Chapitre 48

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Quand Audra monte sur scène, on la couvre sous nos applaudissements. Le visage en feu, elle montre qu’elle a apporté sa guitare à un mec qui lui en tendait une, et elle s’assoit sur un tabouret, juste devant un micro. Face au public du bar bondé, elle hésite à dire quelques mots avant de commencer. Finalement, elle introduit rapidement sa chanson :

— J’ai écris les paroles quand j’avais huit ans, quand j’ai rompu avec mon petit-ami à l’école primaire.

On rigole tous avec elle, et je me rends compte que sous son visage rouge, elle est en réalité très à l’aise quand elle parle.

— Je l’ai reprise il y a quelques semaines, et je me suis rendu compte que certaines phrases résonnaient avec ce que je vis aujourd’hui. Je ne m’attends pas à ce que tout le monde comprenne ce que j’ai dans la tête en écoutant une chanson écrite par une gamine de huit ans, mais vous aurez au moins un aperçu de qui je suis devenue aujourd’hui.

Le silence se fait dans la salle, et elle joue les premières notes. C’est une mélodie très mélancolique, très simple aussi, mais pas pour autant dénuée d’impact. Elle résonne avec force dans ma tête.

Les paroles sont percutantes. Comme elle l’a expliqué, la chanson raconte l’histoire d’une rupture, banale en apparence, mais j’entends qu’elle joue avec plusieurs mots. Je devine que les modifications qu’elle a apporté sont très minimes. Elle utilise des mots précis, qui veulent dire quelque chose qu’on ne peut pas comprendre à la première écoute.

Je pense que si on prenait le temps de travailler sur les paroles, on découvrait des choses importantes sur Audra.

Je suis tellement plongé dans l’expérience que j’en oublie tout ce qui m’entoure. Non contente d’avoir une voix magnifique, elle est aussi parfaite pour le ton de la chanson, et elle m’éblouit comme une sirène. Je ne reviens à moi qu’au moment où je sens des doigts se glisser entre les miens. Mon regard se pose alors sur la main de Lista, qui m’observe avec des yeux débordants de sentiments contradictoires.

On ne dit rien, on reste seulement plantés là, à se regarder droit dans les yeux, en nous laissant bercer par la voix d’Audra. Je me mords l’intérieur des joues au moment où ses dents glissent sur ses lèvres, et doucement – suffisamment lentement pour qu’elle puisse tout arrêter si elle en a envie – j’approche mes lèvres pour l’embrasser une première fois sur la joue. Une seconde fois sur la ligne de sa mâchoire, débordant juste un peu sur la peau douce de son cou.

Je ne vais pas plus loin, et Lista pose la tête sur mon épaule, dans le creux de mon cou, ses cheveux blond chatouillant ma joue. J’inspire profondément son parfum floral, et après ça nos respirations s’accordent en rythme. C’est un moment vraiment parfait.

Malheureusement, il prend fin lorsque Audra achève sa chanson. Nous nous redressons tous les deux pour l’applaudir, et alors que je me tourne vers Lista pour lui sourire, j’aperçois quelque chose d’incroyable du coin de l’œil : Flynn qui se lève lui aussi pour taper dans ses mains.

Un sourire sur le visage. Ni moqueur, et non-plus en levant les yeux au ciel. Un sourire franc, qui passe totalement inaperçu, excepté à deux personnes : Alice et moi.

Audra descend de scène en souriant jusqu’aux oreilles, vraiment contente d’elle, et on la félicite tous, chacun notre tour. Même Flynn, bien que restant silencieux, a quitté son tabouret un peu à l’écart pour nous rejoindre. Ça passe totalement inaperçu car cela coïncide avec le fait qu’on décide de partir, mais je sais qu’il voulait juste être présent pour soutenir Audra.

Lista décide de rester avec les autres jusqu’à la fin du concours. Personne ne sait si le jury donnera le résultat ce soir ou dans les jours à venir. De mon côté, je m’excuse pour ce départ précipité, arguant que je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit et que je ne serais pas de très bonne compagnie. Dans l’excitation collectif, personne ne semble le prendre mal, et j’entraîne Flynn dehors.

