Le destin d’Ivan a tout loisir, carte blanche, pour s’exprimer, s’amuser, se jouer des conventions sociales.

Et c’est donc là, qu’une autre partie particulière entra en lice.

Une partie bien précise mais qui ne gardera, elle, aucune séquelle, pas la moindre cicatrice, non plus un des quelques petits bleus, de cet élan précipité de simple héroïsme.

Car lors du choc, la tête d’Ivan, lancée en avant, projetée à une vitesse folle, pointa, cibla, fila droit sur Ivana.

Au moment du choc, la tête, en tant que partie dure exclusivement physique, et le cerveau d’Ivan, en tant que partie cérébrale essentiellement psychique, auraient pu s’associer pour que, dans un réflexe de pur survivalisme protecteur, il hausse ses épaules, rentre son cou à la manière d’une tortue malmenée et recroqueville sa caboche pour se la protéger au maximum.

Celle-ci, alors cachée, à l’abri, dans l’idéal mise en boule, aurait fait front et aurait patiemment attendu, quelques minutes, secondes, que tout passe, défile et que chacun retrouve ses esprits.

Avec un peu de malchance, cette même tête, non contenue, se serait entortillée dans la confusion des corps, dans le vrac des membres en fouillis, sans blesser qui que ce soit, sans heurter quoi que ce soit, juste ballottée en tout sens sans plus de gravité qu’un léger tournis persistant.

La poisse sifflotant, là, envieuse de la malchance et se joignant à elle, une cinglante claque aurait été la conséquence de ladite tête agitée ; une légère marque rouge aurait constitué tout le fond du problème.

La guigne, encore elle, à l’affût, convoitant une partie endiablée avec la poisse et la malchance, la répercussion aurait justement été une percussion. Malmenée, rudoyée, blessée par un doigt ou deux, figée sur un poing… Les lèvres pour exemple auraient pu s’ouvrir, mouillées… de sang.

La mésaventure enfonçant la porte, toutes folles, une partie à trois peut se faire à quatre, le nez écrasé, étouffé, la bouche martyrisée, soumise à un interminable frotti-frotta. Le visage aurait raclé le sol, la cervicale aurait craqué, Ivan paralysé. Pris au piège, mais pas ensanglanté.

Le destin, choyé, sondant la mésaventure, désiré, s’empreignant de la guigne, réclamé, s’emmêlant à la poisse, convoité, se délectant de la malchance, laissant la situation devenir orgie, tout y est débauche, perd le contrôle, s’abandonne, explose et se termine ! Tout s’achève par au moins un mort. Avec un destin pervers, hébété, excité de ses alliées, la tête se serait alors cognée sur la pierre, elle-même ; le crâne, partie palpable, le cerveau, partie sensorielle, alors associés pour toujours dans une mare faite de fragments d’os, de gélatine et, cela va de soi, de beaucoup trop de sang.

Bien sûr, ce ne fut donc pas le cas, ce ne fut le cas de rien de tout cela. Ni malchance, ni poisse, ni guigne, ni mésaventure, pas d’exhortation débridée, pas de destin dépravé ! Au moment du choc, il y eut l’évidente association tête-cerveau, et Ivan, en parfaite tortue d’au moins Galápagos, se protégea magnifiquement la tête. Engoncée dans les épaules relevées, elle se sortit avec brio dudit violent choc.

Et donc non, le sang ne gicla pas. Absolument pas. Ne perla pas. Ne se répandit pas, ne s’épandit pas, ne s’épancha pas. Le sang tant attendu, par le destin, ne se dévoila pas.

Bien que le destin d’Ivan eut tout loisir, carte blanche, pour s’exprimer, s’amuser, se jouer des conventions sociales, bien qu’il y pensa, il n’en profita pas.

Tout comme le destin d’Ivana, le destin d’Ivan ne se mouilla pas, ne prit pas partie, ne souhaita pas intervenir. Mais, lui aussi bon joueur, il céda ses droits exclusifs et les accorda à un autre participant : le destin d’Éléna.