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Elio

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Complètement courbaturé, le visage toujours partiellement enflé suite à mon combat contre monsieur Yersen, je me passe un linge sur la figure, afin d'en faire partir les dernières gouttes d'eau. Face au lavabo, les cheveux humides, je fixe dans le miroir un reflet à l'aspect fatigué et aux traits tirés.

D'une main, je me masse l'arrête du nez, tout en cherchant à comprendre, pourquoi mes cernes semblent avoir triplé de volume depuis ce matin.

  • Elio.

Je cesse de me questionner sur mes marques de fatigue, et croise le regard de Lou, à travers le miroir. Il est déjà en pyjama, et a repoussé ses cheveux en arrière, délivrant son visage des quelques mèches qui d'ordinaire lui assombrissent les yeux.

Je ne savais pas que sa mère était mannequin. Et maintenant que je le sais, cela me paraît logique : Lou est d'une beauté assez délicate, à dire vrai. Bien que son visage soit plutôt rond, ses grands yeux turquoise et ses cheveux sombres et ondulés, lui donnent un aspect presque princier. Gloria Kampa est l'une des plus grandes idoles de ma mère : je me rappelle de repas passés en tête à tête, devant elle, à l'écouter me venter les mérites de cette femme ''extraordinaire'', selon elle. Et maintenant que je vois Lou, je me dis que les chiens ne doivent pas faire des chats : peut-être que ma mère avait raison. Des bribes de souvenirs me reviennent, à travers lesquelles je retrouve ma mère, le sourire au lèvre, m'assurant que Gloria était une femme d'une très grande volonté, une working girl parvenant à trouver le juste milieu entre son travail et sa famille. Une femme d'une gentillesse absolue.

  • Oui, que se passe t-il ?
  • Bah, Léo et Mia sont partis en salle commune, du coup, je venais voir ce que tu faisais.
  • Je me..., je me morfonds sur mes cernes.

Un sourire étire son visage, et je constate l'éclat de ses dents avec un œil nouveau : connaître la parenté des personnes peut véritablement changer notre regard sur eux.

Il s'approche de moi, et se poste à mes côtés, avant de plisser les yeux.

  • Je crois que tu les as toujours eues, non ? Sans vouloir te vexer hein.
  • Peut-être.

Sans plus m'interroger, je me retourne définitivement face à lui, et surprends son regard interrogateur porté sur moi, avec un sourcil haussé. Une ombre d'hésitation plane sur son visage, et lui donne un drôle d'air à la fois curieux, et peu assuré.

J'attends qu'il parle, tentant de le convaincre d’un coup d’œil que lui sauter à la gorge à la moindre parole déplacée ne fait pas partie de mes intentions, et m'accoude au lavabo.

Et puis, sans avoir ouvert la bouche, il tourne les talons, et repart d'où il est venu, le dos courbé.

  • Lou, attends.

Je le rattrape rapidement en quelques enjambées, et pose ma main sur son épaule, sans pouvoir réprimer un frisson – le côté tactile de Mia commence véritablement à déteindre sur moi.

  • Tu avais un truc à me dire je me trompe ?
  • Oui, mais pas là.

Il ponctue sa phrase en ouvrant la porte, et va directement s'installer sur son lit, en tailleur. Je le suis, referme la porte, et prends place sur une chaise que je rapproche de lui, sans être trop proche, afin de ne pas m'imposer dans sa bulle.

  • Je..., commence t-il. Je voulais savoir si... si tu allais bien.

Je penche la tête sur le côté, interloqué par l'anxiété dans sa question et hausse un sourcil.

  • Oui, enfin... je crois ?
  • Tu en as parlé à Mia, non ?

Démasqué.

  • Oui j'ai, comme qui dirait, tout déballé. Sans vraiment l'avoir prémédité à vrai dire.
  • C'est bien. Parce que, tu sais, je m'inquiète vraiment de..., enfin, de comment tu vis tout ça, tu vois ? Parce que, je sais pas comment t'aider, et je sais même pas si tu as, enfin, si tu as envie, ou besoin qu’on t'aide...

Je lui fais signe de se calmer, et bats des cils avant de lui glisser un rassurant « je vais bien ».

