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Face au manque d’initiative d’Ivana, Ivan se décida à réitérer sa demande :
– Puisqu’Éléna me semble bloquée et que toi ma chérie tu me parais bien apathique, je vais répéter : pourrais-tu endiguer le délire mental qui frappe ta folle, dingue, foldingue de sœur ?
Aussitôt ces paroles débitées, sans prévenir, sans plus d’avertissement, Éléna décocha le premier coup. Elle inclina le canif et, du tranchant, l’abattit vers le doigt tendu d’Ivan.
Pas dupe, s’attendant à un moment ou un autre à un tel coup bas, Ivan réagit avec une promptitude telle qu’il surprit son assaillante.
Son index, bougé donc dans le même temps, s’orienta d’une façon telle qu’il para la lame côté plat. Dans cette toute autre position, à nouveau figés, tous deux reprirent leur affrontement visuel.
Éléna craqua la première en rompant le silence :
– Bien joué, Ivan. Je ne te pensais pas si vivace.
– Sous cette apparence anodine, dans ce corps qui te fait face, se cache une réelle gloire prénominale, jeune fille !
Ivan n’en dit pas plus et laissa à Éléna tout le loisir de comprendre et d’analyser :
– Ivan, j’ai beau essayer d’analyser tes paroles, je n’y comprends rien !
Ivan, satisfait de son petit effet, savoura cet instant. Puis, très vite, se dut de poursuivre son laïus :
– Ivan LE TERRIBLE ! Ivan LENDL ! J’ai la précision, l’adresse, la finesse de l’un…
Mise sur la piste, Éléna devina si promptement où il voulait en venir qu’elle ne lui laissa pas le plaisir de terminer :
– Et donc, puisque je décode ton raisonnement, tu as le côté terrible de l’autre ?
– Je dirais même plus : la cruauté, la rigueur, la brutalité de l’autre !
– Mais bien sûr. Et auxquels ancêtres prénominaux dois-tu ton côté geek, tes réparties foireuses, ton humour lourdaud, ta bedaine naissante, ta…
– Woh woh ! Woh woh… On n’attaque pas le physique, cela n’a rien à voir avec mes aptitudes Ivanesques !
– Arrêtons-là les niaiseries. Soyons honnêtes, tu es plus couard, pataud, maladroit, gentil, ok si tu veux même plutôt cool, que tous tes comparatifs inadaptés.
– En apparence !
– Une apparence anodine, ne manqua-t-elle pas de rappeler.
– Car, lorsque ce corps qui te fait face lâche les lions…
– Un lion n’aurait pas suffi, il a fallu qu’il y en ait plusieurs…
– Lorsque le dragon se réveille, si tu préfères…
– Non, vraiment, je n’ai pas de préférences en la matière.
– Alors lorsque le démon en moi prend le dessus, je deviens une machine de guerre, une arme redoutable, de destruction massive, je suis hors de contrôle, IN FIRE !
– On fire.
– Ah… Sûre ?
– Certaine.
– Certaine d’être sûre ?
– Absolument, mais je ne peux pas t’en vouloir, Ivan n’est pas de consonance anglo-saxonne.
– Absolument, « YA V’ OGNE ! »
– Quoi ?
– Ya v’ ogne, c’est du Russe, ma chère. Et "Éléna" n’est-ce pourtant pas de consonance… laissa-t-il sa réponse en suspens.
Ignorant sa remarque avec superbe, elle enchaîna :
– Ne va pas me dire que « yave gone » ça signifie « être en feu » ?
– Pour être tout à fait précis, en traduction française, ya v ogne, YA-V-O-GNE, articula-t-il en ouvrant grand la bouche, cela signifie « Je suis en feu » !
– Depuis quand tu sais ça, toi ? Car excuse-moi de douter, je ne remets pas en question tes compétences en tant que traducteur mais…
– Poursuis, je t’en prie.
– J’allais le faire. Mais je ne me suis pas rendue compte de très grande utilité russo-linguistique lors de notre arrivée en Oural.
Tout près d’eux, un raclement de gorge se fit entendre.
Ivan pensa bien tourner la tête, il en fut tenté mais son côté « Ivan tout juste revendiqué », lui intima l’ordre de ne pas quitter Éléna du regard.
