38 (partie 1)
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Léo
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- Jelena ?
Un exclamation amusée s'élève quelque part dans le wagon, et je laisse ma surprise se muer en immense joie en reconnaissant la tonnalité grave du rire de Jeremy.
- Jeremy ?
- Salut blondasse. Bon retour parmi les looser.
J'ai envie, une irrépréssible pulsion, de me lever pour les retrouver au toucher, les revoir par la forme et les contours. Ainsi privé de la vue, je me contente du timbre de leurs voix qui n'ont pas tellement changés malgré les deux ans passés, et suis même étonné de ressentir une telle euphorie.
Depuis deux ans que je vivais dans les cellules des Jeux, je ne m'étais pas fait énormémenet d'amis : pire, les quelques rares personnes avec qui je m'étais lié d'une quelconque façon ont fini par tomber sous mes coups durant les combats. Je me suis longtemps détesté de devoir agir de la sorte, avant de me faire une raison, et de ne plus parler à personne en dehors des surveillants ; il fallait à tout prix que j'évite de ressentir des choses pour les personnes condamnées à mourir de mes mains. Alors, de revoir Jelena, Jeremy, et sûrement d'autres avec qui j'ai pu partager la ''formation'' au centre, un trop plein de joie m'envahit. Après avoir retrouvé Lou, mon Lou, je ne pensais plus ressentir pareille chose, hormis lorsque je retrouverais Mia. Et pourtant...
- Tu étais où durant deux ans, Léo ? me questionne Jeremy.
- … enfermé dans les cellules des Jeux.
- Tu y a participé ?
- Ouais, et pas qu'une fois tu peux me croire.
Un sifflement admiratif fuse à travers le wagon toujours noyé dans l'obscurité et le tintement régulier des chaines, avant qu'enfin, Lou ne prenne la parole, d'une petite voix.
- Léo, ils...
- Lou ? s'exclame une voix que je reconnais être celle de Alexia.
- Oui... ?
- Tu aurais pu nous dire que Lou était avec toi !
- Vous allez me dire que vous nous avez pas vu entrer dans ce fichu wagon ?
Un toussotement gêné s'élève, avant que Jeremy ne me réponde.
- On a des bandeaux devant les yeux, histoire de pas pouvoir nous informer de notre localisation par un quelconque moyen.
- Ah. Euh... ouais, Lou est avec moi.
- Comment tu vas mec ?
Comme je m'y attendais, mon ami d'enfance s'abstient de répondre, sûrement encore en proie à ce manque cruel de souvenirs lui ayant été arrachés. Mon estomac se noue, et je décide de raconter, de narrer dans les grandes lignes, ce qui lui est arrivé, et pourquoi leur répondre représente un geste presque impossible pour lui.
Sans rentrer dans les détails, j'énonce les manipulations scientifiques, les séances de ''dressage'' dûs à sa désobéissance lors du dernier cours de détachement, mais j'insiste surtout sur les tortures infligées et qui n'avaient selon moi, aucun rapport avec un soi-disant désir de soumission de la part des agents. Ils voulaient simplement le faire souffir, pour ne pas s'être plié face à eux.
- Les enculés..., murmure Jelena en grinçant des dents.
- Lou, si ce que Léo dit est vrai, alors tu ne te rappelleras pas de moi. Mais sache qu'au centre, on s'entendait bien tous les deux. C'est Alexia, j'espère que ma voix te dira quelque chose.
Un à un, les différents Reborn présents dans le wagon se présentent, tentant de rafraîchir la mémoire de Lou, et la mienne par la même occasion.
Alors qu'ils sont toujours en train de lui parler, je sens ses doigts s'enrouler autour des miens, sans faire de bruit, pour les serrer au creux e sa main.
- Je me déteste, murmure t-il tout bas, pour que seules mes oreilles soient témoins de ses mots.
- Pourquoi tu dis ça... ?
- De pas me souvenir de vous tous, je... je me dis que si j'essayais plus fort, peut-être que ça reviendrait, mais j'y arrive pas Léo...
- Arrête de dire des bêtises. Ça te reviendra, Lou. Avec le temps, et avec notre aide.
Après quelques longues heures de voyage durant lesquelles je n'ai eu de cesse de tantôt rassurer Lou, tantôt expliquer encore et encore les deux années infernales que je viens de passer, le train finit par ralentir, puis par totalement se figer, nous laissant ainsi dans une incompréhension teintée d'inquiétude qui ne fait que renforcer l'ambiance déjà très pesante qui règne tout autour de nous.
- On est où vous pensez... ? murmure Tim après quelques longues minutes de silence.
- En Enfer, j'imagine. Où peut-être juste dans un autre centre de Reborn ?
- Ce qui revient techniquement au même.
Je souris pour moi à l'entente de la réplique cinglante de Jelena, tout en l'imaginant, depuis deux ans, agir aux côtés de ma meilleure amie.
Elle m'a raconté, durant ce long trajet, ce qui s'était passé pour eux après l'épisode de l'examen de détachement : selon ses dires, leur formation aurait été accélérée au point de s'achever en deux semaines, au lieux de quatre. Puis, après avoir reçu leur permis d'exercer sur le terrain ainsi que leur magnifique tatouage de ''propriété'' de Reborn, ils ont été mis en activité à Cristal et ont dû, à partir de ce moment, agir en adéquation avec les principes et valeurs de Reborn. Jelena m'a expliqué qu'ils vivaient tous dans le même immeuble, et que Mia habitait en couple avec Elio, depuis leur mise en activité. Elle m'a pourtant relater les quelques tensions qui les animaient dernièrement, depuis le début de l'exécution du plan de Mia tendant à nous venir en aide.