Lou est altruiste. Cela se voit tout de suite. Il a l'air d'être le genre de personne à prendre tout le poids et la misère du monde sur ses frêles épaules, au détriment de sa propre intégrité morale. Ce garçon face à moi, a le regard de ceux qui ont le cœur sur la main. Sauf que, comme disait ma mère, à trop vouloir offrir son cœur, on prend le risque de se le faire piétiner.

À l'époque, je trouvais ça un peu radical comme concept mais maintenant que je vois Lou, les yeux brillants de larmes alors que c'est de moi que l'on parle, je comprends ce qu'elle voulait dire par là.

  • Non, tu ne vas pas bien et tu sais pourquoi ?

Sa voix craque et je sens mon cœur se serrer, ne sachant pas vraiment comment tempérer son excès d'émotivité. Sa lèvre inférieure s'est mise à trembler, mais d'un mouvement de bras, il chasse les quelques larmes commençant à perler au bout de ses cils, et me jette un regard foudroyant.

  • Parce que tu dors mal la nuit, je l'entends. Tu fais ces bruits de douleur alors que personne ne te fait de mal. Et du coup, je ne dors pas non plus, car je ne sais pas si je dois te réveiller ou non, je me demande à quoi tu rêves, et je me sens inutile de ne pas pouvoir te soulager.
  • Lou, calme-toi.

Il tremble de tout son long et, hésitant, j'avance une main que je pose sur son avant-bras, dans le but de le détendre. Mais au contraire, il se braque encore plus, et pousse un râle de colère.

  • Arrête de me dire que tout va bien ! Ça ne va pas tu entends ? Tu ne souris jamais, tu es renfermé sur toi-même, j'ai l'impression que tu crèves de peur à chaque fois que quelqu'un fait un geste brusque près de toi ou qu'il y a un bruit un peu trop fort, tu dors mal, et..., et..., merde !

Il baisse la tête, les épaules tremblantes, et je me recule, me mordant la lèvre avec une culpabilité grandissante. Pourquoi se met-il dans un état pareil pour moi ?

Certes, peut-être qu'effectivement, je ne suis pas au meilleur de ma forme, mais de là à se mettre en colère de la sorte... De plus, je trouve vraiment que comparé au Elio qui est parti ce matin là pour Liberty, j'ai connu une petite évolution du côté de mon approche quant à mes problèmes familiaux plus qu'envahissants.

  • Hey les nazes, quoi de neuf ?

Nous sursautons dans un même mouvement, Lou et moi, étonnés de voir surgir Léo dans la pièce. Ce dernier, affichant pourtant un sourire penaud à son entrée, fronce les sourcils à la vue de Lou prostré sur son lit, et de mon air complètement démuni face à cela.

  • Il se passe quoi là ?
  • Rien, grince Lou. C'est entre Elio et moi.

Je vois un tic nerveux agité la joue de Léo, tandis qu'il s'approche de Lou d'un pas déterminé, et pose une main sur son épaule pour la secouer un peu abruptement.

  • Oui, bah qu'importe ce dont vous parliez, tu as pas l'air dans ton assiette.
  • Mais tu comprends pas quoi dans ''entre Elio et moi'' ?
  • Bon, maintenant tu vas te détendre et arrêter de me gueuler dessus parce que j'y suis pour rien dans votre histoire, ok ?
  • Alors laisse-moi tranquille !

La mâchoire crispée, Léo se tourne vers moi, et me fais un léger signe de la tête en direction de la porte. Comprenant sa demande muette, je me lève sans demander mon reste et quitte la chambre tandis que Lou, furieux, commence à hurler sur Léo.

Rapidement, je m'éclipse de la pièce, et referme doucement la porte de la chambre, avant de tomber sur Mia, sourcils froncés. Les poings sur les hanches elle me jauge d'un regard sceptique, avant de se pencher pour fixer la porte derrière moi.

  • ... explications ?
  • Bah..., on parlait avec Lou, il s'est énervé, et Léo est arrivé...
  • Ouais, une de leurs nombreuse scènes de ménage, murmure t-elle.

Fatiguée, elle repousse une de ses mèches de cheveux derrière son oreille, et ferme les yeux, avant de tourner les talons.

  • Ils m'énervent, marmonne t-elle. Tu devrais venir avec moi, le temps qu'ils se calment.
  • Tu ne vas pas intervenir ?

