Chapitre 67

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Je n’ai pas de nouvelles de Lista, jusqu’à ce qu’on sorte faire notre footing. Et alors, elle ne me fait aucune remarque, ce qui me laisse penser que son père ne lui a pas parlé de notre conversation.

Ce qui m’étonne quand même. Lorsque Déborah et Audra sont rentrées, elles m’ont toutes les deux envoyé un message pour savoir comment ça s’était passé. Aussitôt, je me suis attendu à recevoir un texto incendiaire de Lista, mais je n’ai rien eu.

Et maintenant que nous courrons tous les deux jusqu’à la plage, je ne peux pas m’empêcher de jeter des coups d’œil vers elle, m’attendant à ce que sa bonne humeur laisse place à de la rancœur. Mais il n’y a rien, et je me permets un peu de soulagement : je ne vais pas être largué ce soir.

Ni la semaine suivante, apparemment.

Tout se passe parfaitement, et Lista se comporte comme si elle n’était au courant de rien. Plus encore : elle finit par avouer, au bout de quelques jours, que ses parents se sont un peu calmés. Je me demande si ma discussion avec son père a porté ses fruits, ce qui me rend un peu plus extatique et me conforte dans le bien fondé de mon acte. Je me demande bien ce que dirait Lista si elle venait à le découvrir, mais j’essaie de me réconforter en me disant que sa vie est devenue un peu plus tranquille, aujourd’hui.

Les jours commencent à défiler dans un enchevêtrement de cours, de sorties avec les amis, et de rencards avec Lista. Même Jérémy semble se calmer, comme s’il commençait à se lasser de faire circuler des rumeurs sur nous – comme s’il avait cessé de vouloir se venger. Nos groupes d’amis restent séparés, mais les tensions, quoique encore présentes, sont au point mort.

Flynn continu d’aller chez les Estella pour apprendre à jouer du piano auprès de Lista. Après deux semaines, elle prend même le risque de le faire venir en présence de ses parents. Je reste jardiner de mon côté de la haie en dressant l’oreille, attendant que des cris parviennent à moi, mais tout ce que j’entends, ce sont les doigts de mon ami qui martyrisent les touches de l’instrument.

Je souris en taillant un buisson qui a un peu trop poussé. J’imagine Flynn à côté de Lista, qui regarde d’un air bêta ses mains pendant qu’elle donne ses instructions. Je me rends compte un peu tard que je ne ressens pas la moindre jalousie envers lui alors que, disons-le, il est nettement plus séduisant que moi. Si on devait établir une échelle de beauté, je me placerais au milieu de la barre – lui représenterait le sommet.

Alors, l’idée que Lista et lui soient seuls tous les deux, et que ses parents tolèrent sa présence et non la mienne, devrait logiquement me déranger. Et pourtant, j’ai une confiance assez absolue en eux. Peut-être parce que je n’imagine pas Lista me tromper, ou bien parce que j’ai confiance en Alice pour castrer Flynn s’il venait à la trahir.

Cette idée m’amuse plus qu’elle ne m’inquiète.

Quand la nuit tombe, le jardin est parfait. Il ressemble exactement à ce que j’ai toujours rêvé, et que je ne pouvais pas avoir dans des villes comme Paris. Ça me ferait vraiment chier que mes mères décident de déménager de nouveau, et que je doive le laisser entre les mains d’inconnus. Mais si cela devait arriver, au-moins aurais-je la satisfaction de savoir que les prochains occupants auront un superbe jardin arrière.

Mais honnêtement, je ne sais pas si elles vont partir. Je sais bien que je pense ça à chaque fois, au bout de quelques semaines. Qu’elles vont s’installer définitivement, et que les déménagements vont cesser. Je m’en persuade jusqu’au jour où elles m’annoncent leur désir soudain de faire nos bagages. Quoiqu’il arrive, ces départs sont finis en ce qui me concerne. D’ici quelques semaines, il sera temps d’envoyer mes demandes d’inscription pour l’université.

Je doute d’être accepté à l’université de Valens, elle est bien trop côtée. Mais il en existe beaucoup d’autres à proximité de Larmore-baie, comme l’université de Villeray. Ma vie se fera dans cette région, entouré des amis que j’ai aujourd’hui. Le prochain départ de mes parents, s’il doit y en avoir un, se fera sans moi.

J’arrête de penser à tout ça quand Flynn revient, sifflotant, comme pour me provoquer, l’air de dire « Moi je suis le bienvenu chez eux ». Il fronce le nez devant mon sourire railleur, et entre dans la maison. Le temps où il arrivait à m’agacer est révolu. Quand on voit quelqu’un vomir ses tripes au pied du lit, et pleurer en dormant, on passe un certain degré d’intimité qui empêche toute colère. Ce n’est plus le Flynn parfait, sexy et froid que j’ai connu, mais un Flynn vulnérable, gentil et animé d’un manque de confiance qu’il révérait d’effacer.

