10 (partie 1)
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Elio
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Je serre la main de Mia, comme si ma vie en dépendait. Et en réalité, je pourrais presque dire que c'est le cas. Si je la lâche, mes angoisses reprendront le dessus, et je me remettrai à suffoquer.
Je vais finir par prendre l'habitude d'être rassuré par ses mains aux creux des miennes, ce que je me suis toujours refusé. Me suffire à moi-même, ma règle numéro une.
- Mia... ?
Elle pleure, elle aussi. Déjà, Lou, dans la simulation, a versé un véritable torrent de larmes en me voyant. En nous voyant, lui et moi. Et maintenant il sait. Et maintenant, Mia.
Mon cœur se comprime, et je sens un sanglot remonter le long de ma gorge : cependant, je le retiens, n'ayant pas vraiment envie de paraître encore plus pitoyable aux yeux de mon binôme qui vient de nous rejoindre, et me contente de basculer la tête en arrière pour retenir mes larmes. Lorsque je plongerai mon regard dans celui de Lou, qu'y verrai-je ? De la pitié ? Du dégoût ? Sans doute. Du rejet, sûrement.
- Elio, me lance t-il en s'asseyant grossièrement sur l'accoudoir de mon fauteuil. Ça va mieux ?
Je plonge mon regard dans le sien, et le voit me désigner Mia du menton, avant de froncer les sourcils. Je ne suis pas très doué avec le langage corporel, mais si j'ai bien compris, il ne dira ou ne fera rien qui pourrait trahir notre simulation, tant qu'elle sera présente. Et sans le lui dire, je le remercie du plus profond de mon cœur.
Je n'avais pas plus envie que ça d'aller à Liberty. Cependant, mon père y tenait, pour une obscure raison qui m'échappe encore. Sans doute pour montrer au monde entier à quel point il avait bien éduqué son fils. Le fait est que, partir de la maison – bien que cette dernière fut un véritable Enfer – ne me plaisait pas plus que ça. Je ne savais rien des liens que pouvaient entretenir des jeunes de mon âge, alors apprendre qu'en plus du lycée, j'allais devoir affronter l'internat, m'a terrifié. Puis, j'ai réfléchi, et j'ai pensé à une chose : dans l'esprit tordu de mon père, il était probable que le fait de me confronter ainsi au lycée et à l'internat soit pour lui l'occasion de me prouver que je n'appartenais définitivement pas au même monde que les autres adolescents de mon âge. Que j’étais socialement inadapté. Que je dépendais, et dépendrai à jamais de lui, de la maison, et de l'idéal qu'il voulait atteindre de moi. C'est pourquoi je ne me suis pas dégonflé, et que je suis parti ce matin-là, avec lui, en direction de l'internat.
Ce même matin où j'ai rencontré Mia, Léo et Lou pour la première fois, dans la cantine de l'internat de Liberty. Et j'avoue avoir eu vraiment peur : le trio que l'on m'affectait était constitué d'un véritable démon à cheveux blonds, d'une fille plus vivante que je ne le serais jamais, et d'un concentré de joie et d'amour avec de grands yeux bleus. Pourquoi diable fallait-il que je tombe sur eux ? Peut-être que si l’on ne m'avait pas mis dans la chambre de Léo et Lou, mon destin aurait été différent. Je serais mort pour de vrai, ce soir-là lors de l'attentat, et n'aurais rien fait pour mériter de bénéficier du Reboot. Peut-être que ça aurait été mieux pour tout le monde, que j'arrive enfin à mourir. Cependant, désormais, avec du recul, je me dis que si je suis ici, entouré de Mia, Lou et Léo, c'est bien que mon destin en avait décidé ainsi. Alors je vais faire avec.
Et puis, Mia a dit qu'elle avait confiance en moi, et cette simple phrase a réussi à me rendre heureux, pour la première fois depuis des années.
- Vous allez être conduits en zone de détente, le temps que vous vous remettiez de vos émotions, nous lance un soldat. Et le temps que l'autre allumé se réveille. Ensuite, on embrayera, ok ?
Nous hochons tous trois la tête, bien que personne n'ai réellement envie ''d'embrayer'', comme il le dit si bien.
- Je vais chercher Léo.
Mia se redresse, lâche ma main et je me tends à nouveau : comment un simple contact peut-il apporter autant de chaleur à la pleinitude de mon corps ?
Lou l'observe partir, avant de reporter son attention sur moi.
- Tu serais d'accord pour qu'on parle ce soir ?
- Qu'on parle de quoi... ?
- Elio, ne joue pas à ça avec moi. Et si tu te poses la question, je ne dirais rien à Mia et Léo. Si ils doivent être mis au courant un jour, ce sera par ta bouche qu'ils l'apprendront, ok ? Sûrement pas de la mienne.
