Et alors qu’Éléna déverse l'eau sur la pierre, celle-ci lui apparaît bien classique. Pourquoi les autres s’évertuent à vouloir la renommer ? Pour elle, ce n’est qu’une pauvre pierre, brute, un peu grossière, certes gravée car sa forme s’y prête... mais en même temps, il n’y en a pas de cette taille aux alentours. C'est évident, son apparence est trop ordinaire pour qu'elle soit autre chose... qu'une pierre : grise à tendance sombre, à première vue solide, de deux bons mètres de long pour une largeur de cinquante centimètres, voire un peu plus, haute d’une taille de main, légèrement plus bombée en son centre et plus évasée à ses extrémités. Ce n’est donc, point final, rien qu’une pierre, un peu fade, triste, qui patiente là, solitaire, comme perdue... ou peut-être cachée. Bien entendu qu'elle s'est perdue au fil du temps, et qu'elle fut cachée là, en ce lieu austère, en son époque ! Cette simple pierre est pourtant assurément de première importance.

De son côté, Ivan contemple le spectacle de l'eau humectant cette pierre abandonnée en plein Oural, à disposition de la végétation locale et connue depuis tant d’années par la seule faune sauvage. Bien sûr qu'une pierre ainsi oubliée, délaissée, est à son sens – et elle devrait l’être aussi pour son intelligente femme et sa butée de belle-sœur – une stèle ! Certes placée à l'horizontale, mais rien ne dit que, soumise aux vents, aux intempéries, elle n'ait pu tomber au fil du temps. Néanmoins, quelle étrange idée que de la placer au milieu de rien... au beau milieu de rien… bien étrange idée. Nulle construction ancienne, pas d’obélisque érigé ou autre monolithe tordu à ses côtés, aucune trace visible d’une quelconque civilisation. Alors pourquoi ici ? Est-ce un lieu symbolique de recueillement ? Fut-ce un isolement nécessaire… à cause de l'importance des secrets qu’elle renferme ?! Ivan s’emporte, s’égare, ses idées fusent, trop, il est pour lui acquis qu'avec une étude plus approfondie, plus poussée de ce site, une armada entière de trésors étincelants, de poteries sigillées, de pierres aux gravures similaires se révéleront, se dévoileront et surgiront de terre ! Assurément, cette stèle est le sommet de l'iceberg !

L'eau mouille à présent abondement la pierre, Ivana scrute les symboles qui déjà pourraient en ressortir. Ressortir de cette dalle bien ancrée dans le sol mais sans y être incrustée. Détail important. Ivana tient déjà son hypothèse, de part son gabarit, ses dimensions, cette dalle a dû être placée au sein ou sur un édifice particulier. Certes, il n’y a aucune structure dans le coin, pas même l’ombre d’une bicoque... Peut-être alors fut-elle transportée de villages en villages, pour être exhibée, présentée, telle une affiche indestructible au savoir inestimable ! Et elle est finalement tombée du camion… du chariot, en ce point précis... Non, peu probable, ce n’est pas un vulgaire caillou, personne n’aurait transporté une dalle de la sorte pour la perdre, surtout sans s’en rendre compte ! Alors, à moins qu’elle ne fut posée, précisément là, à la croisée de chemins, pour les égarés… ou bien exposée au gré du hasard pour les simples curieux passant… par là. Ivana tourne la tête, à gauche, à droite, aucune particularité n’arrête son regard, le paysage est morne, plat. Pourquoi cette dalle est-elle ici ? Elle servait assurément à annoncer, prévenir, relater un message essentiel aux populations et aux générations futures !

L'eau abreuve la pierre-stèle-dalle, pour tous une certitude commune : un peuple s’était installé, enraciné puis éveillé dans cette région inhospitalière de l'Oural. Mais avant de disparaître, subitement, étrangement, presque totalement, sur place fut laissé cet humble monument témoin de leur existence passée.

Éléna, la première, en redécouvrit la trace.