– Compresse.

– Compresse.

– Aïe.

– Une autre.

– Une autre.

– Aïe !

– Désinfectant.

– Désinfectant.

– Merde, ça pique !

– Bouge pas !

– Bouge pas.

– Pas beau à voir.

– Pas beau à… ah ouais ?

– Ouais, c’est… drôlement pfff, déplora Éléna.

– Comment ça c’est… j’ai vraiment mal…

– Bon, je te refais le topo, Ivana : tu t’es bien entaillée toute la main.

– Encore une fois, en termes clairs, chérie : tu ne t’es pas loupée.

« Si tu veux un bilan complet, ma grande, disons que : tu as merdé ! Et sur toute la ligne ! Je ne te demandais pas de te charcuter, juste de volontairement, vo-lon-tai-re-ment, verser un peu de ton sang sur cette PUTAIN de pierre ! Rien qu’une PUTAIN de goutte, c’était trop demander ?! Te demander ? Vous demander ?!

Apparemment.

Certes, apparemment. Le sang humain nécessaire à lever la malédiction est…

Impossible obtenir ?

Pas impossible, vous avez essayé et réussi, chers corbeaux. Certes, par le passé vous en avez obtenu.

Rigolo.

Pas rigolo ! Si, certes, un peu. Inutile ! Le sang humain cherché, rapporté, ramené ici et versé sur cette pierre… n'a été d'aucune utilité. J’en espérais tant.

Trop.

Pas de compassion, tu es direct, chez toi que de la franchise.

Moi pas menteur, pas flatteur.

Ah ah ah ! Non, ça c’est le renard. Vous a bien eus, le fieffé renard. Tordant.

Pas dû croasser histoire là à toi.

Bien au contraire ! La meilleure de tous les temps ! Si ton ramage est aussi beau que ton plumage, blablablabla… Tu ne t’es pas rendu compte que votre robe, même pas qualifiée de noire, noir c’est une couleur, le noir c’est noble, mais de noir corbeau – dire qu'il a fallu vous trouver une couleur qui n’existait même pas –, ne fait pas de vous les plus beaux oiseaux du monde ?

Juste histoire.

Tu m’en vois navrée mais le flamand rose est rose, ça lui procure une touche unique, pétillante, il a bon teint. Le perroquet, quelle explosion de couleurs, un véritable feu d’artifice. La colombe est blanche, du coup la pureté, le… blanc quoi !

Croa, croa !

Ah oui ! Parlons-en, certes, de votre ramage. Croa par-ci, croa par-là, croa croa là-bas, croa croa croa, c’est assez restreint, limité, un peu rauque aussi, non ?

Cro...a…

Le perroquet formule des mots intelligibles, le rossignol rossignol de mes amours, la perruche chante. Tous, t'évoquent-ils quelque chose ?

Assez ! Toi dévies, parlions sang.

Mon bon Monsieur, apprenez que tout railleur… je te laisse terminer cette morale.

Vit à mes dépens ?

Tu es formaté, corbeau. Pauvre coco corbeau. Mon brave corbeau, certes je te raille car tu es unique et tu surpasses tous les autres. Je n’ai évoqué que de misérables atouts, des avantages bien peu avantageux. Pourquoi crois-tu que ma couleur est tienne ? Penses-tu réellement que, par trois fois, rossignol de mes amours croassera pour me libérer ? Vois-tu la perruche évoquer la peur chez les ennemis ? Corbeau, moi je te raille parce que je t’aime. Les autres par jalousie. Ne te laisse pas avoir, ne tombe pas dans le piège. Tu es unique, corbeau, souviens-t'en, ne l’oublie jamais. Le rusé renard, même s’il t’a eu, t'a bien eu, et bien qu’il ne le pensait pas, avait pourtant raison : vous êtes formidables mes corbeaux ! Formidables !

Pour te servir, Maîtresse.

Heureusement que je vous ai. Je vous aime mes chers, adorés, jolis corbeaux. À ma sortie nous traquerons les renards ! Vous êtes formidables, ils sont fort mi... sérables.

Sang à eux sur la pierre.

Sang du minable goupil ne sera que pur divertissement ! Oh du sang humain recueilli, j’espérais tant. Piètre espoir. D’eux trois j’espère. Je désespérerai si…

Pas aboutir ?

Je crains que ces trois là ne soient ma dernière chance. Ma damnation est certes là, réelle, terrible, mais elle peut être levée. La magie peut être rompue. Mes anciens disciples n’ont pas réussi, voulu, cru bon, de me faire éternellement disparaître. Mais oubliée, mes cocos, je suis oubliée de tous, le temps passe et éternellement je reste emprisonnée. Jusqu’à ce que le rite se réalise.

Volontairement.

Mais se réalisera-t-il ?

Volontairement.

Mais qui volontairement peut avoir connaissance de ce rituel ?! Plus personne, l’Histoire a été effacée, en partie rayée, déjà si lointaine, ma trace fut très dure à remonter. Après ces trois là, y aura-t-il d’autres passionnés, volontaires, pour se lancer sur ma piste ? Je crains certes que non. Alors…

Juste geste volontaire, pas besoin connaissance.

Dans ce cas je dois m’en remettre à la chance, à la destinée. À la folie, à l’amusement de certains devant mon tombeau, ma prison, mon cachot.

T’en remettre à puissance à toi, à volonté à toi !

Gentil coco corbeau, j’ai certes beau tenté d’aiguiller, mes pouvoirs ici sont trop faibles. Je ne peux que suggérer, petite voix subconsciente, dans l’inconscience. Leur volonté n’est pas bafouée.

Eux y pensent.

Certes, ils y pensent, s’en délectent, mais sans rien savoir. Ils le sentent, sentent que quelque chose, moi en l’occurrence, est sur le point de se tramer, se réveiller. Conditionnés, obsédés, guettant les augures, sous l’influence des croyances, alors oui, certes ils y pensent… »

– N’y pense pas ma chérie, ta grande sœur va faire le nécessaire.

– Le nécessaire ?

– N’y pense pas.

– Pensez à quoi ?!

– Ivan : aiguille, fil.

– Ne pense pas à l’aiguille, ça risque de piquer un peu.

– Je vais m’évanouir… non… vous n’allez pas me recoudre, quand même ?

– Ah moi non ! Non ! Non c’est une certitude. Nous ne sommes plus dans "pour le meilleur et pour le pire", nous sommes bien ancrés, là, dans "les liens sacrés du sang".

– T’inquiète sœurette, je m’occupe de tout, je vais te rafistoler telle une bonne vieille paire de chaussettes !

– Putaaaiinn, Éléna ! T’abuses ! Ça c’était censé être ma réplique !

– Je vous hais, tous les deux, je vous hais…

« Allez-y, piquez. Piquez. Piquez. Recousez. Sait-on jamais. »