Elle se retourne à moitié vers moi, sourcils froncés, et ponctue sa moue exaspérée d'un soupir.

  • Je ne suis pas leur mère. Je redescends.

Un court instant, je me tâte de retourner ou non dans notre chambre, avant de décider en accord avec moi-même, que ce sont leurs histoires, et que bien que la colère de Lou vienne de moi en majeur partie, je n'ai pas le droit de m'interposer.

Alors, résigné, je suis Mia dans les escaliers, laissant derrière moi les cris de colère de Lou, mêlés à ceux, bien plus forts, de Léo

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Lou

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Les yeux brûlants de colère, je fixe Léo, qui en face de moi, fais signe à Elio de quitter la pièce.

Ce dernier, visiblement peu enclin à s'interposer, acquiesce et quitte la chambre sans demander son reste, me laissant ainsi seul face à mon ami d'enfance.

Léo, tendu, attends que Elio soit parti pour se retourner vers moi, tandis que je lui brame dessus.

  • Maintenant, tu vas te calmer, pigé sale merdeux ?
  • J'ai le même âge que toi pauvre type !
  • Arrête de hurler !
  • Toi arrête de hurler !

Il fait un pas en avant, et tente de m'attraper les poignets, alors que je recule contre le mur adjacent à mon lit. Son ombre au-dessus de moi ne me fait pas peur, cependant je me méfie de ses colères, et préfère ne pas rester à la portée de ses bras. La prudence est mon maître mot.

  • Lou putain, tu as vu dans quel état tu es ? De quoi tu parlais avec l'autre rouquin ?
  • Ça, ne, te, concerne, pas, je martèle.
  • Du moment que ça te met dans un état aussi déplorable, si.
  • Et pourquoi ça ? De ce que je sache, tu n'es ni ma mère, ni mon père, ni mon frère, ou petit ami, de ce fait, tu n'as aucun droit de connaissance sur le pourquoi de ma colère ! Toi tu es en rogne tout le temps, et c'est pas pour ça que je te harcèle de questions !

Il grogne, se prend la tête entre les mains, avant de prendre une grande inspiration, et de souffler. Je vois, de là où je suis, les muscles de son cou se détendre, et la tention de ses épaules, s'amoindrir. Sa respiration, jusqu'alors saccadée due à son énervement de me voir moi-même énervé, reprend une allure normale.

Je crois qu'il a compris que me hurler dessus ne servirait à rien, et que le problème découle d'autre chose que ma simple entrevue avec Elio. Je tressaille, toujours tassé contre mon mur, et le regarde braquer ses prunelles obsidiennes sur moi, avant de poser un genoux sur le matelas, pour s'approcher de moi. De mon côté, je fronce les sourcils, et sens ma respiration accélérer davantage.

  • Ça n'a rien à voir avec Elio, je me trompe ?

Je sens les larmes revenir, et ai beau pencher la tête en arrière, les perles salées aussi douloureuses que de l’acide que l'on me verserait dans les yeux, se mettent à couler le long de mes tempes.

Ma respiration s'accélère encore, si bien que très vite, j'ai l'impression qu'elle ne se résume plus qu'à de courtes expirations, sans jamais me sentir inspirer. Je crois... que j'hyperventile.

  • Lou, calme-toi.

Les larmes redoublent, tandis que mon visage se tord de douleur, et qu'un premier sanglot, sonore, m'échappe. Je hoquette, secoué de part en part par de longs frissons toujours plus violents.

  • Qu'est-ce qui ne va pas pas... ?

Son ton est bien plus doux que d'ordinaire, et malgré ma perception amoindri du monde qui m'entoure, je sens sa main se poser sur ma joue, trempée.

Je sais, ce qui ne va pas, et pourquoi je me retrouve désormais, en larmes, à chercher de l'air qui de toute manière, n'arrive plus à passer. À dire vrai, cette tristesse, cette douleur, grandit en moi depuis la minute où l'on m'a annoncé la nouvelle. Et elle me ronge, encore et encore, depuis deux semaines maintenant.

  • ... papa et maman, je sanglote en me mordant la lèvre à outrance.

