Chapitre 31

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Je ne trouve pas vraiment le sommeil. Dix minutes plus tard, le téléphone de Flynn se met à sonner, et je l’extirpe d’une poche de son jean avant que ça ne le réveille. Je panique un peu quand je vois le nom de Sabine qui s’affiche sur l’écran.

— Allô ? Fais-je sur un ton mal-assuré.

— Qui est-ce ? Demande-t-elle.

Je ne sais pas si elle est furibard ou morte d’inquiétude.

— C’est Joshua…

— Joshua ? Pourquoi tu réponds au téléphone de Flynn ?

Je tente un coup de poker, en croisant les doigts pour qu’elle soit au courant que Flynn comptait se rendre à la soirée de Jérémy.

— Je l’ai raccompagné, dis-je avec le plus d’assurance possible. On avait décidé qu’il dormirait chez moi. Il a oublié te vous prévenir, Stéphane et toi ?

Je me sens mal de lui mentir quand j’entends le long soupir de soulagement de l’autre côté du téléphone.

— Oui, il avait oublié, dit-elle sur un ton qui suggère que ce ne serait pas la première fois. Merci d’avoir répondu, on s’inquiétait beaucoup.

On discute un peu, mais elle raccroche bientôt, car il est tard. Je lui promets de passer chez eux mercredi prochain, et je lui dis que Flynn va rester à la maison demain, avec quelques copains. Ce n’est pas un mensonge complet, mais je me doute qu’elle s’imagine plus une bande d’amis qui jouent à des jeux vidéos plutôt que deux adolescents qui s’occupent de leur pote en crise de manque.

Bref, après avoir reposé son portable sur la table de chevet, je vais dans la cuisine pour me servir un verre de coca. Mais une fois que je assis à table, je me contente de rester à le fixer, la tête posée sur mes bras croisés.

Je sens que la nuit va être longue…

Je me suis légèrement assoupi sur la table quand on toque à la porte. Je me lève en grognant, sans vérifier l’heure. Le ciel noir me rappelle qu’on est encore au milieu de la nuit, et je songe que Alice a changé d’avis et a fait demi-tour.

Je n’en crois pas mes yeux, et mets un instant à accuser le coup quand je vois Lista apparaître derrière la porte.

— Que… Lista, c’est toi ?

Je me sens con. J’ai les yeux explosés et j’ai peur de faire un rêve. Lista porte un manteau que je ne lui ai jamais vu, et se serre les bras pour se réchauffer. Ses joues rougissent.

— Je peux entrer ? Demande-t-elle comme si elle s’attendait à ce que je la rembarre.

Je ne dis rien, m’effaçant juste pour la laisser passer.

— Pourquoi tu es là ?

— Je voulais te parler mais… Je t’ai réveillé ?

Mon regard accroche un miroir au dessus d’une commode où je range la vaisselle. J’ai les cheveux en pétard et des cernes sombres sous les yeux. J’avale une gorgée de coca tiède et lui propose un verre, qu’elle refuse poliment.

— Non, quelqu’un squatte déjà mon lit.

Je vois ses yeux sonder la pièce, cherchant sans doute ma chambre. Elle abandonne vite cette curiosité et je ne fais rien pour éclairer sa lanterne. Je lui demande si elle veut que j’augmente le chauffage et, alors qu’elle refuse, je me rassois à table en lui faisant signe de faire pareil.

— Tu voulais me parler de quoi ?

Je suis plutôt content d’avoir encore la voix lourde de sommeil – ça m’empêche de ressentir des émotions comme la rancœur ou la tristesse, ou d’autres sentiments qui la mettraient sur de fausses pistes quant à mes intentions. En vrai, je suis juste curieux de savoir pourquoi elle a fait un crochet par chez moi avant de rentrer dans sa chambre.

— Après votre départ, Jérémy et moi on a parlé, dit-elle.

Je me renfrogne un peu en entendant le nom de son petit-ami. Je me rappelle de quelques mots que j’ai dit, notamment ma façon de clamer que c’est Lista qui s’est avancée vers moi la première. Pas vraiment le truc le plus respectueux qui soit sorti de ma bouche.

— J’ai rompu, admet-elle. Définitivement.