Je me suis tout d'abord interrogé, sur le fait que Mia ne se soit pas rebellée face aux ordres qu'on lui donnait, face à cette fatale réalité qu'était devenue la sienne. J'ai cependant vite compris qu'elle agissait non pour elle, mais pour nous, Lou et moi. Dans le seul et unique but de ne pas se mettre ses supérieurs à dos et d'ainsi pouvoir glaner des informations nous concernant.
La porte latérale du wagon s'ouvre brutalement, nous assaillant d'une lumière de début de journée tout à fait aveuglante, et déchirant nos rétines avec une violence voulue par celui ou celle ayant ouvert. Je gronde, racle le sol en-dessous de moi avec mes ongles, avant de pester d'avantage en sentant des mains me saisir aux épaules.
- J'emmène Pogbal et Kampa, marmonne une voix. Toi, emmène les autres.
- Fais gaffe avec le blond, d'après les rumeurs il a choppé la rage durant les Jeux.
La silhouette en contre-jour penchée sur moi me relève d'un geste sec, avant de me tordre les bras dans le dos pour les attacher solidement à l'aide de plusieurs cordages épais, pour ensuite réitérer son geste envers Lou.
On nous chahute encore, nous forçant à descendre du wagon à grands coups de perches électriques dans le bas du dos, jusqu'à ce que le paysage nous entourant ne me heurte, plus que la douleur.
Je renifle, dubitatif, avant de me voir confirmer mes spéculations par un Lou totalement abasourdi.
- On est en France ?
- Ouais, je crois bien...
Tout autour de nous s'étend la gare de Lyon Part Dieu. J'ai un souvenir bien net de cet endroit, notre classe l'ayant déjà visité au collège, lors d'un voyage scolaire.
Qu'est ce que nous faisons là... ?
Le type tenant les chaînes au bout desquelles nous sommes retenus Lou et moi, tire dessus d'un coup sec, nous intimant de le suivre sans plus tarder, et surtout sans broncher.
- Bienvenus en France les jeunes, votre dernière destination à en croire le Chef.
- Sympa de nous offrir un dernier voyage organisé avant de nous abattre, je rétorque.
Un nouveau coup de perche électrique, qui me laisse une brûlure fumante sur le bras et qui pourtant, ne semble absolument pas alerter les humains tout autour de nous.
À vrai dire, ce n'est véritablement qu'à ce moment-là que je me rends compte du problème : les gens tout autour de nous, ne semblent en aucun cas compatir et nous plaindre. Non pire, ils nous fixent avec hargne, mépris, dégoût pour la plupart. Voir... de la peur.
Et moi qui pensais pourtant que le témoignage de Gloria aurait eu l'effet de mobiliser les troupes en notre faveur, voilà que tout l'inverse semble s'être produit. Nuls doutes que si ces hommes et femmes, jeunes et vieux, possédaient des fourches et des torches flamboyantes, ils marcheraient à notre suite en demandant la pendaison des monstres.
- Cassez-vous d'ici, ordures !
- Allez au Diable !
- Retournez chez vous ! On en a marre de dérouiller à cause de vous !
J'ouvre la bouche pour répondre, avant de me raviser, avisant l'air troublé de Lou, à côté de moi.
- Tout va bien... ?
- Pourquoi les gens nous détestent comme ça ?
- Je sais pas.
Il se mord la lèvre, avant que nous ne sortions enfin du bâtiment de la gare pour déboucher sur une place entourée de voitures de police et de fourgonnettes. Adossé à l'une d'elles Nodem, bras croisés et menton levé vers nous avec dédain, nous salue d'un signe bref.
- Parfait, allez on y va, marmonne t-il lorsque nous approchons de lui. Attachez-les bien à l'arrière, il serait regrettable qu'ils essayent de fuir durant le trajet.
- C'est quoi ce bordel Nodem ? Pourquoi les gens réagissent comme ça ?
- Le retour de flamme mon petit, tu comprendras vite.
Je gronde, rue, tout en défiant les militaires m'escortant du regard, peu enclin à suivre docilement leurs ordres sans broncher.
- Pogbal arrête de jouer aux héros, et pense à ton acolyte qui pourrait passer un mauvais quart d'heure si tu ne te calmes pas.
- Ne le touchez pas !
Personne ne me répond, comme je m'y attendais. Non, on se contente de me forcer à rentrer à l'arrière de la voiture de Nodem, sur la banquette arrière séparer de l'avant de l'habitacle par une paroi de verre renforcé, Lou à mes côtés.
Le retour de flamme... ? J'ai peur de comprendre.
- Quoi qu'il puisse nous arriver par la suite, Lou, tu reste avec moi, ok ?
Resté muet jusqu'à maintenant, il se tourne à moitié vers moi, m'offrant un sourire éteint, avant de hocher douloureusement la tête.
- Prends pas de risque inutiles sous la seule menace de les voir me casser la gueule. J'ai vu pire.
- Je t'interdis de dire des choses pareilles. Moi vivant, plus personne ne touchera à un seul de tes cheveux. Les conneries ça va bien cinq minutes.
Aucune réaction, si ce n'est un petit roulement d'épaule distrait. À en croire son visage, il ne considère pas mes paroles comme véridiques, mais comme présomptueuses.
- On ne peut pas sauver tout le monde et tu le sais.
Oh que oui, mais crois-moi que toi au moins, je ne te laisserai pas mourir par leur faute, pas une seconde fois en tout cas.
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