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Léo
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Ils commencent sincèrement à me les briser. Nous sommes en novembre, il fait froid, et pourtant, nos chers surveillants nous forcent à rester dehors le temps qu'ils finissent de fumer leurs cigarettes. Non mais je rêve. Peut-être que eux ont envie de choper le cancer avec leurs saloperies, mais personnellement, attraper une pneumonie, très peu pour moi.
Je bouillonne, adossé au mur de l'internat, bras croisés, nez levé vers le ciel déjà noir. Autour de moi, je vois les autres discuter, se chamailler, ou bien s'embrasser, et sincèrement, je me demande comment ils font. Il fait trop froid. Peut-être que si nous perdons encore quelques degrés, leurs salives entremêlées se transformeront en glace.
- Hé Léo !
Lou, son blouson bien trop léger sur les épaules, s'approche de moi avec son éternel sourire fantasque, et je feins de l'ignorer.
- Je sais que tu m'as entendu, Léo.
- Ouais. Et alors ?
Il hausse les épaules et vient s'adosser à côté de moi, contre le mur glacé.
Lou est particulier. J'ai toujours eu du mal avec lui, bien que théoriquement, il soit l'un de mes amis les plus proches. En réalité, ça dépend des moments : parfois, je peux largement le supporter, allant même jusqu'à écouter ses histoires de terreurs nocturnes, et parfois j'ai envie de le frapper rien que parce qu'il a l'audace de respirer. C'est plutôt paradoxal. La vérité, c'est que lui et moi ne sommes pas partis sur de bonnes bases ; quand nous étions petits, j’ai toujours pensé qu’il voulait me voler ma meilleure amie. Ce qu'il a réussi à faire, en quelque sorte, bien que Mia me certifie le contraire.
Avec le temps je m'y suis fait, à ce pot de colle d‘un mètre soixante-cinq, aussi impressionnant qu'un lapin en peluche et avec un débit de parole impressionnant.
- Tu seras gentil avec Elio, ok ?
- Putain mais vous allez me lâcher avec ce type ? C'est bon, je vais pas lui claquer le beignet non plus.
- Sans parler de lui en coller une, marmonne t-il. Moi je te parle de ne pas le faire se sentir mal à l'aise dans notre chambre.
- Je jure de me donner à mon maximum, je grogne avec sarcasme.
Il soupire, et se tait enfin.
Quelques minutes plus tard – enfin – les surveillants viennent nous ouvrir le bâtiment, et je suis l'un des premiers à m'engouffrer à l'intérieur. La chaleur du hall d'entrée me redonne un coup de fouet, et je me hâte de monter à notre étage sans plus attendre Lou, ou Elio.
- Léo attends !
Je me retourne alors, en pleine ascension de l'escalier, et tombe nez à nez avec Mia, sourcils haussés.
- Quoi ?
- Je passerai tout à l’heure, ok ?
- Ouais, si tu veux je m'en fiche.
- Tu pourrais arrêter d'être blasé cinq minutes ?
Je roule des yeux, et lui fait un dernier signe de la main avant de passer la porte menant au premier étage : celui des garçons.
Notre étage compte dix chambres, cinq de trois places, et cinq de quatre places. Ce qui en tout, donne la possibilité d’accueillir trente-cinq internes. Nombre qui, à mon goût, est largement suffisant.
Dans une chambre pour trois élèves, on retrouve trois lits, trois bureaux, trois armoires à code, ainsi que trois chaises. Rien de plus, rien de moins. Après bien sûr, libre aux élèves d'emmener ce qu'ils veulent. C'est pourquoi, dans notre chambre, se trouve également une barre de traction que j'ai fixée assez maladroitement près de mon lit. Lou, lui, a emmené avec lui deux énormes poufs rouges, remplis de billes de polystyrène, ainsi qu'une bouilloire – pour une raison qui m'échappe, il adore boire deux tasses de thé avant de dormir. Ce qui n'a clairement pas le mérite d'arranger son problème de cauchemars, à mon grand drame. Peut-être même que la théine a un effet néfaste sur lui ? Il faudra que j‘approfondisse mon expertise un de ces jours.
Je pousse la porte de notre chambre encore déserte, et jette mon sac à dos sur mon lit mal fait, avant de retirer mes chaussures et de vite les enfermer dans mon placard. Je n'ai pas envie que notre chambre sente le fromage jusqu'à demain matin.
Le soir, j'ai une routine : je me change afin d'être plus à l'aise, puis je fais mon sport. Ensuite, je vais me passer le corps sous la douche, je fais ma toilette – dents, visage – et enfin je me pose à mon bureau pour faire mes devoirs. Après tout ça, bien souvent il n'est pas loin de vingt-trois heures, alors soit je me couche, soit je parle quelques minutes avec Lou, avant de mettre mon casque et d'écouter de la musique. Puis de sombrer dans le sommeil.
