Chapitre 42

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Je frappe doucement à la porte, et Sabine vient nous ouvrir en quelques secondes. Son regard passe de Alice à moi, avant de se poser sur Flynn et de s’éclairer comme des étoiles.

— Seigneur, Flynn ! s’écrie-t-elle en le serrant dans ses bras. J’étais morte d’inquiétude quand le proviseur m’a appelé, je croyais que tu étais chez Joshua.

— C’est le cas, répond-il.

Je suis heureux d’entendre plus d’assurance dans sa voix que ce à quoi je m’attendais.

— Sabine, je dois te dire quelque chose, ajoute-t-il avec un air coupable.

Sabine nous regarde tous les trois, et tout d’un coup plus sérieuse, elle nous laisse entrer. Elle nous guide jusqu’à la cuisine, où on s’installe tous les quatre autour de la table. Même si je sais que Ginny n’est pas là, mon regard la cherche par habitude.

— Qu’est-ce qui se passe ? Demande Sabine une fois qu’on est tous assis. Le directeur du lycée m’a dit que tu avais raté plus de la moitié de tes cours depuis la rentrée, je croyais que vous aviez un projet pour l’école…

C’est ce que Alice a dit ? Je me demande si Sabine est au courant qu’elle étudie à domicile.

— On vous a menti, madame Pacat, dit Alice d’une voix contrite. En fait… les choses sont un peu plus compliquées.

— Vous me faites peur, les enfants, dit Sabine en posant la main sur son cœur.

Pas d’ironie dans la voix, ce n’est vraiment pas une blague. Je ne sais ce qu’on aurait pu faire mieux, mais je sens qu’on a très mal commencé. J’essaye de me creuser la tête en quatrième vitesse pour trouver quoi dire – quelque chose qui soit rassurant, et qui nous permette d’entrer en douceur dans le sujet. Mais je ne suis pas un beau parleur, je suis toujours une catastrophe de maladresse quand il s’agit d’aborder des sujets sensibles.

— Je suis malade, dit Flynn, brisant le silence tenace.

Sa voix a l’air d’un coassement, brisée, torturée. Sabine le regarde d’un air infiniment gentille. Je sais qu’il n’a qu’une seule peur : que ce regard change. Qu’il disparaisse, et qu’elle le laisse tomber. Cela mettrait un point final à tout ce qu’on a fait, tous les efforts qu’il a fourni. Il coulerait dans l’héroïne et dans la drogue sans plus jamais revenir à la surface.

— Quelle genre de maladie ? Demande Sabine, la peur dans la voix.

— Je suis…

Flynn baisse les yeux, fuyant son regard. Il prend une nouvelle inspiration.

— Je suis…

Il n’y arrive pas. Quoi de plus normal ? Alice et moi échangeons un regard, et elle pose la main sur celle de Flynn. Doucement, il lève les yeux vers son sourire rassurant.

— On va le faire pour toi, d’accord ?

Flynn observe Sabine, et cela à l’allure d’un dernier regard.

Il hoche la tête.

— Madame Pacat, dit Alice d’une voix mesurée, Flynn a prit de mauvaises habitudes pour fuir la mort de ses parents.

C’est le cas de le dire ! Je me retiens d’intervenir, parce que je devine que Alice trouvera les mots pour y aller en douceur. Je me rends compte que, moi, j’y serais allé sans réfléchir, brut de décoffrage, lançant la vérité de but en blanc.

Pas forcément la meilleure méthode…

— Quelles habitudes ? Interroge Sabine.

Alice m’envoie un regard. Elle n’a pas plus envie que Flynn ou moi de le dire à voix haute. C’est assez dingue qu’une chose aussi rependue – car soyons sérieux, Flynn n’a pas eut beaucoup de mal à s’en procurer, au début – soit aussi taboue.

— Flynn prend de l’héroïne, dis-je.

L’atmosphère s’alourdit. Je m’empresse d’ajouter, parce que je sens qu’il ne faut pas laisser la bombe au milieu de la table trop longtemps :

— Il a eut le temps de s’accoutumer, mais aujourd’hui il veut arrêter. On essaye de l’aider depuis plusieurs jours, mais comme tu t’en doutes… Ce n’est pas facile.

Le visage de Flynn rougit chaque seconde un peu plus, à un point que je ne croyais même pas possible. Il refuse obstinément de lever les yeux vers Sabine, et moi je résiste à la tentation de regarder ailleurs. Je plante mon regard dans le sien, essayant de montrer un peu d’assurance pour donner le change.

Elle est à court de mot, dans un premier temps.

— De… De l’héroïne ? Répète-t-elle comme pour s’assurer d’avoir bien entendu.

— C’est ça, confirmé-je d’une voix calme.