Je suis pris entre quatre murs, alors je me contente de hocher la tête. De toute manière, si j'ai remarqué quelque chose chez Lou, c'est que sa gentillesse n'a d'égal que sa détermination. Autant dire que je ne couperai pas à l'interrogatoire qu'il vient de me promettre.
À la suite des retombés plutôt stressantes de notre test de simulation, les responsables ont fait en sorte que l'épreuve physique soit reportée au lendemain. À la place, nous avons passé des tests simples de maths, de science et d'écriture. Rien qui ne m'ait fait peur plus que de raison.
Lorsque j'étais enfant, c'était ma mère qui me faisait cours à la maison, elle m'a tout appris : du français aux maths, en passant par l'histoire, tout y est passé. Puis, je me suis mis à apprendre et à consolider mes acquis seul, estimant ne plus avoir besoin de personne pour me construire. Le fait est qu'aujourd'hui, je possède un niveau non négligeable, qui est selon moi équivalant à celui de Lou, Léo et Mia.
Après cette épreuve, nous avons pu retourner à l'internat afin de nous reposer, et l'avons trouvé désert : les autres internes étant en cours, il nous restait deux heures à tuer avant qu'ils ne reviennent pour le repas du soir.
…
Notre après-midi, nous l'avons passée en salle de détente, à dormir. Personne n'a osé parlé.
J'ai remarqué que depuis le réveil de Léo, il ne quitte plus Mia d'une semelle. Il semble attendre quelque chose, un mot de sa part, tandis que de son côté, elle paraît soucieuse, avec un terrible regard coupable à chaque fois qu'elle croise le regard obsidienne du blond.
Je ne comprends pas pourquoi ils ne se disent rien. Si j'ai bien compris, ils se connaissent depuis la maternelle, alors ils ne devraient rien avoir à se cacher l'un envers l'autre. Et pourtant, ils n'osent pas, se rétractent, et souffrent chacun de son côté.
C'est étrange.
- Je sais pas vous, mais moi je vais essayer de dormir un peu, annonce Léo en s'étalant sur son lit.
- Si tu dors maintenant, tu ne dormiras rien cette nuit. Tu viens déjà de ronfler quatre heures.
- Tu es ma mère Lou ? Non, donc ta gueule.
- Ouais, fais comme tu veux. Mais si cette nuit tu grognes que tu arrives pas à dormir, je t'en retournerais une, qu'on soit clair.
- Oh..., j'attends ça avec impatience, my princess.
Le rire mesquin de Léo, fait sourire Lou, qui s'allonge à plat ventre sur son lit, avant de jeter un coup d’œil à Mia, qui s'approche de la porte.
- Tu vas où ?
- Prendre une douche, j'ai besoin de... réfléchir.
Je la vois jeter un regard à Léo, avant de se mordre la lèvre, et d'attraper sa serviette. Puis, après nous avoir fait un petit signe de main, elle quitte la chambre sans rien ajouter.
- Je n'aime pas quand elle est comme ça, chuchote Lou.
J'acquiesce et alors, je le vois se redresser, et s'approcher de moi. Sa main doucement, attrape mon poignet, et je ne peux m'empêcher de réagir excessivement à ce contact. J'ai réussi à me faire au toucher de Mia, mais pas encore à celui de Lou, ou de Léo.
- Désolé, s'excuse t-il. Je vais faire un tour dans la cours, tu viens ? Comme ça, on laisse Léo dormir.
- Ouais, foutez le camp, répond le concerné, la tête à moitié enfoncée dans son oreiller. J’ai besoin d’un air pur pour dormir.
Je suis donc Lou hors de la chambre, puis dans les escaliers, et enfin, dans la cours de l'internat.
Du doigt, il me pointe un banc, et je sens mon estomac se nouer à mesure que nous en approchons. Je n'ai pas envie de parler de ça, pas comme ça, pas maintenant alors que je connais Lou depuis aussi peu de temps.
Il s'assoit le premier, et je cherche un échappatoire durant cinq seconde, avant de me résoudre à m'asseoir à ses côtés pour subir ses questions. Je m’installe donc finalement, mais contre toute attente, ce ne sont pas ses questions qui me heurtent, mais plutôt son corps venant se presser contre le mien, dans une étreinte à laquelle je ne m'attendais pas. Ses bras m'entourent, me serrent, et son nez s'enfouit dans mon tee-shirt.
- Pardon, murmure t-il contre mon torse. Pardon Elio.
Je fronce les sourcils, ne comprenant pas la raison de ses excuses, et me tends, mal à l'aise ainsi emprisonné entre ses bras.
- Je te jure que je voulais bouger ce matin, en simulation..., mais j'ai pas réussi !
Sa voix se brise sur ses derniers mots, je me sens mal pour lui. Je ne sais cependant pas quoi faire pour le réconforter, hormis lui dire que ce n'est rien. Il tremble légèrement, à l'entente de mes mots.
- J'espère que tu ne m'en veux pas.