Entre le voile de mes larmes, j'arrive à distinguer que Léo ouvre la bouche, comprenant enfin ce qu'il se passe, puis il monte complètement sur mon lit, avant de s'asseoir en face de moi, ne sachant visiblement pas quoi faire de son corps.

  • ... je veux... rentrer... chez moi...

Une ombre de doute étreint son visage, avant qu'il ne se passe une main sur ce dernier, pour reprendre ses esprits. Il secoue la tête, jette de petits regards tout autour de lui, avant de se pencher un peu plus, et de me prendre contre lui. L'étreinte de ses bras, bien que chaude et rassurante, me fait me sentir encore plus mal, me privant du précieux air qui me manque déjà atrocement.

  • ... j'ai pas demandé à... être ici... !
  • Je sais, murmure t-il contre mon oreille, en tentant de me calmer par les gestes.

Sans vraiment le vouloir, mes mains s'agrippent à son tee-shirt, et je couine de tristesse, sentant les larmes me nouer la gorge.

  • JE VEUX REVOIR MA FAMILLE !

Mon cri le surprend, car je le sens se reculer de quelques centimètres, avant de jeter un coup d’œil en direction de la porte, le visage soudainement alerté par quelque chose que j'ignore.

  • Lou..., chut..., calme-toi Lou je suis là...

Je grogne, sanglote, et m'accroche à lui, le tout en même temps, ne percevant presque plus rien autour de moi. À dire vrai, j'ai la nette impression d'être enfermé dans une bulle opaque, étouffant les sons, et floutant les visages. Je sais que Léo est encore là, seulement grâce à ses bras, et l'odeur qui en émane.

  • Lou !

L'air me manque de trop. Je sens mes poumons brûler, à l'intérieur de ma cage thoracique, et finalement, la bulle se transforme en prison, puis en boîte sombre. La luminosité diminue, les sons meurent, et même les bras de Léo semblent disparaître.

…. Lou...

  • ….Lou...

Mes larmes, ses bras, mon propre corps, je ne sens plus rien. Seulement...le vide.

Le noir.

Il fait sombre, autour de moi. C'est étrange car, j'ai l'impression de n'être qu'un fantôme, mon corps ne répondant plus. Ai-je seulement encore un corps ? Si c'est le cas, alors je peux assurer que ma tête me tourne, et que mes jambes flageolent. Il fait tellement sombre...

Je ne pleure plus, et respire enfin normalement, sauf que je ne sens plus l'étreinte protectrice de Léo autour de moi. Où est-il ? Parti ?

Ma tête – si tant est que j'en ai encore une – bouge de gauche à droite, à la recherche d'un point de repère, dans cette obscurité brumeuse, tout autour de moi. J'ai envie de vomir.

  • ... reviens à...

Loin, très loin, j'arrive à discerner un léger son, un murmure, une sorte de mélange entre une voix et le bruit de l'eau. C'est étrange.

Je me sens vaseux.

  • ... tends... ?

Quoi ? Je ne comprends pas, que me dites-vous ?

Je rouvre brusquement les yeux, ma joue brûlante m'informant du contexte de ce réveil aussi brutal que douloureux.

La luminosité m'assaille, et je tourne la tête en tout sens, sans prendre en compte la douleur lancinante de ma nuque, ni même celle qui pulse à l'intérieur de mon crâne.

Je suis passé du noir total, au blanc aveuglant, en quelques micro-secondes.

Mes poumons se remplissent d'air, et je bats des cils, une fois, deux fois, trois fois. Puis, je prends connaissance de l'oreiller sous ma tête, du drap sous mon corps engourdi, et de la légère couverture qui me recouvre jusqu'au torse.

  • Lou, est-ce que tu nous entends ?

Je tourne la tête, encore un peu étourdi, et tombe sur le visage apaisant de Mia, penché vers moi. Elle a de vilains cernes sous les yeux, ainsi qu'un beau bleu sur la pommette, mais hormis ces quelques détails, elle me semble plutôt normale. Derrière elle, je remarque les yeux hétérochromes de Elio, qui me fixent avec insistance.

  • Répond-moi ou je t'en colle une autre !

Alors c'est elle qui m'a mis cette gifle ? Quel punch, j'ai encore mal.

  • Non, non c'est bon, je marmonne en frottant ma joue endolorie contre l'oreiller.
  • Bah bon sang..., ça va tu as bien dormi ?
  • Qu'est ce qui s'est passé ?

