Chapitre 53

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Les premiers jours de vacance passent à une vitesse folle. Lorsque les parents d’Emma acceptent de laisser leur fille venir trois jours dans le courant de la deuxième semaine, je ne retiens plus ma joie. C’est comme si, au moment où les cours se mettaient sur pause, toutes les choses désagréables de ma vie disparaissaient une à une.

Flynn passe beaucoup plus de temps chez les Pacat. Vers la fin de la semaine, on décide tous de le laisser garder Ginny un après-midi. On sait bien que la présence de Luke le dissuadera de faire une bêtise, mais pour lui, cette confiance est très importante. Je sais que, chez elle, Alice s’inquiète un peu, comme mes mères, qui se sont beaucoup attachées à lui.

Moi je lui fais confiance. Un peu trop, peut-être – le coup serait dur si je venais à me tromper. C’est peut-être trop tôt, mais je sens que cette certitude que j’ai qu’il saura bien se tenir lui fait du bien, alors je ne cède pas.

Je profite aussi de ces journées pour sortir avec mes nouveaux amis. Excepté quelques soirées – qui se sont rarement bien terminées – je n’ai pas beaucoup traîné avec la bande de Déborah hors du lycée. Quand Audra m’invite un après-midi à aller au cinéma avec eux, je ne me demande même pas quel film on doit voir et je prends tout de suite les clés de ma voiture.

Ce qui est une bonne idée, car je passe un moment génial. En sortant du cinéma, je les suis à travers les rues du centre-ville jusqu’à un grand bar où on s’installe tous en terrasse. Jusqu’à présent, j’ai toujours eut des amis qui se comptaient sur les doigts de la main. C’est en quelque sort la première fois que je sors avec un groupe de plus de cinq personnes, et l’ambiance n’a rien à voir avec les sorties intimistes que je pouvais faire avec Emma et Nick, ou avec Lista et Alice.

Lorsque Tim parle de la soirée qu’il organise pour la semaine prochaine, je songe que c’est l’occasion idéale de présenter à Emma mes nouveaux amis. Comme ça tombe juste au moment où elle va venir, j’en viens presque à me dire que c’est un signe.

Les vacances passent à une vitesse incroyable, justement parce que je ne vis que des choses incroyables.

Chaque soir, je vais courir avec Lista. Elle aussi passe de chouettes vacances. Ne pouvant sortir sans l’accord de ses parents, elle entreprend d’inviter Audra et Déborah chez elle. Eugène et Karen ne s’étaient même pas rendus compte qu’elles s’étaient brouillé pendant plusieurs mois. Je suis même sûr qu’ils n’ont pas la moindre idée des rumeurs que Jérémy fait circuler sur les filles au lycée.

Je ne pense pas à lui, et personne ne prononce jamais son nom, ce qui est pas plus mal. Mais je sais, en regardant les stories Instagram qu’il organise fête sur fête. Il n’a même pas le temps de dessoûler qu’il part déjà sur la suivante, chez lui, chez ses potes, chez des étudiants à la fac. J’ai l’impression qu’il a décidé que les vacances étaient l’excuse idéal pour ne rien foutre à part s’enfiler des bières et draguer des filles.

Je plaints ces dernières, sincèrement.

Le jeudi, je conduis la voiture jusqu’au gymnase où doit se retrouver le club de basket. Viennent avec moi Alice, Flynn et Lista. Quand on arrive et qu’on se présente à la jeune femme qui s’occupe des entraînements, elle profite que les membres de l’équipe se changent dans les vestiaires pour nous expliquer un peu ce qu’ils font. Elle nous conseille de rester sur les bancs pendant les trois heures d’entraînement, histoire de nous en faire une idée.

Le garçon qui m’avait conseillé de venir – Denis – est content de me voir. Il est surpris de voir la compagnie étrange qui me suit, mais ne fait aucun commentaire. À sa place aussi je serais étonné de voir Lista et Flynn venir dans un club de basket ensemble.

Dès les premières minutes, j’ai envie de rejoindre tout le monde sur le terrain. Je pense à toute l’énergie qui, parfois, m’empêche presque de dormir, et aux exigences de Carla, l’entraîneuse. Avec une femme qui me gueule dessus pour me pousser au meilleur. Ces entraînements de malade, capables de me mettre à genoux au bout de dix minutes…

Lista ouvre des yeux immenses et regarde ses doigts frêles de pianiste.

— Comment on peut prendre du plaisir à ça ? Rit-elle jaune.