Éléna pensa bien détourner son attention du « Ivan le bien connu et peu méchant » mais, au souvenir de sa parade réflexe, une partie d’elle lui ordonna intimement de se méfier de ce « Ivan tout juste assumé ».
Alors Ivana, jusque-là occupée à farfouiller dans un sac et laissant tout loisir à ces deux là de discutailler, prit la parole sans qu’aucun ne lui prête une attention visuelle :
– Oui Éléna, c’est bien ce que tu penses. Ton cher beau-frère a déjà cherché la traduction russe de « Je suis en feu » sur Google.
– Ivana ! Tu abuses, tu casses le mythe, là.
– Oh, la légende s’effondre… déjà… comme c’est malheureux. Oserais-je te demander, frangine, dans quelle circonstance il a cherché cette traduction ?
– Parce que mon amour de mari s’est… déjà… posé la question de nos gènes prénominaux… s’attrista-t-elle.
– Non, tu rigoles… Non, vous avez… déjà… eu cette conversation ?!
– Ivan m’a en effet… déjà… longuement tarabiscotée avec le prénom Ivan.
– Wahou, c’est rude.
– D’ailleurs, je ne t’ai pas tout dit, mais selon sa théorie, le dérivé féminin d’Ivan, en l’occurrence Ivana, aurait tout de même la chance de porter une partie de la gloire prénominale de ses ancêtres masculins…
– Tu m'en diras tant.
– Ivana La Terrible, terrible révélation que tu fais là de nos petits secrets.
– Tu te rends compte, s’il s’était appelé Louis, s’alarma Éléna.
– Ou Benoît.
– Ou Charles.
– Ou Jean.
– Ou François.
– Et imagine donc qu’il se soit prénommé César, Napoléon, Néron…
– Gengis Khan !
– Hannibal, Attila !
– Geronimo !
– Oh oui ! Soit donc mon indien, Ivan, gloussa Ivana.
– Que vous êtes puériles – un long soupir se fit entendre –, puis vous êtes parties sur des noms, ça n’a plus rien à voir, ça ne fonctionne pas !
– Sitting Bull !
– Cochise !
– C’est bon, arrêtez-là les niaiseries.
– Dommage.
– On s'amusait bien.
– Hey ! lança-t-il à l’intention d’Ivana, Yakari, le temps que je m’occupe du général Custer, va donc attendre « Ivan l’étalon on fire » dans le tipi.
Éléna et Ivana tiquèrent, laissèrent entendre respectivement des « euh... », « hein ? », « oh ! », « quoi ?! », « non ! ».
Ivan, lui, ne tiqua pas, du moins pas pour les bonnes raisons :
– Le général Custer, George Amstrong de ses prénoms, s’est longtemps battu contre les indiens, avant de mourir lors de la bataille de Little Bighorn. Voilà, pour votre parfaite information. Quant à « Ivan l’étalon » c’est parce que… ça sonne comme un nom indien… hein ? Vous comprenez ? Non ? Le "on fire" c'est… nous venions d'en parler donc… j'ai trouvé approprié d'en…
Ivan s’aperçut, à la voir lever les yeux au ciel – un millième de seconde, pas plus –, de la perte définitive d’Éléna. Pour parfaire le tout, elle envoya, par le biais d’un long et profond soupir désespéré, le message, parfaitement compréhensible : « quel stupide crétin ». Il tenta un œil en direction d’Ivana mais ne fut pas plus rassuré.
Agenouillée, les épaules affaissées, elle semblait porter tout le poids de ses paroles. Sa tête se posa d’ailleurs trois secondes sur le sac qu’elle s’évertuait toujours à explorer. Finalement, peut-être par pitié, elle releva la tête et s’évertua à expliquer à son idiot de mari :
– Espèce d’andouille, premièrement Yakari est un garçon.
Ivan tiqua et laissa entendre respectivement un « euh... », « hein ? », « oh ? », « quoi ? », « Mais non ! ».
– Yakari est une fille, elle a les cheveux longs, se rassura-t-il avec cet argument imparable.
– Mais quel crétin, mais quel crétin. Quel stupide crétin.
– Chéri, je vais t’apprendre une chose : les garçons aussi peuvent avoir les cheveux longs.