Cependant, je sens que ce soir, ma routine va être dérangée. Vraiment dérangée.
- Léo ! Ouvre la porte, on a les mains prises !
- Vous pourriez pas vous démerder ?! Je suis pas votre mère !
Je ferme les yeux, soupire, et abandonne l'idée d'enfiler mon débardeur afin d'aller leur ouvrir la porte. Lou entre le premier, une haltère dans chaque main, et derrière lui, Elio, avec son énorme valise.
- Ils t'ont rendu tes haltères ? je demande en le regardant poser les poids sur son lit.
- Ouais, alors tu ne les touches plus, c'est compris ?
Un sourire moqueur étire mes lèvres, tandis que le souvenir de la perte de ses haltères me revient en tête.
Notre cher proviseur, afin d'éviter que nous ne jouions avec les radiateurs, a eu la formidable idée de poser des protections en plastique sur les thermostats. Cependant, ces morceaux de plastique nous empêchaient certes de jouer, mais surtout de monter le radiateur lorsqu'il faisait froid. C'est pourquoi, il y a deux semaines, après avoir tenté de démonter le plastique avec des ciseaux, j'ai eu l'idée du siècle : les exploser en les frappant à coup d'haltère.
Et on peut dire que ça ne s'est pas passé comme prévu. Finalement, j'ai bien cassé le morceau de plastique, mais également un morceau du radiateur. D'où la subtilisation des haltères de Lou.
- Elio, tu as besoin d'aide ? hasarde Lou.
Je croise le regard du nouveau, et hausse un sourcil : il a l'air complètement perdu. Il a ouvert sa valise, et en a déjà sorti quelques vêtements ainsi que sa couette et ses draps pour son lit, mais je remarque également quelque chose de discret, glissé à l'intérieur d'une pochette qui est mal fermée.
- Mec, tu ferais mieux de bien cacher tes médocs, on n’a pas le droit d'en avoir sur nous.
- Vraiment ? me questionne t-il.
- Oui, acquiesce Lou. C'est pour éviter les accidents...
- ... de type suicide par prise de cachetons, je le coupe en sautant pour attraper ma barre de traction. Fais comme nous, cache-les dans ton oreiller. Ou alors dans une paire de chaussettes.
Elio hoche la tête, et attrape sa boîte de médicaments, avant de la glisser dans une paire de chaussettes noires qu'il jette ensuite au fond de son placard.
Je l'observe s'installer avec un regard mauvais, tout en me soulevant à bout de bras, malgré mes muscles hurlant à la mort.
Ce lycée est un établissement sport-étude, ce qui fait que notre exercice physique est aussi important que le reste. Lou, Mia et moi sommes en MMA, une discipline mélangeant plusieurs types d’arts martiaux, ainsi qu'en danse afin d’allier force physique et souplesse dans les deux disciplines. C'est d'ailleurs cette polyvalence qui a fait que nous avons été acceptés tous les trois dans ce lycée.
- Et alors..., je lance en haletant. Tu es en section quoi ?
- Moi ?
- Oui toi. Ça fait dix ans que je connais Lou, je sais en quelle section il est, abruti.
Il fronce les sourcils, termine de mettre sa housse de couette, et me répond enfin :
- Gym, et MMA.
- Sérieux ?
- Oui.
Ok, il est pas bavard.
Lou prend les devants, en reprenant la parole tout en mettant de l'eau à chauffer.
- Tu fais de la gym depuis longtemps ?
- J'ai commencé en maternelle, alors oui, plutôt.
- Tu as de la chance. Moi mes parents n'ont jamais voulu. D'après eux, je suis trop maladroit pour faire de la gymnastique.
Lou sourit, mais Elio reste neutre, sans expression. Au final, peut-être que Mia avait raison : c'est un robot.
...
Il est vingt-et-une heures trente lorsque je sors de la douche, une serviette autour de la taille, ma trousse de toilette entre les mains. En repensant aux exercices de mathémathiques qui me restent a faire, je soupire : la fatigue en cet instant, est le dernier sentiment à m’animer.
Rapidement, je me brosse les dents et me nettoie le visage, avant de retourner dans ma chambre. En passant devant le miroir du couloir, j'avise mes épais cheveux blonds, presque blancs tant ils sont clairs, et marmonne dans ma barbe : impossible de les coiffer, je ressemble à un lion.