Si j’étais pas aussi crevé, je me sentirais plutôt satisfait, voir carrément content. À la place, j’ai juste un petit sourire, que j’efface rapidement.

Elle prend mon silence pour une invitation à continuer :

— Quand vous vous êtes battu dans le jardin j’ai… Je ne sais pas, j’ai eu l’impression que je n’étais plus à ma place. J’avais juste envie de partir et… Je me suis rendu compte que je ne voulais pas revenir vers lui, après.

Elle baisse les yeux sur les bracelets à ses poignets. Je suis prêts à parier que Jérémy lui a offert l’un d’entre eux.

— Tu es sûre que tu ne vas pas regretter ? Je demande.

D’une voix étonnamment douce. Je commence à être un peu plus réveillé.

— Je ne sais pas. Mais je sais que je ne regrette pas notre baiser. Et je ne peux pas continuer à sortir avec lui alors que j’ai peut-être des sentiments pour quelqu’un d’autre…

Elle laisse le mot en suspens, avant de rectifier :

— Pour toi.

Elle renifle, et je ne sais pas si c’est à cause de la fraîcheur de la nuit, ou à cause du chagrin. Car, si elle a rompu avec Jérémy, elle doit avoir du chagrin. C’était du sérieux leur relation.

— Tu n’as rien à dire ? Finit-elle par demander en levant les yeux vers moi.

— Je ne sais pas quoi dire…

— Ce que tu veux, n’importe quoi.

— Je suis désolé ?

Aussitôt que je formule les mots, je sais que je me trompe, et je décide d’y aller franchement :

— C’est pas vrai. Je ne suis pas désolé. Je n’aime pas Jérémy, et ce depuis le jour où je l’ai rencontré. Depuis le moment où je l’ai vu te prendre la main dans le car. Je sais que c’est difficile pour toi, et je suis désolé que tu ais à vivre ça. Mais pas que tu ais rompu avec lui.

Je baisse les yeux, conscient que mes mots l’ont sans aucun doute blessé. Mais sa main serre la mienne, autour du verre de coca, et je les relève vers les siens.

— Je ne te demande pas d’être désolé pour ça, dit-elle. Mais j’aimerais… (Elle se mord la lèvre.) J’aimerais savoir si on est encore amis tous les deux. Si je peux compter sur toi.

Pour le coup, je lui souris avec la même sincérité que mon cœur.

— Tu pourras toujours compter sur moi.

Son sourire me réchauffe la poitrine, et je sens que ma soirée est un peu moins naze tout à coup. Lista prend une inspiration en refoulant un sanglot, et me dit qu’elle va rentrer chez elle. Je la raccompagne jusqu’à la porte, et quand elle se tourne vers moi, elle désigne le mur dans mon dos.

— C’est Flynn, dans ton lit, n’est-ce pas ?

J’acquiesce en silence.

— Il a besoin d’aide.

Ce n’est pas une question.

— Il a besoin d’aide, réponds-je avec un hochement de tête.

— Tu resteras auprès de lui, demain, ou…

Elle s’interrompt, fait un pas en arrière et se retrouve hors des murs de la dépendance.

— Ou ?

— Mes parents ne seront pas là demain après-midi, dit-elle. On pourrait passer du temps ensemble, si tu veux.

— Tu veux dire… chez toi ?

Ses joues rosissent de nouveau, mais cette fois je sais que ce n’est pas à cause de la fraîcheur nocturne.

— Oui.

Je jette un regard par-dessus mon épaule, vers la porte fermée de ma chambre. Alice va venir pour aider Flynn, s’occuper de lui. Je peux peut-être les laisser tous les deux. Et au pire, je serais dans la maison à côté.

— OK, dis-je. Je viendrais.

Son sourire éclatant illumine la nuit. Je la regarde s’éloigner jusqu’à ce que sa silhouette se fonde dans l’obscurité. Alors je ferme la porte et, au fond de moi, je me réjouis d’avance pour demain.

Quelques minutes après, je pense aux conséquences que ça aura au lycée, et dans notre vie à tous les deux. Autant je sais à peu près à quoi m’attendre avec Flynn – et ai-je au moins du soutien. Autant la suite avec Lista ressemble à un grand point d’interrogation.

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