Après avoir aidé sa mère à monter les courses, Silvio descend rejoindre Agostino en bas de l’immeuble. Après s’être salués, ils s’asseyent sur les marches, comme chaque jour, ils réfléchissent à leur programme de la matinée. La discussion commence à tourner en rond sur le jeu auquel ils vont s’adonner. Silvio, songeur, répond mollement, peu emballé par les propositions de son camarade. Au bout d’un moment, Agostino finit par s’inquiéter et demande à son ami s’il va bien.

— Je n’arrête pas de croiser le chat, répond Silvio, soucieux.

— Quel chat ?

— Le chat de l’autre jour, celui du match !

— Et alors ?

— Ben, c’est curieux quand même !

— Si ça se trouve, c’est pas le même matou !

— Je crois que si ! Il me reconnaît, il fait comme s’il me disait bonjour.

— Tu rêves, un chat c’est bête, complètement crétin. Ils ne reconnaissent personne, ils passent leur temps à manger et à dormir.

Livia se mêle à leur conversation. Occupés à se chamailler, les deux garçons ne se sont pas rendu compte qu’elle s’était approchée d’eux.

— Si d’abord, ils reconnaissent les gens ! J’ai vu le gros chat roux moi aussi ! Après le match, lui et sa bande ! Ils étaient sur un mur, ils crachaient sur Alceo et ses copains.

— Ton frère avait encore dû lui jeter des trucs, réplique Agostino, agacé par son intervention.

— Moi, je crois ce que dit Silvio, dit-elle, un ton de défi dans la voix. Raconte-nous, Silvio.

— D’abord, je l’ai vu en bas de chez moi, quand j’allais me coucher. Ensuite, j’ai rêvé de lui.

— Tu vois que c’est n’importe quoi, l’interrompt Agostino.

— Dans mon rêve, je l’ai vu parler avec le lion de l’arsenal. Et quand j’y ai été pour de vrai, le chat était devant la statue, comme dans mon rêve.

— N’importe quoi !

— Ce matin en allant au marché avec ma mère, je l’ai croisé, il était à la halle aux poissons.

— Il voulait chiper de quoi manger, c’est tout, dit Agostino.

— Non, il a demandé. Presque poliment.

— Tu rêves, je te dis.

À ce moment, comme pour donner tort à Agostino, le gros chat roux apparaît au coin de l’immeuble. Accompagné de cinq compagnons, il marche doucement devant les enfants et se laisse tomber sur une plage de pavés chauffés par le soleil.

Une fois l’étonnement passé, Livia se retourne vers Agostino.

— Tu vois ?

— C’est juste des chats feignants qui ronflent au chaud !

— Moi je pense qu’ils viennent nous voir.

Pendant que les deux autres se chamaillent, Silvio se rapproche des animaux allongés. Il avance lentement, mais dès que le garçon se rapproche, les matous s’éloignent et se recouchent plus loin. Livia le rejoint.

— Tu ne sais pas comment on fait. Regarde !

Doucement, elle s’accroupit en face du gros chat roux. Ils échangent des regards, puis le félin se lève et s’approche de la main que tend Livia. Il respire son odeur un instant avant de se frotter la tête dessus. Un fort ronronnement résonne dans la cour, les autres félins viennent s’asseoir en arc de cercle autour de la petite fille et de leur chef, ils observent la scène sans se départir de leur flegme. Par les fenêtres des immeubles jaillissent les prénoms des enfants. Les chats se regroupent, saluent leurs compagnons humains et partent vers le Campo, laissant les trois bambins ébahis par cette rencontre. Silvio finit par rompre le silence.

— Cet après-midi, après la sieste, on les suit pour savoir où ils vont !

— Ouiii, approuve Livia.

— OK, d’accord, dit à son tour Agostino, moins enthousiaste.

— Mais, on se prépare, reprend Silvio. On emporte des gourdes et des goûters. Et puis des lampes et des pansements, on ne sait pas où ils vont nous emmener.

— Ouais ! répond Agostino, enthousiasmé par l’idée d’aventure.