Chapitre 52

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Le reste de la journée se passe comme dans un rêve. Nous mangeons en profitant qu’on soit tous les deux pour apprendre à mieux nous connaître. C’est dingue comment sa présence m’est devenue presque indispensable, même s’il reste encore beaucoup de choses que je ne sache pas d’elle.

Lista me parle de son enfance à Larmore-baie. Elle me raconte comment ses parents et elle voyagent tous les étés à travers le monde pour visiter les plus grands monuments liés à sa religion. Elle me parle de la Cathédrale Notre-Dame, qu’elle a visité avant l’incendie. La vision que j’en est est celle d’une immense bâtisse à l’architecture impressionnante, mais accompagnée d’un assemblage de barres de métal qui lui enlève tout son charme.

Lista me parle de toutes les œuvres caritatives auxquelles elle participe. Elle a manifesté à l’âge de dix ans pour combattre la pollution de la plage, l’une des principales attractions touristiques de la ville. Elle aide à l’organisation de la soupe populaire dès qu’elle a du temps libre, fait du porte-à-porte pour promouvoir son église et pour inviter la population à confier leurs vieux vêtements à des personnes qui en ont besoin. Au lycée, elle est la présidente du conseil des élèves, du club de musique et est inscrite au maximum de cours possible dans son emploi-du-temps.

Toute notion de religion mise à part, Évangelista est une sainte.

Je me sens bien con à côté d’un tel portrait. J’ai tellement l’habitude de déménager que j’ai abandonné depuis plusieurs années l’idée de m’inscrire dans un club. Je me souviens vaguement d’un concours de sport que j’ai fais au collège, mais je suis bien incapable de sortir le nom de l’association qu’on était censé aider.

Pour ce qui est de la manière dont j’occupe mon temps, Lista connaît déjà tout. Sans être hyperactif, j’ai trop d’énergie dans le corps à dépenser, et j’enchaîne les activités, que ce soit les footings, le basket devant la maison, le jardinage. Avant Ginny, j’avais déjà fais du baby-sitting, mais en compagnie de ma meilleure amie, Emma, qui est beaucoup plus à l’aise que moi avec les enfants. Il m’arrivait d’aider Périne quand elle avait beaucoup de travail, mais quand on est traiteur, on a souvent du mal à donner des consignes à quelqu’un qui n’a aucune idée de la manière dont on fait un gâteau dont les ingrédients ne sont pas déjà préparés dans une boîte.

Je lui raconte la fois où, avec un ami que j’ai perdu de vue, j’ai grignoté tous les gâteaux de mariage que Périne devait présenter à un groupe. Débordée, ma mère s’en est rendue compte au dernier moment, et était bien en peine d’expliquer aux futurs mariés pourquoi la décoration était désastreuse.

Ce qui me plaît le plus dans cette journée, c’est le rire de Lista. J’ai envie de faire les pires conneries, de dire les pires bêtises, juste pour l’entendre rigoler. Son sourire est ravageur, le genre d’image qui me réchauffe aussitôt le cœur.

Quand on a fini de manger, je l’entraîne de nouveau à travers les couloirs du musée, sans lui lâcher la main. Ce contact me fait l’effet d’une révolution. Je ne pense pas vraiment au fait qu’on soit officiellement en couple. Je suis juste présent avec elle, et c’est quelque chose qui me rend vraiment heureux.

La journée touche beaucoup trop rapidement à son terme. Quand je vois qu’on arrive à la fin du musée, et qu’il ne nous reste plus beaucoup de temps à passer ensemble, je commence à faire une fixette sur ma montre, ce qui n’arrange rien.

Au moment où on arrive dans ma voiture, je sais que c’est vraiment la fin, et ça m’émeut. Les vacances ont à peine commencé, il nous reste encore beaucoup de bons moments à passer ensemble, mais cette journée était parfaite, et je ne peux qu’être triste de la voir s’achever.

— On peut faire un tour à la plage, avant de rentrer ?

Cette proposition me fait sourire, parce que je comprends qu’elle n’a pas plus envie que moi de rentre chez nous tout de suite. On veut tous les deux faire durer ce moment.

Je gare la voiture sur un petit parking au dessus de l’étendue de sable blanc. On descend tous les deux pour nous balader le long de la mer, à quelques pas de l’eau qui glisse, comme si elle voulait nous toucher avant de repartir.

— J’aimerais tellement que mes parents ne soient pas si extrêmes, dit-elle tout d’un coup.

Mon regard glisse du coucher de soleil à son regard triste.

— Avec Jérémy, ils me laissaient totalement libre, poursuit-elle. Je ne compte pas le nombre de fois où ils l’ont invité à venir dîner…

Elle s’interrompt, et me fait un sourire désolé avant même que j’ai pu placé un mot.

— Je compare pas nos relations, précise-t-elle. C’est juste que vous êtes tellement importants pour moi, que j’aimerais que les choses soient plus faciles. Je voudrais te voir jardiner avec mon père, parce que je sais qu’il a beaucoup aimé travailler sur votre jardin quand vous êtes arrivés. J’aimerais qu’on puisse sortir ici, et que tes mères aient une réponse quand elles nous saluent le matin.

— Ça me ferait plaisir, à moi aussi, réponds-je. C’était cool de jardiner avec ton père, et je sais que ta mère est très gentille, je l’ai tout de suite remarqué quand je l’ai rencontré. Crois-moi, Lista, si je peux faire quoique-ce soit pour que les choses changent, j’hésiterais pas une seconde.

— Je sais.

Lista se tourne vers moi, et pose une main sur ma joue, les yeux brillants.

— C’est une des raisons qui font que je t’aime. Tu es la personne la plus conciliante que je connaisse, je sais que tu pardonneras mon père dès qu’il se montrerait prêt à passer à autre chose. Tu n’aurais pas de rancœur, parce que tu ne mélanges pas les choses, comme lui.

Lista soupire, puis se mord la lèvre inférieure, et bien qu’elle ne me le demande pas, je la sers dans mes bras. Je la laisse nicher le nez dans mon cou, et j’inspire son parfum. Je crois que c’est la meilleure chose que je connaisse : pouvoir la tenir contre-moi, sentir son cœur battre contre ma peau. Sa seule présence me fait du bien.

— Un jour, tout ça, ça arrivera, murmuré-je. Tes parents comprendront, ils accepteront. Tu es leur fille. Ils ne veulent et ne voudrons que ton bonheur. Comme moi.

Je l’entends sangloter silencieusement, mais je sais que ce n’est pas forcément un mal. Je sais ce que c’est d’avoir autant d’émotions en soi, et de devoir s’en décharger à un moment. Je suis seulement content d’être présent pour la soutenir quand elle le fait.

— Je t’aime.

Je lâche ces trois petits mots à voix basse, comme un secret que je lui confie. Si elle me répond, je ne l’entends pas, mais ce n’est pas grave. Je me contente de le lui dire, non-pas pour la rassurer ou pour être rassuré, mais parce que je sais que je peux enfin être moi-même avec elle.

Et moi, c’est quelqu’un qui l’aime.

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