mais ainsi qu’il l’avait redouté, ce caractère allait peut-être se retourner contre lui.

— Emeline… je suis un soldat blandkrien. Maintenant que Civronno est libre, je dois rentrer chez moi. Oui, je dois partir, ajouta le chevalier en serrant fort la sangle sous le ventre de son destrier.

— À la sauvette, comme le dernier des soudards, comme si je n’avais pas existé ?

Guntasir soupira.

— Je ne pensais pas qu’il serait nécessaire de…

— Je t’arrête, champion, dit Emeline en décroisant les bras. Je ne suis pas venu te supplier de rester. J’ai bien conscience que tu m’as donné, le temps de ces quelques semaines de siège, un réconfort qui n’appelait aucun lendemain. Cependant, j’aurais aimé que tu me dises adieu.

— Ce n’est peut-être pas un adieu, dit Guntasir en ajustant ses étriers.

Emeline, qui s’était rapprochée, posa sa main sur l’avant-bras du soldat.

— L’humour n’est pas ton fort, Guntasir, et je n’ai pas envie de rire. En revanche, je voudrais un dernier baiser.

Guntasir soupira de nouveau. Qu’elles soient servantes ou nanties, c'était toujours la même chose ; à chaque campagne, l'histoire se répétait. Comme si sur les champs de bataille, il devait prendre le temps de porter une dernière injure à ses victimes, pour s’assurer qu’elles soient anéanties. La comparaison était cruelle, bien sûr, mais il était le champion des blandkriens, autrement plus doué pour les choses de la guerre que pour ses relations avec les femmes. Sur ce sujet, au moins, le jeune Tom-ba pourrait lui donner des leçons.

Impassible, il prit entre ses grosses mains le visage délicat d’Emeline et se pencha pour lui déposer, sur le coin des lèvres, un chaste bécot.

Annotations

Vous aimez lire Goji ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0