On est en train de rejoindre la voiture quand Alice nous rejoint en trottinant.

— Tout est cool entre vous, alors ?

Je hoche la tête.

— Bien, approuve-t-elle. Flynn, je suis fière de toi.

Le garçon lui retourne un regard étonné.

— Pourquoi ?

— Ni alcool, ni drogue, et tu t’es même levé pour applaudir Audra. C’est ce que j’appelle une soirée réussie.

Elle s’arrête alors qu’on est à quelques mètres de la voiture.

— Tu as tenu toute la soirée, Flynn, même si c’était très dur, et même si vous avez été jusqu’à vous battre. Tu as tenu.

Je pense que si c’était moi qui lui avait fait remarquer, Flynn ne se serait pas montré aussi content de lui. Il y a quelque chose de spécial dans le fait que ce soit Alice qui le dise, comme s’il éprouvait plus de fierté à avoir son approbation.

On arrive à la voiture, et j’ouvre la portière.

— Je te ramène ? Demandé-je en m’appuyant dessus.

— Non, merci, je vais rester encore un peu, dit-elle. Passez une bonne soirée, les garçons.

— Toi aussi.

Avec un signe e la main, je me place derrière le volant et on boucle nos ceintures.

Alors qu’on est sur la route, mes mères nous appellent pour avoir des nouvelles. Je laisse Flynn répondre et leur dire qu’on est en route. Je n’entends que son côté de la conversation, mais je les imagine déjà soulagées de ne pas répondre à un type bourré, ou à un urgentiste. Faut vraiment croire que je me suis attendu au pire.

Et au final, on a passé une super soirée, malgré tous les déconvenues. Je n’oublie pas cependant les confessions de Flynn. Je pense à en faire mention à Nicole, avant de me souvenir qu’ils se parlent tous les soirs. S’il y a bien une personne a qui il a pu se confier là-dessus, c’est elle.

Quand je gare la voiture devant la maison, elles nous attendent dans le salon. Aussitôt qu’on rentre, elles s’assurent qu’on a passé une bonne soirée et elles vont se coucher. Je sens que ça les arrange qu’on rentre plus tôt, car elles sont crevées et qu’elles n’auraient pas dormi sereinement en nous sachant là-bas.

On rejoint tous les deux la dépendance quand Lista m’appelle pour m’annoncer que Audra a finit cinquième sur une soixantaine de participants.

— Quand est-ce que vous allez sortir ensemble, tous les deux ? Demande Flynn quand je raccroche.

On retire rapidement nos vêtements pour nous coucher, totalement crevés. La lumière de la lune qui passe par la fenêtre éclair le mince carré vide entre mon lit et le canapé sur lequel il est allongé.

— Je veux pas la brusquer, dis-je.

— Je vous ai vu vous tripoter pendant qu’Audra était sur scène.

— On se tripotait pas !

Mon exclamation ne le fait que rire davantage.

— Vous vous appréciez tous les deux, passez le cap. On s’en fout de Jérémy et des parents de Lista. Perdez pas de temps.

— Tu ne sais pas de quoi tu parles, marmonné-je.

Il ne rétorque rien, mais je sens d’ici son amusement. Je me roule dans mes couvertures et lui tourne le dos, sans réussir à oublier ses mots.

Pourquoi ne pas tenter ma chance, en effet ? À quoi cela sert de garder nos distances si c’est pour nous embrasser à demi et nous tenir la main comme si on avait peur que l’autre disparaisse tout à coup ? Finalement je m’endors en ayant la certitude que, demain, j’appellerais Lista et que je lui demanderai d’être plus pour moi qu’une amie. J’imagine déjà la satisfaction que j’aurais à le dire, le bonheur de l’entendre me répondre.

Pourquoi perdre du temps, alors que je veux passer chaque seconde à ses côtés ? Je veux pouvoir l’embrasser sans avoir peur d’aller trop loin, je veux pouvoir la prendre dans mes bras sans craindre qu’elle me repousse. Je veux clarifier les choses pour profiter au maximum du temps que je passe en sa compagnie. Je veux pouvoir lui dire que je l’aime autant de fois que j’en ai envie sans ressentir de remord.

Je suis amoureux de Lista, et je veux le lui dire.

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