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« Que de temps, à voir, à observer, à entendre, enfermée dans ma prison. Chère, très chère, mon adorée prison. Un jour, deux jours, une semaine, deux, un mois, une année, deux, trois, décennies, siècles, folle, millénaire, folle, à en devenir folle, le compte s’est arrêté.

J’ai arrêté de compter.

J’observe et je scrute, par instant m’abandonne au néant, j’entends et j’écoute, d’ici, votre monde qui a tant changé. J’aurais tant, tant, tant à vous apporter.

Vous m’aimeriez…

Vous allez m’a-do-rer. Vous allez vénérer votre reine-corbeau ! Vous vous enticherez de moi. Je vais vous apporter tout mon amour.

TOUT, mon amour.

Car je suis bienveillante, désintéressée, je n’attendrai strictement rien en retour, si ce n’est un peu de tendresse, un soupçon d’obéissance, un brin de distraction.

Vous me distrairez, en échange je vous protégerai.

Certes, pour avoir accès à mes faveurs, il faudra tout de même que je me venge un peu. C’est obligé, bien naturel, vous l’avez cherché, m’avez cherchée. Ça ne me plaît pas, croyez-moi, croyez-le.

Vos ancêtres n’ont pas été tendres, m’enfermer m’a rendue folle, folle folle folle. Vos aïeux ont cherché à me faire disparaître.

DISPARAÎTRE, MOI !

Moi moi moi, quelle hérésie ! Je tuerai quelques-uns d’entre vous, j’en torturerai d’autres, ça m’arrangera la tête, la raison me reviendra.

Ainsi mes névroses seront soignées.

Oui, ça me débarrassera de mon aliénation, aliénation mentale. Temporaire. Vous allez m’aider à guérir.

JE SUIS TRÈS MALADE.

Votre faute, enfermée, un jour, deux jours, une semaine, deux, un mois, une année, deux, trois, décennies, siècles, folle, millénaire, folle, à en devenir folle, le compte s’est arrêté !

J’ai arrêté de compter. J’ai déprimé, j’ai arrêté de noter… La note, ah ah ah, vous allez la payer !

Puis faudra écouter mes petits corbeaux ! Oui, va falloir les écouter, eux aussi ont été maltraités, qu’est-ce donc que cette manie de les caricaturer, de leur coller une bien vulgaire étiquette ?! Eux, des messagers de la mort ?

Jamais vous n’avez pensé ça ? Quid de vous, alors ?

Oh, vous faites partie de ceux qui les aiment, nos chers corbeaux. Oh… me semble moi que vous retournez votre veste !

Non ? Je me fourvoie ? Vous, vous aimez les corbeaux et les avez toujours accueillis. Oh, les niches dans les arbres étaient construites pour eux, rien que pour eux, pas pour les moineaux, encore moins pour les rouge-gorges… tiens donc.

Et les boules de graisse ? Vous en achetiez pour les corbeaux, rien que pour les corbeaux, pas pour les rouge-gorges, encore moins pour les moineaux…

Ah, je les entends si fort vos voix perverses, vilipendeuses, calomnieuses ! Menteurs ! Serpents ! Lâches !

Mes corbeaux vous auriez dû les accueillir dans vos demeures ! Vous auriez dû les vénérer, les protéger, les dorloter… Vous auriez dû les garder auprès de vous ; ils auraient été de bons conseils. Vous auriez dû leur ouvrir votre intimité ; ils m’auraient rapporté en détail vos plus profonds secrets.

En détail vos infâmes cachotteries, vos pensées de dégénérés !

Mais peut-être aurais-je été surprise – j’aime les surprises ! –, peut-être aurais-je pu trouver des fidèles parmi vous, des ouailles dédiées. Peut-être… mais c’est trop tard. TROP, TARD ! Car qui, qui parmi vous a hébergé mes chers bébés ? Qui, qui a simplement eu de l’affection pour mes chers cocos ?

Pas toi, ni toi, pas toi, ni toi, CHUT. Toi non plus, non, toi non plus… Personne ne s’est occupé d’eux… Aucun d’entre vous… Osez prétendre le contraire et je vous arracherai la langue !

Oui, oui mes cocos, je vous promets qu’ils expieront leurs péchés.

Vous vous confesserez ! Vous vous repentirez !

Alors, je vous accorderai l’absolution.

Ou une petite pénitence.

Mes corbeaux sont mes messagers, mes représentants, mes seigneurs. Vous allez les a-do-rer. Vous allez les vénérer ! Vous vous enticherez d’eux. Ils vont vous apporter tout leur amour.