Lorsque j'ouvre la porte, je ne suis même pas surpris de trouver Mia assise dans l'un des poufs de Lou, une tasse à la main, un calepin sur les genoux. Sur ce dernier, j’avise un délicat portrait de mon colocataire de chambrée, totalement réalisé au fusin.
- Deux choses, me lance t-elle. Viens prendre un peu de thé avec nous, et tu es so sexy avec ta petite serviette autour des hanches. I like this.
Je fais semblant d'être flatté par son compliment, et lui demande de détourner le regard le temps que j'enfile un jogging. Pour le reste, je me contente de rester torse nu, les détails de mon corps n’ayant de toute manière plus rien de nouveau pour Mia.
- Et donc, reprend t-elle à la direction de Lou, il paraîtrait que l'armée est en train de recruter en urgence. Personne ne sait pourquoi, même mon père n'a pas plus d'informations. C'est étrange non ?
- De quoi vous parlez ? je demande en m'asseyant sur le bureau à côté d'eux, attrapant la tasse que me tend Lou.
- L’armée a lancé une campagne de recrutement urgente, et on ne comprend pas pourquoi.
Je hausse un sourcil, considère l'air songeur de Lou, ainsi que la grimace concentrée de Mia, avant de renifler en buvant une gorgée de thé au citron.
- Manque d'effectif, je réponds finalement.
- On y a pensé, mais ça paraît étonnant vu tout le tapage autour de ce recrutement.
- Quoi, tu crains une nouvelle guerre ? Stresse pas mon loup, tu vas chopper des rides.
J'explose de rire face au visage défait de Lou, et me redresse avant de me planter face à la fenêtre pour observer la ville en contrebas.
- T'inquiètes pas Lou, même si l'armée a besoin de renfort, ils ne te prendront pas, tu es trop chétif. Autant prendre Mia.
- Hé ! Je te ferais remarquer que niveau taille et muscles, on est presque identiques !
Je lui adresse un sourire par le biais de mon reflet sur la fenêtre, et secoue la tête.
- C'est sûrement rien, arrêtez de vous monter la tête comme ça.
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Lou
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Le lendemain, il n'est pas loin de quatre heures du matin lorsque notre alarme incendie retentit. Je mets quelques secondes à sortir du sommeil, jusqu'à ce que les grandes mains de Léo ne me secouent avec ferveur, pour me réveiller.
- Lou, debout, alarme ! brame t-il dans la chambre. Le nouveau !
Je roule sur le côté, encore vaseux, avant de vraiment prendre conscience de l'alarme et du fait que je vais devoir sortir dans le couloir, alors que je suis en caleçon. Je saute de mon lit, attrape un jogging qui doit sûrement être à Léo étant donné la taille, et enfile mes sandales avant de remarquer qu‘Elio a du mal à émerger.
Alors, j'attrape une veste, la lui jette sur les épaules, et l'aide à l'enfiler, avant de le pousser dans le couloir, suivi de près par Léo.
- Allez les garçons, on me suit, je hurle dans le couloir.
Je suis délégué, et être chef de file lors des alarmes incendie fait partie de mes missions. C'est pourquoi, je me dois d'être alerte lors de ces moments-là. Qu’importe ma fatigue ou la leur.
Je descends rapidement les escaliers, ouvre les portes de sorties de secours, et regroupe tous les garçons vers notre point de sécurité : la bibliothèque extérieure.
- On m'écoute, je dois faire l'appel !
J'énonce tous les noms, un par un, attends que les personnes certifient leurs présences, avant d'enfin souffler. Ils sont tous là.
Non loin de moi, je vois Mia tenter de calmer les filles de son étage, qui se dispersent et s'insurgent sur le fait de ne pas avoir eu le temps de prendre leurs portables. J’ai oublié le mien, et pourtant je ne le crie pas sur tous les toits...
Cependant, une chose qui me dérange, est le fait que l'alarme ne s'arrête pas, comme elle le fait d'habitude. En temps normal, elle sonne afin que nous évacuions, puis elle se stoppe, nous indiquant ainsi que nous pouvons remonter. Mais cette nuit... elle ne s'arrête pas. Son hurlement strident, inquiétant, ne fait qu’accroître l’état d’énervement des autres garçons. Mes oreilles bourdinnent, anesthésiées par ce son en discontinu.
Notre surveillant arrive enfin, me demande si tout le monde est là, et m'explique brièvement que notre chaudière a un problème, et que nous devons attendre les pompiers.
- Les garçons, par ici ! je crie.
- On peut remonter ? marmonne Elies. Pas que cette petite escapade nocturne ne me plaise pas, mais de un j’ai froid, et de deux j’ai une évaluation de langue importante demain en première heure...
- Non, on doit attendre les pompiers, il y a un problème avec la chaudière.