C’est pas moi, ça. J’ai l’impression d’être dans une série télé. Si c’est ça la vrai vie, c’est carrément décevant !

— Seigneur, soupire Sabine en se laissant aller sur sa chaise, qu’est-ce que j’ai fais de mal ?

Un hoquet s’échappe de la bouche de Flynn.

— Mais rien ! Proteste-t-il.

— Rien ? Répète-t-elle. Mais tu es sous ma surveillance. Tu as été placé ici pour que je m’occupe de toi, et tu viens me dire que tu es tombé dans la drogue ? Si, j’ai forcément…

— Non ! Insiste-t-il. Tu as été parfaite. Après l’accident je suis passé de foyer d’accueil en foyer d’accueil, et cette maison c’est le premier endroit où je me sens bien. Tu as toujours été bonne pour moi…

— Alors pourquoi ? Pourquoi tu as eu besoin de ça ?

Sabine a une voix cassée qui me fait tressaillir. Je sens que Flynn est dévasté.

— J’avais commencé avant d’arriver ici, admet-il d’une petite voix. C’était plus facile de continuer que de…

Il s’interrompt, mais je sens qu’on tient quelque chose. Comme Alice – je le devine à son regard – je me retiens de lui intimer de continuer. Heureusement, c’est Sabine qui l’invite à poursuivre :

— Plutôt que quoi ?

— Plutôt que de tourner la page. Mes parents sont morts et me faire du mal me donnait l’impression de me rapprocher d’eux.

Flynn lâche tout dans un seul souffle, et sur les derniers mots on entend qu’il est soulagé. Il garde les yeux baissés sur la table, sinon il ne manquerait pas de remarquer le regard passionné et maternel de Sabine. Ce regard empreint d’amour que seuls les mères peuvent ressentir.

— Aujourd’hui tu veux t’en sortir ? Demande-t-elle.

Sa voix est un peu plus puissante, plus consistante. Grâce à la confession de Flynn, on s’engage vers un chemin qui pourrait surpasser nos espoirs les plus fous. On évite peut-être de justesse le pire des scénarios.

— Oui. Je le veux.

Il ne lève toujours pas les yeux. Sabine soupire et, sans le quitter du regard, elle s’adresse à moi :

— Ces jours où Flynn manquait l’école et où il restait chez toi, tu l’aidais ?

— C’est ça.

— Et tes parents étaient au courant ?

Je pince les lèvres, mais réponds, sincère.

— Il faudra que je parle à Nicole, dit-elle.

— Ma mère est prête à répondre à toutes tes questions.

— Je n’ai pas uniquement des questions, grince-t-elle.

— On le sait.

— Flynn.

Flynn ne bouge pas. Sabine demande d’une voix calme :

— Flynn, regarde-moi.

Lentement, il finit par lever les yeux. Ils débordent de larmes qu’il essaye de contenir.

— Vas-tu rester chez Joshua, ou bien…

— Je ne veux pas que tu ais à voir ça.

— Je veux t’aider. Stéphane le voudra aussi. Maintenant, on ne peut plus rester en dehors de ça.

— Les choses se passent bien, chez les Pace. Je ferais tout ce que vous voudrez, mais s’il-te-plaît, ne m’oblige pas à…

à te montrer le pire de ce qu’il y a chez moi. Il n’arrive pas à le dire.

— Est-ce que je pourrais te parler ? En privé.

Sabine nous lance, à Alice et moi, un regard entendu. Un regard non dénué de colère, mais pas tout à fait accusateur. Je ne peux pas lui en vouloir, nous lui avons menti pendant longtemps, et ce n’était pas un mensonge aléatoire. Flynn accepte, et on se lève pour aller dehors.

On s’assoit sur le canapé de jardin, dans la galerie qui surplombe le jardin arrière de la maison. La première fois que je suis venu, j’étais assis là pour surveiller Ginny lorsqu’elle jouait à faire des gâteaux de boue et à combattre des ennemis imaginaires.

— C’était mieux que ce que je craignais, soufflé-je.

— Pas pour Flynn. Ça aura des conséquences.

Je lui jette un regard, pas certain de comprendre ce qu’elle veut dire.

— Je le connais depuis des années, explique Alice. Il s’est montré trop loquace, trop rapidement. Ça va avoir des répercutions, sur lui-même. Sur sa façon de se comporter. Il va passer les prochains jours à se poser des questions sur comment il aurait dû se comporter, ce qu’il aurait dû dire. Et puis, il a parlé à Sabine. Savoir qu’on a entendu ses confidences…

Alice rit jaune.

— Il va nous faire payer notre présence, je te le promets.

Je pousse un soupire en renversant la tête en arrière.

— Il est déjà insupportable !