TOUT, leur amour.

Car ils sont bienveillants, désintéressés, ils n’attendent strictement rien en retour, si ce n’est un peu de tendresse, un soupçon d’obéissance, un brin de distraction.

Mes cocos ne sont en rien funestes, simplissime vulgaire étiquette ! Ils ne sont en rien des messagers de la mort. Sommes-nous la mort ? Suis-je la mort ?

Alors j’en suis confuse… croyez-moi, croyez-le.

Je ne vous tuerai pas par plaisir, je le dois, c’est tout. Certains vont devoir mourir, souffrir, c’est inévitable, inéluctable. C’est la vie – ah ah ah.

Je me gausse parce que ce ne sera pas la vie, en fait.

Bref, fini de rire ! Ne riez pas ! Pas de moi, hein ? Jamais, de moi.

Je suis la reine-corbeaux, je suis une déesse, je serai votre impératrice, vous me serez redevables, je vous dominerai et vous m’obéirez.

Pour votre bien, ne vous y méprenez pas.

Je vais reprendre vos vies en main, je vais vous guider, vous rayonnerez, vous grandirez et vos âmes pures s’élèveront. Généreuse, je vous offre l’éternité.

Dans l’au-delà, ne vous y méprenez toujours pas, je ne promets jamais rien que je ne saurais tenir.

À nouveau vous serez mes fils, par extension je serai votre mère, vous m’aimerez, encore, je vous aime, toujours, comme une mère ses enfants, une mère qui veille sur eux.

Non, non, non mes chers corbeaux, cela ne recommencera pas, je vous entends protester, râler, vous inquiéter lorsque j’use du mot « fils ». Ils seront mes fils, oui, ils ne peuvent être que mes fils car je suis tout et serai tant pour eux. Je leur ressemble aussi, c’est un fait. Alors oui ils seront mes fils et mes filles, ils seront mes enfants. Mais ne vous inquiétez pas, ne vous formalisez pas, ne vous souciez pas du passé, de cette erreur passée où mes actions étaient toutes tournées vers eux, où je leur consacrais tout, tout, tout mon temps, jusqu’à – j’en suis bien consciente et tellement navrée – presque vous délaisser, presque vous mettre de côté.

Ils m’ont amadouée, vous le savez.

Ils se sont montrés intéressants, subtils, divertissants, ils m’ont accaparée.

Puis… ils m’ont trahie !

Mais vous, vous, vous chers corbeaux, n’êtes pas vils, vous êtes tant, vous êtes tellement, vous n’êtes pas mes enfants, vous n’êtes pas mes amis, pas mes bébés, pas mes amours, pas mêmes mes fils, car vous êtes MOI ! Vous êtes simplement moi. Vous faites partie de moi comme je fais partie de vous.

Vous êtes mon âme, mon corps, ma vie, nous ne faisons qu’un, nous sommes indissociables.

Je volerai en vous, vous me porterez.

Vous vous êtes inquiétés, cela est bien normal ; mais j’ai retrouvé mes esprits.


Tous mes esprits. Je ne suis pas dupe, mes chers cocos vous m’avez mise de coté, terrée dans ma tombe, ma tombe-prison, d’où je scrute, j’observe, j’écoute, j’entends, ce monde, ce monde qui a tant changé. Depuis un jour, deux jours, une semaine, deux, un mois, une année, deux, trois, décennies, siècles, folle, millénaire, folle, à en devenir folle, le compte s’est arrêté ! Folle… abandonnée au néant.

Je ne suis pas dupe et vous pardonne. Ensemble, mes cocos, nous allons régner, dominer, rendre mes fils malléables, être, être, et tout prendre, abuser, profiter, notre temps est venu ! Revenu ! Venu et peu importe leurs conditions, peu importe ce que mes fils deviendront !

Ils doivent payer !


Comment ça vous ne me comprenez plus ? Oh, je tiens des propos incohérents ? Tout en contradiction ? Suis-je contradictoire, est-ce cela que vous insinuez ? Vous ne voyez plus où je veux en venir ? Ai-je seulement l'envie d’aller quelque part ? Vous ne savez plus ce que sera demain, ce qu’était hier, je vous ai perdus. Vivez donc, alors, dans l’incertitude, vous m’avez rendue folle, folle, FOLLE. Enfermée trop longtemps, abandonnée au néant, moi votre reine-corbeau je vous le ferai payer.

Vous n’y échapperez pas. Ne m’échapperez pas. »

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