Exploration

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Découragés, les trois enfants reviennent sur le parvis de la cité. Ils les trouvent enfin, assis bien en rang, du plus petit au plus grand. Ils attendent sagement, leur frimousse affiche des sourires félins, légèrement hautains et moqueurs. Les trois gamins s’échangent des regards surpris et se demandent à quel jeu jouent ces satanées bestioles.

Les chats s’étirent et ouvrent leur gueule dans de larges bâillements, dévoilant des langues roses et des canines pointues comme des aiguilles. Ils se lèvent, parcourent quelques mètres et se rasseyent, dans le même ordre, face aux enfants. Silvio et Livia avancent vers eux, Agostino les rejoint peu après, à quelques pas, en affichant une bonne dose de mauvaise volonté.

Les chats se relèvent alors, forment une ligne continue, et se mettent en marche. Ils les guident vers la Corte del Cimitero[1]. Ils longent les bâtiments des monastères et des églises, suivent les zigs et les zags de la petite ruelle et débouchent le long de la Chiesa[2] di San Francesco Della Vigna. La troupe avance sous les fenêtres du passage surélevé qui permettait aux ecclésiastiques de passer d’un édifice à l’autre sans se mêler à la foule des citoyens.

Dans son dos, Silvio entend Agostino, il bougonne et peste contre la canicule, il répète que, bientôt, les chats se trouveront un endroit bien douillet et s’endormiront pour une longue sieste.

Indifférents à ses paroles, les félins les mènent sur le parvis de l’église et continuent leur promenade lente dans la fournaise de l’après-midi. Ils négligent les espaces ensoleillés de la place et s’engouffrent dans l’ombre d’une ruelle bordée de hauts murs de brique recouverts d’affiches d’expositions et de spectacles. À leur sommet, les plantes des jardins débordent sur la rue. Animaux et enfants pénètrent dans un tunnel de végétation.

Quand le plus gros des matous disparaît par une ouverture donnant sur le terrain du réservoir de gaz abandonné, Silvio laisse échapper un hoquet de surprise. Ce matin en passant devant la vieille porte avec sa mère, il aurait juré qu’elle était fermée, et que même une petite bête n’aurait pu s’y faufiler. Mais les chats se moquent de l’avis de Silvio et, chacun leur tour, franchissent la poterne.

Le réservoir de gaz est un des vestiges du passé industriel de Venise. Abandonné de longue date, c’est un squelette de fer rouillé plus haut que les immeubles du quartier. Il est formé de poutrelles disposées en énormes cercles. Si Silvio avait rédigé la liste des lieux qu’il voulait explorer, le gazomètre aurait figuré dans les premières places, après l’Arsenal, bien sûr, mais pas loin derrière. Il n’hésite pas longtemps et avance en premier.

L’ouverture lui laisse juste assez d’espace. À force d’efforts et de tortillements, Silvio parvient à franchir l’entrée qui débouche sur une petite cour pavée. La porte est en partie bloquée par des buissons sauvages qui ont poussé à l’intérieur, le long du mur. Il la maintient ouverte et tire dessus de toutes ses forces pendant que Livia se glisse à son tour. Agostino la suit de près. Dès que Silvio relâche sa prise, l’ouverture se referme sous la pression de la végétation.

À l’ombre d’un grand arbre, une cour pavée se dévoile aux enfants, fermée par un épais rempart d’arbustes et de ronces. Quelques rayons de soleil se faufilent à travers le feuillage et éclairent les dalles du sol. À droite se dresse le mur d’une vieille maison dont l’antique porte en bois semble close depuis longtemps, des générations d’araignées y ont tissé leurs toiles miroitantes.

Un sentier se perd dans le fouillis de plantes, des nuées de moucherons volettent au-dessus de la végétation et des bourdonnements intenses laissent imaginer que de plus grosses bestioles hantent les environs.

Le parfum tiède et écœurant de la jungle a remplacé l’odeur nauséabonde de la Cale[3]. Les bruits de la ville n’arrivent pas à couvrir les miaulements de chats qui proviennent du chemin.

[1] Cimitero est le mot italien pour cimetière


[2] Chiesa désigne le mot église en italien


[3] Cale signifie rue en Vénitien

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