Chapitre 68

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Les jours passent sans qu’il n’arrive quoique-ce-soit d’important. C’est presque comme si l’univers avait décidé de nous octroyer une pause.

Ce n’est pas simple pour autant, car le temps défilant sans qu’on ait de nouvelles nous inquiètent davantage. Rester dans l’ignorance est presque pire que nous débattre avec nos problèmes.

Des habitudes sont prises. Notamment pour Flynn, qui apporte de l’aide à Périne dans son travail. Mes parents ayant avancé l’argent de son amende, ils se sont mis d’accord pour que Flynn les rembourse en secondant ma mère dans son entreprise de traiteur. En plus des cours qu’il doit rattraper pour le lycée, cela ne lui laisse plus beaucoup de temps libre.

Mais ça semble lui convenir. Il n’a pas le temps de réfléchir, pas le temps de ruminer. Il passe la plupart de ses rares moments de libre chez les Estella, avec Lista. Se plonger dans ses leçons de piano lui aide à s’aérer l’esprit. Le reste du temps, il est avec Alice, et ils nous laissent seuls, Lista et moi, dans la dépendance.

Notre relation se renforce un peu plus chaque fois que nous nous voyons. Je me sens si bien avec elle que, pendant un instant, tous mes problèmes s’envolent, et j’ai l’impression d’être au paradis. Avec Lista, même une séance de révision se transforme en petit plaisir coupable.

Quand arrive la fin du mois de novembre, Lista me propose enfin de l’accompagner au concert des Jaguars de Gévaudan. Jusqu’à présent, elle avait gardé sa place supplémentaire – celle qui était destinée à Jérémy – dans un tiroir de sa table de nuit. Un samedi après-midi, elle vient chez moi et me présente le billet, me proposant officiellement de venir avec elle. Ce n’est pas avant plusieurs semaines, mais déjà la perspective me donne envie de sauter partout.

Je mets le billet dans un petit coffret où j’ai l’habitude de rassembler des petites choses, qui paraissent sans importances mais qui valent beaucoup à mes yeux. Comme la capsule de la bouteille de coca que Lista a bu au Musée sur Napoléon, où la serviette inutilisée du restaurant où nous avons dîné en face de la mer. Puis je reviens dans le salon et je la serre dans mes bras, posant mes lèvres sur les siennes en me demandant une fois de plus ce que j’ai pu faire pour mériter une personne aussi adorable que Évangelista Estella.

— Je ne vais pas pouvoir rester longtemps, me dit-elle alors qu’on se blottie tous les deux devant la télévision. Mes parents veulent qu’on aille dîner chez des amis, ce soir.

— Tes parents sortent, alors ? Blagué-je.

Elle me donne un petit coup sur l’épaule.

— On est pas allé où que ce soit tous les trois depuis longtemps, dit-elle. Je pense que ça va nous faire du bien.

— Ils sont de plus en plus cools, ces derniers temps, j’ai l’impression, fais-je remarquer.

Elle fronce le nez.

— En apparence, oui. Mais à la maison, c’est un peu plus vicieux. Je vois bien que mon père attend juste qu’on se sépare, il lâchera pas le morceau. Mais je crois qu’il a décidé de plus le montrer en public. C’est déjà un début.

Oui, songé-je, c’est déjà un début. Peut-être que ma visite dans sa boutique n’a pas servi à rien, finalement.

On s’installe sur le canapé. Allongés en travers, elle se blottit contre moi devant la télévision. C’est toujours comme ça que j’ai imaginé mon couple : être juste tous les deux, et être si biens ensemble que les moments les plus ordinaires de la vie deviennent soudain incroyables.

On reste un long moment l’un contre l’autre, nous embrassant parfois, doucement, mais malgré la chaleur qui emplie ma poitrine à chaque fois, il ne se passe rien de plus. Nous restons très sages, plus que je ne l’aurais souhaité. Cependant, ça ne me dérange pas. Je connais Lista et je ne veux pas qu’elle ait la sensation que je lui force la main. D’autant plus que je ne me sens pas forcément prêt pour ma première fois. Je ne ressens qu’une envie, une pulsion que je voudrais assouvir, mais pas de besoin à proprement parler. Je peux facilement m’en passer.

Je trouve même plus rassurant de m’en passer. Le sexe, ça a l’air cool, mais j’ai surtout l’impression que ça peut être un poison qui contamine même les plus beaux sentiments.

Je suis sûr que Jérémy et Lista s’aimaient sincèrement avant qu’il ne mêle le sexe à leur histoire.

Comparer notre relation avec la leur me met de mauvaise humeur. J’essaie de ne pas le montrer à Lista, et je me concentre sur le programme à la télé. On chille devant Netflix pendant un moment, échangeant des regards complices devant les scènes romantiques, des sourires devant les scènes comiques, et des moues devant les scènes tristes. On semble tous les deux en phase, et ça fait un bien fou.

