Le sommeil
Message de la Terre — John Malkomy — Directeur de la NASA
Professeur Gladen, nous avons détecté différents taux anormaux dans votre bilan sanguin. Il semblerait que vous manquiez de sommeil.
Veuillez vous allonger afin de récupérer au plus vite votre quota de sommeil.
Nous aurons besoin de vous en pleine forme pour administrer le remède au reste de l’équipe.
Prévenez-nous dès que vous serez réveillé.
Fin de la transmission.
Journal de bord du professeur Sam Gladen — Jour 219
Mais ils sont débiles ou quoi ??? Les autres ne se réveillent plus et la NASA me demande de dormir ?! À croire qu’ils ont demandé au stagiaire quelle était la meilleure stratégie à adopter !
Cette fois c’en est trop, ils vont m’entendre !
Je viens de leur rédiger un message salé. Il n’y a plus qu’à attendre leur réponse… SANS M’ENDORMIR !
Sam patiente dans la cuisine, il fait les cent pas, se met à courir en cercle autour de l’unique table, fait de la gymnastique, et surtout, il ne s’assoit pas.
Mais la réponse de la NASA tarde, comme d’habitude, à arriver et Sam finit par se fatiguer. Il s’assoit un instant pour manger une ration lyophilisée, mais il prend garde à allumer à fond la barre de son, en mettant la liste de lecture de Sara : des groupes de hard rock bien criards. Cette musique l’irrite, mais c’est l’effet recherché. Jamais il ne pourra fermer l’œil avec ça qui lui tambourine le crâne.
Journal de bord du professeur Sam Gladen — Jour 220
C’est l’aube et je n’ai toujours aucune nouvelle de la NASA. Mes yeux me démangent, j’ai autant de courbatures qu’après un marathon, et des migraines me lancent par intermittence. C’est étrange de ressentir le manque de sommeil après plus de quatre mois sans l’avoir vécu.
J’ai troqué le hard rock pour du RnB, histoire de ne pas finir complètement dingue dans mon bocal de dix mètres carrés. Je profite du lever de soleil pour m’occuper un peu à autre chose qu’à Candy Crush. Le spectacle est magnifique, je ne m’en lasse pas. C’est impressionnant comme la couleur du ciel peut passer d’un bleu pâle à un brouillard ocre, en fonction de la diffraction lumineuse. Voilà que j’essaye de faire un peu de poésie, mais mon vocabulaire de scientifique reprend le dessus…
L’espace d’un instant, à ce moment précis où le soleil apparaît à l’horizon, Sam ne pense plus à rien. Tous ses problèmes sont partis. Plus d’équipe, plus de NASA, plus de vaisseau spatial, plus de dôme. Il n’existe plus que Mars et lui.
Mais un sentiment gonfle en son for intérieur, une sorte d’intuition qu’il ne sait pas définir. Une tristesse orpheline qui lui noue l’estomac. Il appréhende cette nouvelle journée qui commence. Et si c’était sa dernière ?
Alors que ses paupières se font de plus en plus lourdes sur ses yeux douloureux, Sam est de nouveau sauvé du sommeil. Un message de la NASA vient d’arriver.
Message de la Terre — John Malkomy — Directeur de la NASA
Professeur Gladen, les relevés effectués dans le dôme et les informations médicales que vous nous avez envoyées, nous indiquent que vous êtes immunisé contre le virus qui sévit sur l’équipage. Vous pouvez donc aller vous reposer dans le dortoir.
Dès votre réveil, vous pourrez fabriquer le remède que nous venons de créer sur Terre, et le transmettre à vos collègues. Nous vous enverrons sa formule dans un prochain message.
Nous avons également réparé à distance la problématique de température du dôme. Vous noterez que la température est encore basse dans le dortoir, mais ne vous en inquiétez pas, l’atmosphère générale du dôme va se réchauffer lentement.
Fin de la transmission.
Sam prend la nouvelle avec soulagement, mais aussi avec effarement. En peu de temps, la NASA résout le problème des dormeurs et aussi celui du chauffage. Et en plus, ils ne veulent même pas qu’il se presse à injecter le vaccin à ses collègues. Comme si le virus n’était pas si grave. Ils sont pourtant endormis depuis quelques jours maintenant.
Mais le professeur sature, il n’a plus la force de se battre contre sa hiérarchie. Il décide de leur faire confiance, après tout, ce sont des ingénieurs, des scientifiques et des médecins eux aussi. Et c’est déjà entre leurs mains qu’il avait placé sa confiance en parcourant des millions de kilomètres dans l’espace.
Alors il se dirige vers le dortoir en trainant les pieds, baillant à s’en décrocher la mâchoire, les yeux rouges et humides. En traversant la pièce jusqu’au dernier lit dans le fond, il évite de regarder ses collègues, il aura bien assez le temps le lendemain pour s’occuper d’eux. Il frissonne, puis, arrivé devant son lit, un sentiment de bonheur le réchauffe de l’intérieur.
Enfin. C’est ce moment qu’il attendait, depuis deux jours qu’il se retient de dormir. Sam se couche, se couvre bien pour ne pas prendre froid dans cette pièce hivernale, et ferme les yeux.
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