– Oh, aïe, oh, je me rends, j’abdique, vous avez gagné, concéda Ivan.

Couché sur le ventre, il subissait sans trop réagir les assauts répétés des deux femmes. Bien sûr, l’homme qu’il était, s’il l’avait voulu - le pensait-il -, n’aurait fait qu’une bouchée de ces deux harpies. Mais son but était tout autre, Punching-ballman-Ivan se sacrifiait pour leur bien-être.

Pas dupes, elles n’y allaient pas trop fort. Car bien sûr, les deux vigoureuses jeunes femmes qu'elles étaient, si elles l’avaient voulu - le savaient-elles - , l'auraient sérieusement blessé. Mais là n’était pas leur objectif, elles étaient lucides : Ivan venait de désamorcer, d’une habile manœuvre, une situation tendue, soudaine, inexpliquée et bien mal engagée.

Malgré tout, désormais affalées sur lui, elles hésitèrent un instant :

– Qu’est-ce que je fais de ce bras sœurette ? demanda Éléna qui s’évertuait à le tordre en guise d’immobilisation.

– Et moi, que puis-je faire de cette jambe ? rétorqua Ivana qui la tirait en tous sens.

– Je propose que vous me relâchiez ! Je suis vaincu !

– Qui est la « Hautaine » ?

– Qui est la « Capricieuse » ?

– Je ne vois plus du tout de quoi vous voulez parler !

– Hum, tu crois qu’il a compris la leçon ? questionna Éléna.

– Hum, je crois qu’il mérite bien plus…

– Hey ! Comment ça je mérite plus ?

– Dis-moi donc à quoi tu penses.

– Me permettras-tu de le punir… toute seule en privé ? proposa Ivana, avec déjà une idée bien précise en tête.

– Oh… bien sûr que je mérite plus ! Je serai votre prisonnier, maîtresse, se réjouit Ivan déjà perdu dans de salaces pensées.

– Silence ! ordonna Éléna. Je te le laisse, mais promets-moi qu’il s’en souviendra.

– Pour sûr... qu'il s'en souviendra, pour sûr, affirma Ivana à présent perdue dans d'inavouables fantasmes.

–Hum, hum... bon, soit, vous règlerez ça tous les deux, votre perversité ne regarde que vous.

Considérant cette bénéfique pause maintenant terminée, Éléna se releva… sans oublier de lui tapoter les fesses et de lui chuchoter un petit mot à l’oreille :

– Merci, Ivan.

Ivana se remit debout à son tour et, plantée devant sa sœur, ne sut trop comment réagir. Éléna la surprit en se jetant sur elle : de ses bras, elle l’enlaça avec tendresse.

– Pardon, p'tite sœur. Je ne pensais pas ce que j’ai dit.

– Si, tu le pensais ! C’est moi qui m’excuse, grande sœur.

Éléna réfléchit et lui accorda certains points :

– Oui, c’est vrai, tu es capricieuse, impatiente, écervelée et insouciante.

– Tu as oublié idiote, non ?

– Idiote ? J’avais aussi dit "idiote" ?

– Oui.

– Ah. Alors allons-y aussi pour idiote : tu es idiote.

Toutes deux se dévisagèrent. Ivan toujours au sol, craignant presque que leur querelle reparte de plus belle, les surveillait avec attention. Il n'en fut rien, un rire bruyant s'échappa de la bouche d'Ivana. Éléna, à entendre ainsi sa sœur s'esclaffer, l'imita aussitôt. Ivan, rassuré, satisfait, applaudit et tonitrua un retentissant « Ouhouh ! ».

– Ivana, je sais que je peux être chiante, frustrée, rigide, et que j’ai tendance à… à... hésita Éléna, cherchant le bon mot.

– Te la péter ! retrouva pour elle Ivana.

– Prendre parfois les gens de haut et… je le reconnais me croire, de temps à autre, supérieure.

– Tout le temps ! enchérit Ivan qui, maintenant debout, se massait le bas du dos.

– Des fois. Rarement.

– Tu plaisantes ? Très souvent ! se moqua Ivana.

– Ça y est, vous me réénervez ! Pour votre info, de toute façon sachez-le et permettez moi de conclure : oui, je suis supérieure aux autres. Point !

La crise de rire qui s’en suivit porta haut dans le ciel, si haut que même les corbeaux qui tournoyaient au-dessus d’eux l’entendirent.