— Je veux bien essayer, dit Alice. Mais Joshua, je suis vraiment pas sûre.

Je tourne le regard vers Flynn, qui hausse les épaules d’un air dépité.

— Est-ce que j’ai vraiment le choix ? Demande-t-il.

— Bien sûr, c’est pour t’occuper que tu es là, pas pour te faire souffrir davantage.

— Alors je suis d’accord avec Lista, ce sera sans moi.

Ils restent quand même avec moi jusqu’au bout, et au final Alice et moi sommes les seuls à suivre Carla dans son bureau pour nous inscrire. Elle nous demande si on n’est pas trop impressionnés par ses exigences.

— C’est un club de sport ou un entraînement pour l’armée ? Commente Flynn, à la porte.

— On est ici pour donner le meilleur de nous, répond Carla. C’est qu’il faut en vouloir, avec moi. Je peux vous conseillez d’autres clubs, si ça vous intéresse vraiment ?

Pour la première fois, Flynn et Lista ont un regard de connivence, et secouent tous les deux la tête pour refuser poliment. Alice et moi donnons nos coordonnés, notre numéro de téléphone et Carla nous donne une brochure avant de nous donner rendez-vous mardi prochain.

Sur la route du retour, on essaye de trouver de nouvelles solutions. Dans l’absolue, Lista n’en a pas vraiment besoin, c’est surtout pour Flynn qu’on s’inquiète. On décide de ne pas rentrer à la maison pour éviter que les parents de Lista nous aperçoivent, et on s’enfonce dans le centre-ville pour nous arrêter dans un café.

— Je pourrais utiliser ta guitare ? Demande Flynn quand le serveur part chercher nos commandes.

— Tu sais en jouer ?

Je suis curieux, pour le coup – j’ai jamais réussi à aller plus loin que quelques accords.

— Non, mais je suppose qu’il y a des profs, dans cette ville.

On se tourne tous vers Lista, qui sourit en rougissant.

— Je ne sais pas, mais je peux me renseigner. Au pire, si le piano t’intéresse, je sais que je peux te donner des cours. Mes parents diront rien.

La proposition sort un peu de nul part. On est tous surpris, et Flynn est carrément à court de mots. Il accepte en faisant profile bas, l’air gêné et surpris qu’elle lui fasse cette proposition aussi naturellement. Moi, ça me fait carrément plaisir – je les imagine déjà se rapprocher, et notre groupe se former. C’est encourageant.

On passe un après-midi génial, qui s’ajoute à la liste depuis le début des vacances. Flynn a l’air de se sentir beaucoup mieux, et si ses répliques ironiques continuent de fuser à tout va, il ne s’attaque à personne en particulier – il ne semble plus avoir de rancœur ni contre moi ou Lista, et s’il ne rigole pas toujours en même temps que nous, il a l’air de passer une journée plutôt agréable lui aussi.

Quand on rentre à la maison, Lista et moi décidons d’aller courir tout de suite. On se change en quatrième vitesse tandis que Alice et Flynn s’assoient devant la télé sur des poufs que mes mères ont acheté au début des vacances, bien que le canapé va bientôt rejoindre sa place d’origine, remplacée par le lit clic-clac.

Lista me rejoint au bout de la rue, et on trottine en direction de la plage, notre endroit préféré pour nos footing. Lista me parle d’un petit resto qu’elle aime bien à quelques centaines de mètres des rochers, où on décide de manger tous les deux ce soir.

— Y a aucun risque que tes parents apprennent qu’on se voit là-bas.

— Pas plus de risque qu’ils apprennent qu’on court sur la plage ensemble.

— Touché !

On se donne à fond sur le petit chemin qui longe la plage. Il fait carrément frais, même pour un jour d’octobre, et l’activité nous réchauffe les muscles. La marée est haute, et la moitié des rochers sont submergés. Le trou de l’enfer est invisible sous l’écume qui explose sur les piques de pierre grise. Alors qu’on approche des 19 heures, le soleil commence à se coucher, illuminant le ciel d’une lumière de feu.

On est à bout de souffle quand on s’arrête près d’un banc inoccupé, et qu’on s’installe pour regarder le soleil disparaître sous la ligne d’horizon.

— C’est dans ce genre de moment qu’on peut voir un rayon vert, non ?

Je hausse les épaules.

— Je sais pas, j’en ai jamais vu.

— T’avais vécu beaucoup de fois près de la mer ?