Un brouhaha de contestation s'élève autour de moi, tandis que les garçons, de part leurs plaintes, alarment les filles qui viennent ajouter leurs commentaires à l'affaire déjà assez bruyante.
Je commence à me laisser glisser contre le mur de la bibliothèque, fatigué, lorsque je sens que quelqu'un me pose une veste sur les épaules. Dans la précipitation, je n'en ai pas prise et il est vrai que le froid est mordant.
Alors, je relève la tête, et croise le regard de Léo, exaspéré.
- Mets ça, ou tu vas attraper la mort.
- Mais et t-...
- Discute pas, crétin de loup. Enfile et moufte-la.
Je m'exécute, passe mes bras dans la veste bien trop large de Léo, et ferme la fermeture Éclair. Sa veste est imprégnée de son odeur, c'est rassurant. Avec, je me sens... protégé. Un peu comme un cocon. Isolé du bruit et de la contrariété générale.
- Les garçons, nous interpelle Mia, suivie de près par Charline, une fille de sa chambre.
- Gueule pas bordel, il est quatre heures du mat.
Elle jette un regard à Léo, hausse les épaules, et s'assied à côté de moi, sa couverture serrée autour d'elle.
- Bien notre chance tiens, murmure t-elle. Vous avez perdu Elio au fait ?
- Euh...
Je plisse les yeux, observe l'obscurité tout autour de moi, avant de repérer les cheveux de notre colocataire.
- Oh le nouveau, ramène-toi ici ! brame Léo de sa voix cassée.
Elio, abasourdi, nous lance un regard étonné avant de se rapprocher de nous, et de s'asseoir à côté de Mia, tremblant.
- Oh fillette, t'as froid ? lance Léo.
- Ouais, se contente de répondre Elio, remontant ses genoux sous son menton.
Je vois, du coin de l’œil, Mia déplier sa couverture, afin de pouvoir lui en donner un peu.
Elio, d'abord réticent, finit par accepter, non sans rougir de gène plus que de froid. Et que n'a t-il pas fait ! Léo, droit comme un i, les observe tous les deux avec une hargne naissante au fond de ses yeux noirs.
Nous patientons ainsi une heure, dans le froid de novembre, couvert par nos seuls vêtements ou autres couvertures que certains ont intelligemment pensé à prendre.
Moi, recroquevillé contre le mur, je reste emmitouflé dans la veste de Léo, qui s'est d'ailleurs finalement assis à mes côtés, complètement gelé, bien qu'il n'en montre rien. Sa tête reposant contre mon épaule, je peux sentir la froideur qui émane de son visage, ainsi que sa respiration haletante. À chaque expiration, un long filet de condensation s’échappe de ses lèvres, me faisant doucement sourire.
Lorsqu'enfin, le camion rouge apparut à l'entrée du lycée, tout le monde soupira de soulagement. Cependant, les pompiers mirent bien trente minutes afin de trouver le problème, et de sécuriser le tout avant d'enfin nous laisser regagner nos chambres, sans nous donner plus d’explications. Était-ce car nous étions élèves, ou bien juste futures proies d’un danger dépassant de loin le simple incendie ?
- Allez les jeunes, tout est ok, vous pouvez remonter !
Notre surveillant général, nous encourage à nous redresser, ainsi qu'à réveiller ceux qui se sont – miraculeusement – endormis.
Du coude, je remue un peu Léo, qui la tête reposant à moitié sur mon épaule, somnole. Il a passé ses mains dans la poche droite de la veste qu'il m'a prêtée, afin de les réchauffer sans doute.
Quelle tête de mule, il aurait dû la garder sa veste.
À côté de moi, Mia rouvre les yeux, dans les vapes, et appelle Elio, à côté d'elle, qui finit par relever la tête, la couverture de mon amie toujours autour de lui.
- On aurait pu finir notre nuit ici..., bâille t-elle en se relevant du mieux qu'elle peut.
- Si tu veux, ne te gêne pas, mais moi je remonte me pieuter sous ma couette.
Léo est à nouveau parmi nous, et retire ses mains de la poche de sa veste, avant de me couler un regard fatigué.
- J'ai envie de mourir, aller délégué, récupère tout le monde et ramène-nous en haut.
J'acquiesce, et fait un appel collectif afin de regrouper les garçons, et de remonter au premier.
Avant que nous ne nous engouffrions à l'intérieur de notre étage, j'adresse un signe de tête à Mia, lui souhaitant de bien finir sa nuit, avant de regagner notre chambre, non sans avoir noté la présence d’un homme dont l’uniforme n’a rien de celui d’un pompier, en grande conversation avec le proviseur Criada, s’étant déplacé pour l’occasion.
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