« Non, c’est débile !
Cheveux débiles, plumes mieux. »
– Oui mais… mais Yakari est une fille, n’en démordit pas Ivan… déjà… à court d’arguments.
– Yakari est un indien, et les indiens ont, je crois, quasi tout le temps les cheveux longs.
– C’est moche de généraliser ! Quel stéréotype tu nous sors là, chérie, tu me déçois. Je vais t’apprendre une chose : les indiens aussi peuvent avoir les cheveux courts !
– Stop ! Assez ! S'emporta Éléna. Là n’est pas le problème, revenons-en au principal.
– Bah si, faut savoir si c’est un garçon ou une fille, ça a son importance, madame je sais tout et veux tout gérer.
– L’important est que Yakari est, et j’en sûre et certaine et certaine d’être sûre, un enfant ! Même pas un ado, un enfant, juste un en-fant ! articula-t-elle en criant bien sur chaque syllabes.
Ivan encaissa cette information et en resta coi. Pas bien longtemps. Reprenant contenance, ne prenant pas tout pour argent comptant, il demanda confirmation à sa moitié :
– Chérie, dis-lui qu’elle se trompe, Yakari est… bien plus vieille que ce qu’elle prétend, hein ?
– Chéri, Yakari est un, petit, garçon.
Ivan encaissa une deuxième fois ces sombres informations et en resta une seconde fois coi. Éléna réagit pour lui :
– Du coup, c’est dégueulasse de comparer ta femme à Yakari, à savoir donc un très, trop, jeune garçon, et de lui dire d’attendre, dans le tipi, « Ivan l’étalon », à savoir un très, trop… vicieux monsieur au nom indien significatif. J'insiste avec le "on fire" ?
« La dernière fois que j’ai dit un petit garçon de m’attendre, c’était juste avant de le faire cuire.
Yeux enfants meilleurs crus. »
– Non mais alors euh…
– Je ne connais pas vos jeux sexuels et j’aurais préféré, vraiment, ne rien en savoir.
– Non mais euh alors…
– Non non Éléna, mais je… nous…
– Arrêtez ! Vous êtes tous les deux à mettre dans le même panier, tous les deux de gros pervers, c’est tout, c'est officiel !
– Non… mais c’est juste que…
– Merci, hein ! Ivan le nigaud qui n'en rate pas une ! râla Ivana vexée d’être mêlée à tout ça.
– Je me suis juste trompé, je ne savais pas ! Et, excepté vous, qui se rappelle de Yakari, d’abord ?!
– Tout comme tu ne savais pas – voilà d’ailleurs qu’il aura fallu cette discussion improbable pour que je fasse le rapprochement – que ma sœur n'avait que dix-sept ans… à l’époque.
– Mais… dix-sept ans trois-quart ! Et je l’ai rencontrée en boîte de nuit, comment j’aurais pu le savoir ?
– Je suis sûre qu’il va aussi se servir de l’alcool comme excuse.
– Oui, j’étais aussi un peu alcoolisé et…
– Tu expliqueras tout ça au juge.
– Oh puis vous m’emmerdez ! Yakari avait peut-être dix ans dans le dessin animé, bien qu’elle en fasse largement dix-huit, mais quoi qu’il en soit, je ne pensais pas à Yakari des années 80 mais à celle – apparemment celui – de nos jours ! Soit avec quarante ans de plus !
– Donc tu me compares, là, à une cinquantenaire… c’est ça ? comprit aussitôt Ivana.
– Je…
– T’en manques pas une, hein ? analysa Éléna.
– J’avoue que je m’enlise un peu.
– Tu n’as plus qu’à te rattraper.
– C’est une bonne idée, ça. Je vais faire ça. Me rattraper. Euh… hum… une petite piste peut-être ?
– Oui ! Carrément, laisse-moi t’entailler, histoire de faire couleur un peu de ton sang sur cette pierre.
– Ah… Et on oublierait tout cet imbroglio ?
– Nous pourrions.
– Et ne plus jamais en reparler ?
– Ce serait possible.
– Ni même y faire une quelconque allusion ?
– Jamais, bouche cousue.
– Ok… battît en retraite Ivan. Une toute petite entaille, alors, hein ? Comme une griffure, ok ?
– C’est parti.
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