— Oui, mais là ça va être…

— Pire ? Tu passes tes journées auprès de lui, tu crois sérieusement qu’il peut être plus méchant ?

Un sourire en coin naît sur ses lèvres. C’est la première fois qu’elle semble se relâcher depuis ce matin.

— Ouais, t’as peut-être raison.

— Depuis quand tu es amoureuse de lui ?

Alice ouvre de grands yeux et me regarde comme si je lui avais écrasé un œuf sur la tête.

— Fais pas genre, dis-je, tu t’inquiètes beaucoup trop pour lui. Au début j’ai pensé tu le considérais seulement comme un frère, et puis j’ai remarqué des petits trucs. Ton regard, par exemple. C’est pas un regard fraternel. Il y a quelque chose d’autre.

— Tu racontes des conneries, marmonne-t-elle.

— Tu n’as même pas le cran de mentir en me regardant dans les yeux, ris-je.

Sa main sur plaque sur ma joue, m’obligeant à tourner la tête. Elle fixe son regard dans le mien, et plaque un baiser sur mes lèvres. C’est passionné, un vrai baiser d’histoire d’amour comme on en voit qu’au cinéma.

— C’est un peu trop mécanique, dis-je quand elle détache sa bouche de la mienne. Soit tu manques d’expérience, soit tu voulais juste me clouer le bec.

— Un peu des deux, sans doute, rumine Alice en se levant.

Elle descend les escaliers et s’avance sur l’herbe. Je m’humecte les lèvres, passant doucement la langue dessus. C’était pas désagréable, mais je ne peux décemment plus me voiler la face. Je suis amoureux de Lista, et je sais que Alice ne m’aime pas comme ça. Le temps où nos sentiments étaient moins sérieux et où on pouvait sortir ensemble en croyant à une future relation est passé.

C’est Lista que j’aime.

Je me lève et viens me poster à côté d’elle.

— OK, dit-elle, tu as raison, je l’aime. Aussi con qu’il puisse être.

— Je le savais, dis-je en souriant bêtement.

— Pas la peine de me narguer.

— Tu n’hésites pas à te moquer de moi et de Lista. Chacun son petit plaisir.

— Crétin, marmonne-t-elle avec un sourire en coin.

Des bruits de pas nous parviennent de derrière. Sabine vient d’apparaître dans la galerie. En voyant qu’elle a lâché Flynn du regard, mon cœur rate un battement. À force de l’habitude, je m’inquiète pour le moindre petit écart de notre surveillance. J’ai beau savoir que Flynn ne peut pas faire grand-chose, l’idée que personne ne le surveille juste une minute me met mal à l’aise.

— Je suis d’accord, dit Sabine en nous ramenant dans la cuisine. Je préviendrais Stéphane et nous prendrons les décisions qu’il faudra. (Elle se tourne vers moi.) Je ferais de mon mieux pour vous aider, mais je ne prendrais aucun risque. On pourrait très bien nous retirer notre agrément, et la garde de tous les enfants qu’on a ici. C’est hors de question. Je n’hésiterais à vous dénoncer si cela peut sauver Ginny, Luke et David.

Alice et moi jetons un regard vers Flynn. Les mots de Sabine sont durs, mais parmi toutes nos conjectures, c’était la meilleure réaction qu’on imaginait.

— J’en suis conscients, dit Flynn.

— Pour ce qui est de ta mère, dit Sabine en se tournant vers moi, je veux parler à Nicole dès que possible. Elle a prit des décisions qui ne lui incombaient pas, et je veux lui en parler.

Je hoche la tête. Nicole savait les risques qu’elle prenait.

— Merci pour ta compréhension, Sabine.

Elle fait un signe de tête, pousse un soupir et avale un verre d’aspirine.

— J’ai parlé avec Flynn des autres conditions. Je suis consciente que vous l’aidez beaucoup, et si je ne sais pas si c’est la meilleure solution, j’espère au moins que les résultats seront convaincants. Si vous respectez les conditions que Stéphane et moi donnerons, nous respecterons les choix que vous prenez.

Un poids s’envole de mes épaules. La voix de Sabine est plutôt froide, je sais qu’elle est déçue. D’ailleurs, comme elle le dit, ce n’est probablement pas la meilleure solution. Les résultats seraient plus probants si Flynn allait dans un centre, du moins j’imagine.

Enfin, après tout, ce sont les résultats qui comptent. Comme elle le dit, dans la mesure où personne ne perd dans l’histoire, pourquoi laisser tomber ?

— Merci, dit Flynn en regardant Sabine dans les yeux. Merci.

Sabine a un sourire crispé. Personne ne perd dans l’histoire, mais personne n’en ressortira indemne pour autant.

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