Les chats
Ils arrivent du canal, une troupe de dix individus, et marchent au milieu de la place inondée de soleil, lentement, sans se presser, ils ignorent les enfants qui les observent. Le silence a remplacé les cris et s’est emparé du Campo.
Ce ne sont pas de beaux chats, on pourrait même dire qu’ils sont moches, avec leur mine sauvage et leur fourrure pelée. Il y en a de chaque couleur, noir, gris, roux, blancs et d’autres tigrés. L’un d’eux possède toutes les teintes à la fois, elles se répandent sur son pelage et crient au monde entier que leur porteur est le fils ou la fille de tous les matous de l’histoire. Maigres et mal léchés, on ne décèle aucune crainte dans leurs yeux, aucun des enfants ne serait tenté de les appeler minou ou Micio[1].
Au milieu de cette parade multicolore marche un gros chat roux. Plus fort que ses compagnons, il affiche une allure noble et avance sur le Campo comme s’il lui appartenait, comme s’il en était le roi.
Seul dans ses cages, Alceo s’agace de la présence de ces galeux. Il arme son bras et vise patiemment le groupe de félins. C’en est trop ! Silvio court vers lui. Dès qu’ils le voient filer comme une flèche, Agostino et Livia partent à sa suite.
Alceo va tirer, mais le ballon se dérobe de ses mains, projeté au loin par Silvio. Le grand n’attendait que cette occasion. Il laisse éclater sa colère contre le jeune garçon et se jette sur lui. Ils roulent tous deux à terre. Alceo domine son adversaire par son poids et sa force. Il tente de l’immobiliser. Telle une anguille, Silvio se démène et arrive à échapper à son étreinte.
De nouveau debout, les deux adversaires s’observent. Alceo lève ses poings comme un boxeur. Silvio, prudent, garde ses distances, mais son attitude ne traduit aucune agressivité, il est prêt à se défendre, mais s’efforce de ne pas provoquer le combat.
Livia choisit ce moment pour intervenir. Épaulée par Agostino, elle se glisse entre les deux garçons, les yeux et le visage emplis de défi et de colère.
— Tu as perdu contre les filles ! Te battre contre Silvio n’y changera rien !
— Va-t’en ! C’est pas tes affaires ! braille Alceo.
Agostino s’interpose entre le frère et la sœur et la devance pour répondre.
— Ça peut devenir les miennes si tu préfères.
Tous les enfants de la place, fille ou garçon, se rapprochent et commencent à former une barrière entre Silvio et Alceo. Ils observent la suite, attendent le combat entre Agostino et Alceo qui recule légèrement, moins sûr du résultat face à ce nouvel ennemi.
Livia s’avance à nouveau, son visage n’exprime que la colère lorsqu’elle reprend la parole.
— Tu aimes être méchant ! Tu n’es qu’un mauvais perdant ! Tu jettes le ballon contre les filles ! Tu jettes le ballon contre les chats ! Et après tu te bats contre un plus petit que toi ! Et tu as peur d’Agostino ! Tu es méchant et lâche.
Tous s’unissent contre Alceo, même ses alliés ont du mal à prendre son parti. Embarrassé, l’un d’eux finit par s’approcher et le tape sur l’épaule.
— Viens, ils sont nuls. De toute façon, c’est que des ringards.
En quittant le Campo, Alceo lance une dernière menace, pendant que les autres enfants félicitent Silvio.
Assis en rang au soleil, les matous observent. Alors que la foule de gamins se disperse, le plus gros suit Silvio des yeux. Quand Silvio croise son regard, le roi félin incline la tête, pousse un petit miaulement, comme s’il saluait son protecteur, puis se lève et s’en va, escorté par sa troupe.
Sur le Campo de la Celestia, on parlera longtemps de la victoire des filles, de la défaite du grand contre Silvio, et de l’étrange rencontre avec les chats.
[1] Micio est la traduction italienne de « minou ».
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