Trésor caché
Le gros chat roux assiste à distance à cette rencontre entre la fillette et le chaton, puis se retourne vers Silvio. Le matou marche d’abord dans sa direction, le regard insistant, puis l’attire vers l’autre bord de la plate-forme. Il s’arrête près d’un trou creusé dans le béton. Il tourne autour et miaule de manière pressante.
Silvio, intrigué, se rapproche de la cavité. Prudent, il se demande ce que lui veut ce curieux animal qui tantôt lui souffle dessus, tantôt l’invite à le suivre. Il y a là de quoi se méfier. Il laisse Agostino sur le bord, ce dernier bougonne et observe l’assemblée féline d’un air méfiant.
Au fond du trou, Silvio aperçoit une forme rectangulaire, sa surface métallique scintille dans les rayons du soleil. Le garçon tend la main et la saisit. Encouragé par les miaulements insistants du matou, il extirpe sa trouvaille et la ramène sur la dalle de béton. C’est une petite boîte en fer-blanc aux arêtes rouillées. Le chat fait demi-tour et retourne auprès de ses sujets alors qu’Agostino s’approche, plein de curiosité.
Quand Silvio se relève, Agostino regarde par-dessus son épaule, Livia vient vers eux, le chaton endormi dans les bras. Les trois enfants contemplent la découverte de Silvio.
— On l’ouvre ? Propose Agostino.
Silvio tient la boîte dans ses deux mains et se dirige vers l’escalier de béton, les deux autres suivent, de part et d’autre. Tous trois forment une sorte de procession autour du trésor.
Arrivés au bord de la plate-forme, ils s’asseyent sur les marches brûlantes, Silvio au milieu, encadré par les figures curieuses de ses compagnons. Il pose la boîte sur ses genoux. En utilisant force et astuce, il parvient à libérer le couvercle soudé par la rouille, millimètre par millimètre.
Les enfants retiennent leur respiration. Les imaginations se déploient. Agostino s’attend à découvrir des pièces d’or et des diamants ; Livia souhaiterait trouver une couronne et des bijoux scintillants ; quant à Silvio, il s’imagine une carte qui lui indiquerait les passages secrets de la ville ou la cachette d’un trésor perdu.
Quand le couvercle cède enfin, ils sont tous un peu déçus par ce qui s’y cache : un sac plastique transparent révèle des photos aux couleurs délavées, maintenues ensemble par des élastiques placés en croix. Silvio interroge ses amis du regard avant de plonger la main à l’intérieur et de sortir le paquet. Sous ses doigts, le sachet se désagrège en tout petits morceaux qui virevoltent comme des pétales de fleur emportés par le vent.
Silvio dépose les photos sur ses genoux, elles exhalent un tel nuage de poussière qu’il manque d’éternuer. Silvio fait glisser les élastiques avec délicatesse, ils se rompent. Clack !
— Ouille ! s’exclame Silvio.
Les liens laissent des marques jaunâtres et visqueuses sur la première image que le temps a défraîchie. Les trois enfants ne peuvent y déceler que des fantômes de personnes dans une pièce avec, au milieu, une silhouette assise sur un canapé.
La seconde, un peu collée à la première, est beaucoup mieux conservée. Même si les couleurs sont abîmées, ils peuvent sans peine voir un homme aux cheveux longs et frisés, une grosse moustache et un grand sourire. Il marche sur une pelouse entourée d’arbres. Ses vêtements clairs et unis font sourire les enfants : à des pantalons trop amples aux chevilles et une chemise au col démesurément large s’ajoutent des chaussures trop hautes.
Les trois compagnons passent d’image en image, sur chaque photo, le même homme apparaît. Sur un des clichés, il est accompagné d’une petite fille, il la pousse sur une balançoire dans un parc arboré. En robe blanche, la fillette brune rit aux éclats. Son incroyable ressemblance avec Livia retient l’attention des trois enfants. Les deux garçons la regardent, intrigués.
— Meuh, c’est toi ! commence Agostino.
— N’importe quoi, elle me ressemble même pas !
— Si ! On dirait toi, avec les cheveux noirs, insiste-t-il.
— Je ne sais pas si tu as remarqué, mais mes cheveux sont blonds, répond Livia en espérant lui rabattre le caquet.
— Oui bah. C’est pas comme si on pouvait pas les colorier, persiste Agostino.
— Seules les dames se colorent les cheveux, pas les petites filles.
Pendant qu’ils se chamaillent, Silvio, pris entre deux feux, regarde attentivement les détails du cliché. L’homme et le sosie de Livia se promènent dans un parc, il distingue des jeux pour enfants dans le fond. Silvio continue son analyse, sur chaque image, il voit le même homme, souvent, il marche dans la rue, parfois, il bricole quelque chose dans un appartement.
Silvio retourne la photo de la jumelle de Livia, il observe encore avant d’interrompre leur dispute.
— C’est pas Livia.
— Quoi ? Mais si ! répond Agostino.
— C’est pas Livia sur la photo.
— Ah ! Tu vois, Silvio est d’accord avec moi, triomphe Livia en regardant Agostino.
— C’est qui alors ? interroge Agostino, un peu boudeur.
— Je ne sais pas, mais en tout cas ce n’est pas Livia. Sur les photos, il y a des dates. C’était en 1977.
— C’est qui alors ? insiste le garçon.
— Je ne sais pas, mais je sais que Livia n’était pas née en 1977.
— Je sais bien qu’elle a pas mille ans, cède Agostino, grognon.
Les ombres commencent à s’allonger, il est temps de rentrer. Silvio imagine que sa mère s’inquiète, qu’elle échafaude mille scénarios, du simple accident à la rencontre malheureuse, en passant par la noyade. Agostino se dit que les lasagnes préparées pour lui faire plaisir doivent être prêtes. Livia n’aime pas laisser sa mère seule avec son frère ; Alceo est méchant avec tout le monde, mais plus encore avec leur maman, elle a envie de la voir, d’être avec elle.
Décidés à éviter de passer à nouveau par le jardin, ils cherchent un autre chemin. En se rapprochant de la Lagune, ils aperçoivent un grillage bloquant l’accès aux quais. De près, il leur paraît évident que d’autres avant eux ont utilisé ce passage. À force de se battre, ils parviennent à l’écarter et à se faufiler chacun leur tour, récoltant de nouvelles griffures et, pour Silvio, un trou dans son tee-shirt.
L’esprit plein de questions, ils regagnent à la hâte la cité de Celestia. Ils espèrent arriver à temps pour éviter d’être trop grondés.
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