Du moins, jusqu’à ce que la porte de la dépendance s’ouvre à la volée et qu’un Flynn furibond débarque en envoyant valser son sac à dos. Alice, un peu plus calme, referme doucement la porte derrière eux. Lista met la série sur pause et on se tourne vers eux.

— Qu’est-ce qui se passe ?

Flynn ne répond pas, et va aussitôt s’enfermer dans notre chambre. Alice s’assoit sur une chaise.

— On a croisé quelques-uns de… ses anciens potes, dit-elle.

Elle a les yeux rouges, et j’ai l’impression qu’elle se retient de fondre en larmes.

— Quel genre ? Demande Lista. Jérémy et les autres ?

— Genre le grand-frère de Noah et les gros bras des dealers de la ville.

Je me redresse aussitôt, l’inquiétude envahissant mon esprit.

— Flynn n’est pas censé les revoir, c’était l’une des conditions pour qu’il s’en sorte aussi bien.

— Il ne les a pas vu de guettée de cœur, rétorque Alice. Ils nous sont tombés dessus quand on est sortis du café.

— Qu’est-ce qu’ils voulaient ? Interroge Lista.

Je m’assois sur le dos du canapé, les bras croisés, les yeux sur le sol. Je remercie intérieurement Lista de parler à ma place. J’ai vraiment besoin de me concentrer sur les explications d’Alice.

— Ils accusent Flynn d’avoir balancé certains potes de Noah. Ils lui ont mit la pression pour qu’il se taise, mais la moitié avaient l’air déjà convaincus qu’il est lié à la vague d’arrêts de la semaine dernière.

— Ça craint, marmonné-je. Tout était cool, on était presque sortis de la merde, et il faut que les potes de Noah se ramènent.

— Ils demandent aussi l’argent que Flynn doit payer, ajoute Alice. Il n’a pas remboursé son avance sur la drogue qu’il a acheté avant son sevrage.

Payer ? Répété-je. Si on s’amuse à leur donner du fric, et que les flics l’apprennent, ça peut très mal tourner pour nous…

— C’est bien pour ça que Flynn est dans cet état, me lance Alice. Il sait très bien dans quelle merde on est. On ne peut pas leur donner de l’argent, sinon il pourrait avoir de gros ennuis avec la police. Et si on ne paye pas, alors c’est les potes de Noah qui se gêneront pas pour foutre la merde.

On reste un instant silencieux, après quoi je me lève et me dirige vers la porte.

— Il faut que j’en parle à mes mères.

— Tu es sûr…

— Je le dois, insisté-je. On s’est mis d’accord, les adultes doivent être au courant de tout. On ne peut pas les laisser sur la touche encore une fois, on sera encore plus dans la merde.

— Alors je m’en occupe, décide Alice. Toi va voir Flynn, peut-être qu’il t’écoutera.

Je lance un regard vers Lista, qui acquiesce. Elle se rapproche de moi, m’embrasse sur la joue en me disant qu’elle rentre chez elle. Avant de partir à la suite d’Alice, elle me fait promettre de la tenir au courant. Ce que je compte faire, du moins jusqu’à 19 heures dernier délais, après quoi je ne veux pas gâcher sa soirée avec ses parents.

Quand j’entends la porte d’entrée se fermer, j’ouvre celle de la chambre. Flynn est allongé en travers de son lit. Je vais m’asseoir au bord du mien, posant mon regard sur son visage fermé. Même s’il garde les yeux obstinément clos, son front se bard d’un pli de contrariété.

— Je sais ce que tu vas me dire, dit-il. Je sais pourquoi. On entend tout à travers les murs.

— Et rien de ce que je peux dire ne te rassurera.

— Non. Je suis dans la merde jusqu’au cou.

— On, rectifié-je.

Il ouvre les yeux. Son regard a beau être froid, j’arrive à y décerner une pointe de vulnérabilité. Je suis devenu doué à ce petit jeu.

— Quoi, « on » ?

— On est dans dans la merde. Je te laisserais pas tout seul. Pas maintenant.

— T’es tellement gentil, répond-il en levant les yeux au plafond.

Il soupire, et je continus de le fixer, sans ciller. Au bout d’un moment, il se redresse et me rend mon regard.

— D’accord, fait-il. OK, tu me laisseras pas. C’est censé me rassurer ?

— Je pense que oui.

— Moi j’ai plutôt l’impression que tu es un moyen de plus de me faire du mal.

Sa remarque fait battre plus vite mon cœur, rendant son rythme presque douloureux. Ça me fait plaisir autant que ça me terrifie.

— Je pense que je suis une sécurité de plus à prendre en compte.

— Vois ça comme tu veux, répond-il. (Il reste silencieux un moment, soupire de nouveau.) Je suis content que tu sois là. Je suis content de pouvoir te considérer comme un ami. Mais ça ne me réjouit pas, l’idée qu’on puisse s’en prendre à toi, ou à tes mères, à cause de ça.

— Alors faisons en sorte que ça n’arrive pas.

Il me rend mon regard, sérieux, et acquiesce.

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