07
Les symboles, concentrés au centre de la pierre, dépoussiérés, nettoyés de leurs impuretés, se dévoilèrent avec plus de netteté sous l’effet de l’eau.
Aussitôt, Éléna les scruta, les épia, les dévora et s’employa à en saisir le sens.
De son côté, Ivana filmait, sans s’efforcer à traduire, sachant très bien que, malgré certaines bases, là n’était pas son domaine d’expertise.
Ivan, lui, tâtonnait, beaucoup moins à l’aise qu’Éléna dans cet exercice, mais, avec un peu de discipline, il pensait bien être capable d’en comprendre la globalité.
Les symboles, mélange de runes nordiques, de figures géométriques, parfaits embrouillamini, les laissèrent un temps dubitatifs ; un temps trop long pour Ivana qui, sans ambages, demanda :
– Alors Éléna, qu’en penses-tu ?
Éléna se contenta de froncer les sourcils sans prendre la peine de lui répondre. Ivana n’insista pas, le « – Tu m’agaces, laisse-moi me concentrer ! » étant très clair.
Après quelques secondes passées à enregistrer différents plans, elle zooma sur les lèvres de sa sœur qui, lorsqu’elle était absorbée dans une lecture ou une interprétation quelconque, avait ce tic systématique de les remuer.
– Bingo, trop prévisible ma petite maboule, se réjouit-elle presque silencieusement.
Elle s’attarda sur les mouvements compulsifs et essaya de déchiffrer les paroles muettes. Avant de très vite renoncer :
– Ouais, bon, je ne sais pas trop quelle langue tu peux bien baragouiner…
– Hein ? ronchonna Éléna.
– Non non, rien, je parle toute seule… continue, continue !
Éléna fit abstraction du dérangement et, sans apparente méthode, se mit, avec agilité, à faire glisser ses doigts sur les symboles gravés.
Ne voulant pas plus la déranger – mieux ne valait donc pas troubler Éléna lorsqu’elle travaillait, au risque de voir fuser une remarque acerbe –, Ivana préféra s’adresser à Ivan, d’un caractère toujours enjoué et bien plus susceptible de partager ses informations. Elle prit cependant bien soin de chuchoter :
– Ivan ? Ça donne quoi ?
Ivan resta figé, ne redressa pas la tête, fronça lui aussi les sourcils et limita sa conversation à un simple « hum ». Avec lui, Ivana se permit d’insister :
– Ivan ? Alors, ça donne quoi ?!
– Oui, oui, je… attends… attends, je…
Ivana soupira, laissa Ivan continuer son analyse et appuya sur “arrêt”. Pas besoin d’encombrer sa carte mémoire avec l’inaction actuelle et le peu d’entrain dans l’échange. Pour s’occuper, elle immortalisa tout de même la scène par quelques clichés… vite remplacés par des selfies.
Soudain, en pleine pose débilitante, elle fut surprise par Ivan qui se manifesta sans crier gare :
– Là ! Là, là, tu vois là ? Ce symbole fait figure d’avertissement.
Il se tut aussi vite qu’il venait de s’éveiller. Déroutée, tout juste appâtée, n’en pouvant plus d’attendre un nouveau soubresaut, elle prit l’initiative de le relancer, sans plus se donner la peine de bavarder à voix basse :
– Ce qui veut dire que cette inscription est une mise en garde ?
– Hum… Ivan hésita, cherchant la bonne formulation. Pas nécessairement, c’est plus comme si… sa phrase resta en suspend.
– Bon, tu as compris le sens ou pas ? s’agaça un peu Ivana devant le manque de rythme de sa moitié.
– Il s’agit de faire attention ! claqua Éléna.
Ivana se renfrogna, devait-elle voir dans ce ton sec une réprimande ? Non, non… elle enchaîna :
– Si je comprends bien, nous avons là une "mise en garde".
Éléna expira bruyamment, se tourna vers elle et, sans oublier de montrer encore son irritation par quelques mimiques caractéristiques, céda à lui apporter ses premières conclusions :
– Il s’agit de comprendre qu’il peut y avoir des conséquences.
À entendre Éléna s’exprimer de façon si abstraite et connaissant l’aversion de sa femme pour ce genre de phrases énigmatiques, Ivan ne put retenir un ricanement.
Ivana fronça les sourcils, à son tour, et dans la foulée reporta toute son impatience sur lui :
– Quoi ?! Qu’est-ce que tu as à glousser comme un… comme un…
– Cool, chérie, ne te donne pas la peine de trouver une quelconque comparaison, je n’ai rien, rien, rien du tout ma chérie, se défendit-il à merveille.
Puis, sans en rajouter, Ivan rentra la tête dans ses épaules et, dans un mutisme profond, retourna se réfugier dans les symboles.
Désemparée face à leurs attitudes respectives, Ivana enragea :
– Bon alors ! Qui va, une bonne fois pour toute, m’expliquer ce que signifient ces maudits symboles ?!
– Oh ! s’énerva d’un ton sec Éléna. Peux-tu nous laisser les étudier et rester sage à la fin ?!