Ma voix est enrouée, encore endormie, si bien que je vois Mia sourire en coin.

  • Il s'est passé que tu as fais une crise de panique assez flippante, hier soir, me raconte Elio.
  • Il a raison, tu es tombé dans les vapes, après qu'un surveillant ne t'ai piqué avec un calmant.
  • Et Léo ?

Ma question les surprend tous les deux, et alors que j'essaye de me redresser pour mieux observer tout autour de moi, je remarque que mes poignets sont solidement attachés au lit par deux sangles en cuir.

  • C'est quoi ça ? Depuis combien de temps je suis ici ?
  • Léo, me tempère Mia, est chez le directeur. Ça, c'était au cas où tu repartirais en crise de panique. Et ça va bientôt faire vingt-six heures que tu es ici. D'autres questions ?
  • Pourquoi il est chez le directeur ? Un jour entier ? C’était un calmant pour cheval ou quoi ?!
  • Il a..., comme qui dirait un peu insulté un surveillant. Tu ne te réveillais pas et ça l'a perturbé. Mais ne t'en fais pas, il va se faire remonter les bretelles une fois, et tout ira mieux ensuite. Et oui, un jour entier, il doit pas être loin de vingt-trois heures.

J'écarquille les yeux, mais ne fais pas plus de commentaires. En repensant à la soirée d'hier, je sens mon ventre se serrer, et mes membres se tendent. Je n'ai pas assuré, mais alors pas du tout. Que ce soit envers Elio, ou envers Léo, j'ai été imbuvable, intrusif, voir... mauvais. Très mauvais.

Mais..., ce n'est pas ma faute du moins, pas en totalité. Mes parents me manquent, et de savoir que je ne les reverrai jamais, et surtout, de savoir qu'ils me pensent mort, me révulse. Car ce n'est véritablement que depuis hier, que j'ai réalisé que je ne sentirai plus jamais l'étreinte de ma mère autour de moi, ou que je n'entendrai plus le rire suave de mon père. Plus de jogging le dimanche matin avec eux deux, ou de courses dans le supermarché bondé du samedi après-midi. Tout cela peut paraître... dérisoire, mais pour moi ça représente surtout une perte, un vide, que je ne pourrais pas combler, car on ne se remet jamais de la perte d'un proche, qu'importe ce qu'en disent les spécialistes sur le sujet. Certes, ils sont encore en vie mais je suis mort à leurs yeux, alors à quoi bon espérer ?

  • Lou, me glisse Elio en posant une main sur mon épaule. Tu broies du noir là.
  • Léo nous a expliqué ce qu’il t'était arrivé, et...

Mia, visiblement troublée, échange un regard avec Elio, avant de poursuivre, les sourcils arqués dans une expression d'incertitude.

  • Miss Regina a proposé d'ouvrir une cellule psychologique.

Mon sang se glace dans mes veines, tandis que je réalise ce qu'elle est en train de me dire.

  • Je n'ai pas besoin de cellule psychologique, je marmonne. J'ai besoin qu'on me rende ma liberté, et accessoirement, le droit d'aller annoncer à mes parents que je ne suis pas en train de me faire bouffer par les vers ! Je veux qu’on me rende ma vie!
  • Et pourquoi aurais-tu ce privilège jeune homme ?

Je redresse la tête, en même temps que Mia et Elio, et nous tombons tous trois sur monsieur Criada, escorté de Miss Regina et de Aubert. Notre ancien proviseur porte encore son costume, malgré l'heure tardive, et notre infirmière, bien que toujours aussi souriante que la première fois où je l'ai vue, semble assez fatiguée.

  • Il faut bien que tu comprennes, reprends le père de Elio, que nous t'avons offert une nouvelle vie. Un nouvel avenir en tant que Reborn. Sans nous, tu serais mort.
  • Peut-être, mais au moins je n'aurais pas sur la conscience le fait de savoir mes parents en train de pleurer ma mort alors que je suis en train de gambader dans votre foutue école de détraqués.
  • Tu devrais surveiller ton langage mon garçon.
  • Qu'on soit clairs, je rétorque, remonté comme rarement je l'ai été. Ce que vous faites est éthiquement incorrect, et je ne suis pas certain que les forces de l'ordre apprécieraient de savoir que vous utilisez les cadavres de pauvres gosses comme nous, morts dans de tragiques circonstances, pour vous adonnez à vos petits jeux scientifiques à deux balles. Ni moi, ni les autres n'avons demandé à être ramenés à la vie. Nous sommes morts en aidant nos camarades de l'internat, et cela aurait du rester ainsi.

