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Elle n'avait pas à se tourmenter ; et pourtant, c'était plus fort qu'elle. Sa vie en dépendait, de ce petit morceau de papier jauni. Après tout, elle avait décidé en toute conscience d'y inscrire son âme, décomposée en un code à dix chiffres, et maintenant elle l'avait perdu. Qu'est-ce qu'on allait faire, à présent ? Tenter de récupérer son âme ? Courir après le papier ?

Elle n'en fit rien. Elle se contenta de s'asseoir près du feu, de prendre Maxime, son plus jeune fils, de le poser sur ses genoux cagneux et d'attendre. La lumière de la cheminée ondulait sur sa peau. "Je ne l'ai pas jeté dans les flammes, quand même..." se dit-elle en berçant tout doucement l'enfant. Ç'aurait été une possibilité, mais alors elle aurait agi sous pression, ou bien dans un état second... À choisir : dans tous les cas, elle ne s'en serait pas débarrassé consciemment, du petit morceau de papier jauni. Elle s'en serait souvenue.

Alors, c'était un vol. Quelqu'un s'était emparé de l'anicode - le code de son âme. Sûrement pas un de ses enfants, ils étaient trop jeunes et ne savaient pas ce qu'était ce papier, ni même son existence. Forcément un adulte, donc.

Son mari, Albert ? Oserait-il ? Une seule façon de le savoir. Il avait dans sa poche des stylos et les juges, il saurait se défendre soi-même grâce à ses cent-vingt années d'études, son doctorat, son dos, ses taux et son rat. Ainsi donc pouvait-il lui voler l'anicode sans risque de fâcheuses conséquences, quitte même à envoyer sa femme en prison pour difamation - le crime d'être une mauvaise épouse.

Alors, il fallait lui parler, lui demander s'il avait piqué sa carte, venir dans son bureau de légume vert, le cisailler, le couper carré, cuiller sur le noyau, raclage de peau : en bref, faire sortir l'avocat de sa coquille grêlée pour en extirper sa chair de menteur, comme  quand il mentait sur sa chaire.

Toc toc toc, dit la porte en noyer : puis une réponse rauque. Albert ordonnait à sa femme d'entrer. Elle s'éxécuta, pénétra à petits pas dans le bureau, le parquet grinçant sous ses pieds. Un vent glacial transforma le ballon de vin qu'il tenait en neige pourpre.

 - Femme, fit Albert, l'air est froid.

Il reprit son souffle, jouant avec sa panse rebondissante.

 - Eh bien, ne reste pas coïte.

 - Tu m'as volé ma carte.

 - Et puis quoi encore ! J'en ai rien à fiche de l'anicode de ma femme. Si tu ne la trouves plus, c'est juste que tu es sotte, et distraite, et belle.

 - Tu sais bien que mon anicode donne accès à mes comptes...

 - Je suis riche, Annette.

 - Mes comtes, aussi. Sans P. Tu leur ferais la guerre pour décrocher leurs possessions en Espagne et au Guatemala...

 - Le Brésil me suffit, tu me suffis, mon anicode personnelle me suffit. Tes comptes, en banques ou non, ne me sont d'aucune utilité. Le cabinet fonctionne.

 - Alors... Tu me l'aurais volée juste pour m'embêter.

 - Si je voulais t'embêter, je te casserais la figure. C'est bien plus rapide.

 - J'irais me plaindre...

 - Je gagnerais.

Il y eut un silence, Albert se racla la gorge.

 - Je t'assure que je n'ai pas pris ton anicode.

 - Qu'est-ce qui me le prouve ?

 - Je suis ton mari. D'où les promesses, avant la cérémonie. Bon Dieu, tu ne veux pas lâcher Maxime ?

Annette retira l'enfant de sous son coude. Elle pleurait, juste un peu.

 - Allons donc, laisse-moi travailler. J'ai une plaidoierie, une vraie plaie où je dois ridiculiser le client... La routine, quoi.

Elle s'eclipsa, la gorge nouée. Elle savait qu'Albert était le voleur... Mais comment le prouver ? Il lui fallait un indice, outre sa connarité, qui lui permettrait de le traîner en justice sans qu'il puisse se défendre. De toute façon, un vol d'anicode ne pouvait être exempté de peine.

Elle se résolut donc à engager un détective privé.

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