Je vais courir rapidement avec Lista, mais on rentre avant 20 heures pour qu’elle ne rate pas son émission du samedi. Le goût de ses lèvres, après l’avoir embrassé à quelques pas de sa porte, sans un regard pour ses parents s’ils venaient à nous voir, me reste sur la bouche le reste de la nuit.

Les choses peuvent-elles aller mieux ?

Je ne sais pas, en revanche, elles peuvent s’aggraver, comme je l’apprends les jours suivants.

C’est au dîner chez les Pacat, le dimanche, que nous apprenons la nouvelle. Sabine et Stéphane profitent de la présence de mes mères pour nous annoncer que la police les a contacté la veille. Flynn doit se rendre au commissariat pour être interrogé sur l’affaire Noah. D’une manière où d’une autre, ils ont appris que Flynn lui achetait sa came. Ce qui est plutôt inquiétant, car il est presque certain que Noah n’a donné le nom d’aucun de ses clients. Pour lui, ouvrir la bouche est peut-être plus dangereux que la boucler.

Ce qui signifie que les flics ont une autre source d’informations, et qu’on ne peut pas savoir ce qu’ils savent déjà. Dans tous les cas, on se met tous d’accord pour que Flynn dise la vérité, jusqu’aux limites du possible – ce n’est pas de la police, et de leur amende, que nous avons peur, mais des potes de Noah, et de leurs représailles.

La convocation ordonnant la présence de Flynn le lundi, en début d’après-midi, nous n’avons pas à attendre longtemps. Ce sont les Pacat qui viennent le chercher au lycée. Moi j’y reste, et je remercie l’administration de m’avoir mis un cours de sport le lundi. Ça me permet de me défouler, même si je ne quitte pas mon portable, guettant la moindre nouvelle.

Je suis dans la voiture quand Flynn m’envoie un texto. Il reste chez les Pacat jusqu’au soir, car certaines choses vont devoir changer. Outre l’amende de deux-cents euros qu’il a à payer pour consommation de drogue, l’Aide Sociale à l’Enfance commence à s’intéresser à l’affaire. Mes mères sont en train de chercher parmi les meilleurs avocats de la région pour que les Pacat ne perdent pas leur agrégation. Mais dans tous les cas, maintenant que Flynn est majeur, et qu’il a rencontré des problèmes avec la justice, les relations officielles entre sa famille d’accueil et lui vont se tarir. Les autres enfants, dont la petite Ginny, ne devraient pas être inquiétés.

Et Flynn vivrait officiellement chez moi, en tant que personne majeure que l’on héberge. Du moins, c’est ce qui se passerait dans le meilleur des scénarios. Pour le reste, j’ai la sensation qu’en savoir trop me fera plus de peur que nécessaire.

Quand Flynn rentre le soir, il fait ses devoirs en silence, et va se coucher sans un mot. Je lis en lui comme un livre ouvert : sa peur de décevoir les Pacat, de poser des problèmes pour les autres enfants. La peur d’avoir tout détruit.

Ce qu’il ne voit pas, c’est la façon dont nous le regardons tous. L’admiration qu’on lui porte pour avoir réussi à se sortir des emmerdes, pour continuer à se battre chaque jour alors qu’il pourrait facilement replonger, pour vivre sa vie malgré les embûches.

Si seulement il pouvait passer au-delà de sa douleur pour se rendre compte de ce qu’il a réussi à faire, et ce qu’il continue de faire. Mais je sais à quel point il est facile de se voir du plus mauvais côté. C’est ce que j’ai longtemps fait avec Lista, mais aujourd’hui, je ne me permets pas de voir le mal qui nous entoure.

Je ne me permets pas de penser à l’avenir, et à l’université qui peut-être nous séparera.

Je ne me permets pas de penser à ses parents, qui ne m’aimeront peut-être jamais.

Je ne me permets pas de penser à Jérémy, et aux regards assassins qu’il nous lance.

Tout ce que je me permets de voir, c’est que notre relation est aussi saine que possible. Qu’elle m’aime au moins autant que je l’aime. Qu’ensemble, nous sommes forts. Et que peu importe la durée qu’aura notre histoire, elle restera à jamais gravée dans mon cœur.

Alors dès le lendemain, j’agis pour montrer à Flynn tous les bons côtés de sa situation, toutes les choses qu’il a fait. Mais surtout, lui montrer que les défis qu’il aura à affronter ne sont pas insurmontables – surtout pas quand il est accompagné de personnes qui l’aiment autant.

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