Plus de doutes possibles, Éléna la réprimandait… Sous le choc, gardant en tête l’infime espoir de se tromper, elle souhaita en avoir le cœur net :
– Je… je… tu m’engueules là, Éléna ?
La réponse fusa :
– Je veux bien comprendre que tu sois toute excitée mais, toi, comprends bien qu’être capricieuse ne fera pas avancer les choses plus rapidement ! Bien au contraire ! Alors, veux-tu bien, s’il te plaît, rester calme, patiente et silencieuse. Attends donc que nous ayons terminé au lieu de nous importuner toutes les trois secondes !
– Je rêve où tu viens de me traiter de…
– Capricieuse ?
– Capricieuse… carrément… Mais c’est toi, toi qui me traites de capricieuse ?!
– Oh, oh, ricanna Ivan, embrouille, uppercut, direct, riposte, les conséquences vont être terribles. Je vous mets en garde : ne vous lancez pas sur le sujet glissant du règlement de compte.
Éléna ignora la remarque et, délaissant les symboles, se dressa devant Ivana :
– Oui, c’est moi qui te traite de capricieuse.
– Répète !
– Madame veut savoir alors madame doit avoir, tout de suite, SA réponse ! Capricieuse ! Tu es là en train de faire ton "ouin-ouin", en train de trépigner dans tous les sens, en train de sans cesse nous déranger alors que, nous, nous nous évertuons à traduire. Alors oui, je te le redis : tu n’es qu’une sale petite capricieuse !
– Ooohh, je trépigne et je ouin-ouintise… Excuse-moi si, toi, tu n’arrives plus à être excitée… par rien, par personne !
– Bravo, c’est d’un fin, encaissa Éléna.
– Oui je suis excitée. Figure-toi que moi, sale frigide, je frémis et je vibre.
Éléna se tendit, grimaça mais se retint de répliquer. Par contre, ivana, lancée, les vannes ouvertes, ne s’arrêta pas en si bon chemin :
– Je m’excuse de vouloir tout de suite tout savoir ; si toi tu t’excuses de me faire languir avec tes phrases qui se la pètent !
– Allons donc, elle continue… C’est vrai que c’est exactement le bon moment pour les reproches. Tu n’es qu’une petite idiote, toujours à côté de la plaque.
– Oui, c’est ça, prends tes grands airs moralisateurs ! Tu veux me rabaisser, ne te gène pas, tu as toujours voulu et tenu à merveille le rôle de l’intello-frustrée de la famille ! Garde-le, il te va bien. À ravir !
– Et toi tu étais quoi ? La prétendue rigolote ? L’insouciante à l’esprit bohème ? L’écervelée qui ne s’est jamais donnée les moyens de réussir, oui !
– Oh ! Persiste à être insultante ma chère et tu vas trouver du répondant !
Éléna fixa Ivana, droit dans les yeux, attendant la phrase de trop, prête à répondre au besoin à tout geste déplacé.
Ivana ne la lâcha pas du regard, fulmina et, sentant monter une irrésistible envie de la claquer, attendit la moindre parole inconvenante pour se jeter sur elle.
– Oh oh oh, qui est l’heureux élu qui va assister à un combat de tigresses ? Grrrr ! Amenez la boue ! Uppercut, direct, riposte, préparez le ring !
Toutes deux se tournèrent vers Ivan et lui lancèrent des regards noirs – qu’il qualifia de regards tueurs. Il ne se démonta pas pour autant, mit son poing devant sa bouche en guise de micro et trompéta d’une voix qui porta loin dans la plaine :
– LET'S GET READY TO RUMBLE ! Dans le coin bleu, cinquante kilos toute mouillée, affichant trente-cinq victoires pour autant de KO, applaudissez Éléna, allias « la Hautaine-Frustrée » ! Dans le coin rouge, plus petite, plus potelée, avec un palmarès tout aussi glorieux, acclamez Ivana, rebaptisée « L’Écervelée-Capricieuse » !
Éléna et Ivana en restèrent coies et, devant leur manque de récation, Ivan, bien parti dans son délire, n’en resta pas là :
– Mesdames, la gagnante sera déclarée championne du monde du grand Oural. En signe de gloire, son nom sera inscrit, ici, sur cette pierre, comme cela se produit traditionnellement une fois par siècle ! Ôtez maintenant vos vêtements, mettez-vous nue et régalez-moi de ce spectacle dont je serai le seul juge.
Signe de tête d'Ivana ; acquiescement d'Éléna. Telles que deux sœurs complices, fusionnelles, savent le faire, elles oublièrent la raison de leur colère, se réconcilièrent en un clin d’œil et se ruèrent d’un même élan sur le pauvre Ivan.
– Hey, hey… non… à moi, à l’aide… pas le droit de toucher l’arbitre ! Non, aïe, ouille, non, non, mais arrêtez ! Folles dingues, barjotes ! Non, mais… NNOONN !
Sa voix résonna loin, tellement loin qu’elle dérangea une horde de corbeaux... tout juste arrivée là.
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