Il me lâche enfin, se redresse, et je l'observe, dubitatif. Il a l'air tellement... je ne sais pas. Il a les yeux brillants, et pourtant il me sourit. Pourquoi fait-il ça ? On ne peut pas pleurer, et sourire à la fois, c'est contradictoire.
- Non, je ne t'en veux pas, je répond finalement, toujours interloqué par son expression.
- Merci.
Merci de quoi ? Je suis vraiment à la traîne en ce qui concerne le dialogue et le rapport humain. Quelle honte, dix-sept ans et même pas capable d'interpréter ce que l'on me dit.
- Elio, reprend Lou avec une voix plus calme. Est-ce que tu veux m'en parler ?
Non, je ne veux pas. Mais je sais que je devrais, au moins pour me décharger ne serait-ce qu'un peu de tout ça. J'aimerais vraiment lui en parler. Mais les mots refusent de sortir de ma bouche.
- On peut parler d'autre chose avant si tu veux, pour te mettre à l'aise.
Je me mords la lèvre, et hausse les épaules. Que pourrait-il me dire qui me détendrait avant d'aborder le sujet épineux qu'est celui de mon connard de père ?
- Tu t'entends bien avec Mia, j'ai remarqué, sourit-il.
- Oui, elle est gentille.
- Oh ça oui qu'elle l'est ! Ça fait douze ans que je la connais, et je peux t'assurer que tu ne trouveras pas de fille plus gentille et attentionnée qu'elle. En plus, elle a un calme olympien, parce que réussir à supporter Léo depuis toutes ces années, il faut le faire quand même.
- Il est si terrible que ça ?
Il tourne la tête face à moi, et la bascule ensuite en arrière pour observer le ciel cotonneux.
- Non. Il fait semblant de l'être, mais en vérité, lui aussi à le cœur sur la main. De toute manière, si un jour tu as un problème, il t'aidera à le régler : tu fais partie de notre groupe maintenant.
- Je n'ai rien fait pour mériter d'en faire partie.
- Mais qui te parle de mériter quelque chose ? On dirait que tu compares notre amitié à une récompense pour bonne conduite. Ou alors que le fait d'appartenir à notre groupe doit se mériter un peu comme, un rite de passage pour intégrer la mafia.
Il rigole, et je me surprends à trouver cela agréable. Chez moi, ça ne rigolait pas beaucoup, et les rares personnes que je voyais rire étaient à la télévision. Mais depuis que j'ai intégré Liberty, et plus précisément le groupe de Lou, j'entends beaucoup de rires. Et il y a des différences entre ces derniers : celui de Lou est clair, limpide, il vient du cœur, ça s'entend. Celui de Léo est plus moqueur, sarcastique, quand à celui de Mia, il est aérien. C'est étonnant comme on peut apprendre à connaître une personne, seulement en écoutant son rire.
- Toi tu l'aimes bien Léo, non ? Même si vous vous engueulez tous le temps.
- Évidemment que je l'aime. C'est mon meilleur ami, malgré le fait qu'il fasse croire au monde entier qu'il me déteste du plus profond de son âme. Il pense réussir à berner tout le monde, alors qu'en réalité, il ne trompe personne. Il n'est pas doué pour ça.
- Je comprends pas pourquoi il agit de la sorte.
- C'est son caractère, que veux-tu. Il a appris à ne plus s’exposer.
Il marque une pause, et pose ses immenses yeux bleus sur moi, attendant visiblement que je parle.
- Merci, de ne rien avoir dit à Mia.
- Je te l'ai dit : ils n'apprendront rien de moi. Ce genre de déclaration doit venir de toi, pas d'un tiers.
- Je ne pourrais pas le lui dire, je marmonne en observant le ciel à mon tour.
- Et pourquoi ça ?
- Pour quoi elle me prendrait après ? Pour une médiocre petite chose qui s'est fait ramasser la gueule par son père depuis qu'il est petit, super.
- Arrête de te la jouer mélodramatique. Et surtout, arrête de dédramatiser ce qui t'es arrivé. Je ne plaisante pas, Elio. Si ce que j'ai vu ce matin est ce qui t’est réellement arrivé alors..., alors tu devrais vraiment lui en parler. Elle saura t'aider, là où moi je ne pourrais pas le faire.
- Tu sais quoi ? Tu oublies ce que tu as vu, et tu ne t'en fais pas pour moi, ok ? Qu'importe ce qu'il a pu se passer avant, désormais je suis hors de danger. Alors tout va bien.
Il fronce les sourcils, me faisant clairement comprendre que tout ne va pas bien du tout, mais n'insiste pas. Il a du comprendre, à mon visage et mon ton, que je n'avais plus envie de parler de tout ça. Je me redresse alors, m'excuse auprès de lui d'un regard que j'espère convainquant, et m'éloigne, les mains dans les poches, mon estomac se nouant d'une pénible auto-culpabilité.
Laissez-moi donc couler pour de bon.
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