Je me tais enfin et fronce les sourcils à la vue de monsieur Criada, tout sourire, les mains dans les poches.

  • Et moi qui pensais que seul le blond était rebelle...
  • Où il est au fait ? Je pensais qu'il était avec lui ?

Je pose la question à Mia, qui hausse les épaules en signe d'impuissance, avant de marmonner à son tour quelque chose à la direction du sous-directeur.

  • Pardon mademoiselle ?
  • Je disais que Lou a raison : ce que vous faites s'appelle de la nécromancie, et dans notre pays, ce n'est pas accepté. Qui est au courant de cette école ? Qui finance tout ça ?
  • Vous êtes bien curieux pour des novices.
  • Parce qu'en plus de nos sentiments, on va aussi perdre notre curiosité ? Quel chouette programme ! Le libre arbitre aussi sans doute ?

Dans ma tête, je souris à pleine dents : face à moi tout seul, Criada avait encore un semblant de calme proche de l’irritation, mais maintenant que Mia s'y met, il ne rigole plus du tout.

  • Où est Léo ? redemande t-elle froidement.
  • Avec nos surveillants. Il subit une petite correction pour insubordination. Mais à ce que je vois, votre insolence doit découler du fait que personne ne vous a expliqué les règles de notre établissement.

En prononçant ces paroles, il coule un regard mauvais à Aubert, qui baisse les yeux, mal à l'aise.

  • Une correction ?
  • Oui, un châtiment corporel si vous préférez. Je vais être très clair : vous avez été reçu pour intégrer la formation. Cependant, rien ne nous oblige à vous y garder jusqu'au bout. De nouveaux Reborn, nous en recrutons chaque jours, dans nos différentes écoles réparties partout dans le monde. Ce n'est pas une perte de quatre d'entre eux qui va nous faire du tort. De plus, sachez que si au bout de la moitié de la formation, dans trois mois donc, vous n'êtes pas assez performants...

Il mime avec son doigt un couteau coupant sa propre gorge, et je ne peux réprimer un frisson.

Si je suis bien leur logique : nous avons péris dans l'attentat de Liberty, puis avons absorbé le sérum Reboot, qui nous a en quelque sorte, ramené à la vie. Puis nous avons passé un test d'admission à la formation pour devenir Reborn, ou plutôt soldats au service de la structure qui nous séquestre, elle aussi nommée Reborn. Et enfin, ils nous annoncent aujourd'hui que malgré tout ça, il leur est encore possible de nous reprendre la vie qu'ils nous ont ''offerte'', pour manque de discipline ou des résultats trop bas durant la formation ? En résumé, nous ne sommes rien pour eux, si ce n'est de futurs boulets de canon a envoyer sur leurs cibles. Ils ne nous ont pas redonné vie pour des raisons humaines, mais pour des raisons purement techniques : dés qu'ils voient un potentiel à utiliser chez un jeune qui ne manquera à personne car présumé ''mort'', ils s'en emparent, et se l'approprient.

Ça me dégoûte.

  • Est-ce que c'est clair ? grince t-il finalement.

Sa menace nous a tous refroidi dans notre élan de rébellion. Et de plus, j'ai peur que désormais, nous ne soyons dans leur ligne de mire.

  • Oh et puis toi là, apprends à contrôler tes crises de panique, on a pas que ça à faire de gérer tes crises existentielles. Miss Regina, détachez-le, et Aubert ? Ramenez-les dans leur chambre, et enfermez-les. Le blond ne reviendra que demain matin.

J'écarquille les yeux face à sa violence, et je sens mon regard s'assombrir. D'un seul coup, je n'ai plus aucun mal à imaginer ce pauvre type rouer Elio de coups, comme il l'a fait lors de la simulation. J'ai envie de lui cracher à la figure.

Et Léo qui est je ne sais où, en train de payer pour ma connerie.

Quel merdier !

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