Je rassemble mes souvenirs. Effectivement, j’en ai pas beaucoup de plages et d’océan.

— On a vécu en Normandie quand j’avais deux, ou trois ans, mais je m’en souviens pas. Sinon, on a passé une année en Bretagne, dans un patelin perdu qui s’appelle Penmarch.

— Penmarch, répète-t-elle en écorchant le nom.

Je rigole en lui répétant le mot en articulant : « Pen » comme « pin » et « march » comme une « mare ». C’est ce que ma mère aimait bien dire, et les habitants la regardaient toujours avec une drôle d’expression.

— Ça veut dire quelque chose ?

— Tête de cheval, réponds-je mort de rire, c’est du breton.

— C’est bon à savoir.

On rigole tous les deux, et je me sens super bien. La nuit tombe sans qu’on bouge de notre banc, parce que aucun de nous n’en a vraiment envie. Je lui raconte quelques histoires de la Bretagne, et elle m’en raconte quelques unes de la région d’Icart. On arrête quand nos ventres nous grognent d’aller manger.

— Le resto n’est pas loin, dit Lista quand on se lève.

— Je te suis.

On reprend notre course en trottinant. L’endroit dont elle me parle, appelé Vert Méditerranée, est un petit restaurant-café cosy, décoré dans le thème d’Halloween. On n’a pas trop de difficulté à trouver une table. Les serveurs, dont l’uniforme consiste en tee-shirts humoristiques, sont super sympas, et nous accueillent chaleureusement.

— Contente de te voir, Lista, dit une serveuse avec un serre-tête serti d’une petite citrouille en plastique. Je peux savoir qui est ton ami ?

Lista fait les présentations. La serveuse – Lili – nous souhaite de passer une bonne soirée en prenant nos commandes. Je fais totalement confiance à Lista pour ce qui est du repas. Prétendant qu’elle ne connaît pas encore trop mes goûts, elle opte pour un classique : quelques minutes plus tard, je me retrouve avec un hamburger de la taille de ma tête au milieu d’une pleine assiettes de frites. Le plat dégage un fumet appétissant, mais…

— Ça à l’air délicieux, mais je pourrais pas manger tout ça !

L’assiette de Lista est beaucoup moins fournie.

— T’inquiète pas, si on vient plusieurs fois ils retiendront la quantité que tu aimes. Les gens qui travaillent ici sont géniaux !

Je prends une première bouchée : c’est le meilleur hamburger que j’ai mangé de ma vie.

— Sinon, après le lycée, tu sais ce que tu veux faire ? Me demande-t-elle.

Au milieu du restaurant, les discussions tout autour de nous projettent une ambiance agréable. J’ai l’impression d’être au paradis.

— J’y ai pas beaucoup réfléchi. Je pensais aller dans une fac du coin, comme celle de Pandore à Villeray, ou celle de Pygmalion à Valens.

— T’as l’université mais pas les études.

— Tout à fait. Et toi ?

— De la musique. J’ai envoyé demande d’inscription au Conservatoire de Valens. Je sais pas trop quand j’aurais une réponse.

Cette idée me plaît : on pourrait étudier dans la même ville, même après le lycée.

— Je suis sûr qu’ils vont t’accepter, tu es super douée.

Son sourire est la plus belle chose qui soit.

— En parlant d’études, tu es très doué en sport, tu peux jouer là-dessus.

— Je crois pas que mon avenir se joue sur le sport.

Lista hausse les sourcils.

— Le sport, c’est un hobby, expliqué-je. Comme le jardinage.

— Ou la musique, résonne-t-elle, ça m’empêche pas de miser mon avenir là-dessus. T’en as pas envie, ou t’y crois juste pas ?

Je m’apprête à répondre quand je me rends compte que je me suis jamais vraiment posé la question. En fait, ouais, j’y crois juste pas. Même si mes mères m’ont toujours encouragé dans toutes mes entreprises, c’est comme si j’avais la voix de ce vieux grand-père dans les films qui dit que le sport ou l’art c’est pas un métier.

— J’y réfléchirais, réponds-je donc.

Elle me sourit de nouveau – un sourire qui me fait fondre. Je suis sur le point de me liquéfier de plaisir lorsqu’elle pose la main sur celle que je traînais négligemment sur un côté de la table.

Si celle-ci ne nous sépareraient pas, je l’embrasserais aussitôt.

En fait, je me lève à moitié et me penche au dessus de nos assiettes pour le faire.

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