38 (partie 2)
.
Mia
.
Mon père. Mon père, nous a trahi, du côté de Reborn depuis le début. Il n'a pas hésité une seconde à s'en prendre à Elio et moi, ni à lancer ses hommes à la charge de Andres et ses acolytes. J'ai envie de vomir.
Elio, à côté de moi, fixe avec un regard vitreux la salve de barrots nous retenant prisonniers de nos deux cellules respectives, séparés l'un de l'autre par un mur d'acier, retenus de part et d'autres des cachots par de lourdes chaînes. Les bracelets passés à mes poignets sont atrocement douloureux, me donnant l'impression qu'à chaque mouvement ma chair se déchire un peu plus, s'ouvre encore et encore, avant de cicatriser pour se rouvrir à nouveau.
Des menottes avec lames internes, quelle bande d'ordures.
- Elio... ?
Il tourne lentement la tête vers moi, esquisse un semblant de haussement de sourcil pour me faire part de son attention, avant que je ne continue.
- On va s'en sortir, pas vrai ?
- Je veux pas être pessimiste, mais je crois bien que cette fois, on est dans la merde jusqu'au cou.
Mon cœur, ma gorge et mes rares espoirs se serrent, s'entrechoquent, et se meurent. Je n'arrive plus à avaler ma salive sans me brûler l’œsophage, et je sens que mes résistances contre la fatigue qui m'assaille, arrivent à leur terme.
Cela fait deux jours que nous sommes ici. Après notre réveil à bord d'une sorte de train brinquebalant, nous avons été traînés de force jusqu'à ce centre de détention nouvellement ouvert pour ''Reborn défaillants''. Ensuite, le chemin fut simple : jetés en cellules, solidement menottés et privés d'eau et de nourriture jusqu'à nouvel ordre.
Si Elio et moi ne buvons pas très vite, nous allons mourir ici. Je comprends maintenant l'état déplorable dans lequel se trouvait Léo lorsqu'il nous était revenu des cellules d'isolement après l'épisode de la fumette.
Tremblante, je tente d'amoindrir la douleur en changeant de position, du mieux que je le peux, tout en geignant de souffrance à chaque mouvement.
- Je suis désolée Elio, c'est ma faute si on est là. À cause de mon plan stupide, de mon père et...
- C'est pas de ta faute. Et puis je connaissais les risques de te suivre là-dedans.
- Oui, je sais. N'empêche que je suis vraiment désolée.
Je le vois bouger, loin de moi, pour finalement se tourner du mieux qu'il le peut dans ma direction, avant de m'offrir un sourire rayonnant. Un sourire illuminant nos cellules, un de ceux qui n'a rien à faire dans ce genre d'endroit.
- On va s'en tirer, Mia. On s'en est toujours tiré. Par contre à la sortie, tu auras droit à un sermon.
- Parce que vous pensez qu'une possible ''sortie'' est à prévoir pour vous deux ?
Les portes aux fond du long couloir donnant sur nos cellules s'ouvrent et un homme grand et large d'épaule, semblable à Criada dans la carrure, s'approche de nous d'un pas déterminé, tout sourire. Il tient entre ses mains un calepin en cuir rouge, qu'il agite avec provocation sous mon nez, avant de sortir d'une poche interne de sa veste une petite bouteille d'eau.
- Le cadre vous plaît. Dites-vous que ce centre n'était pas censé ouvrir aussi tôt, mais que vous nous y avez comme qui dirait, poussés.
- Comment ça ?
- C'était très ingénieux de demander à Gloria Kampa de se joindre à votre cause. Ainsi, vous avez touché un plus grand nombre de personnes. C'était malin, vraiment. Comme quoi avoir des contacts dans le milieu de l'influence, ça sert.
Je gronde, en le voyant boire quelques gorgées de sa bouteille, avant d'en vider la fin par terre, devant nous. Le liquide, en s'écoualnt sur le sol terreux, disparaît, ne laissant derrière lui qu'une vague idée de son passage par une terre humide et plus foncée.
- Oh pardon, vous en vouliez peut-être ?
- ... connard, je souffle d'une voix blanche.
- Voyons Mia Dos, pas de langage vulgaire entre ces murs. Bref, où en étais-je ?
Il époussette sa veste, en examine les manches légèrement poussiéreuses, avant d'ouvrir son calepin, les yeux rivés sur nous.
- Oui, c'est cela, murmure t-il en avisant ses lignes. Vous savez que votre petit coup d'éclat a faillit me conduire à ma perte. Heureusement pour moi, je suis un homme de réaction et de décision. Certes, l'une de mes dernières prises de risque était de lancer une grande répression de la foule en colère par mes Reborn, mais que voulez-vous ? C'et de votre faute tout ce qui arrive.
Une... répression ? Comprenant au ralenti ce que vient de dire Nodem, j'écarquille les yeux, imaginant avec netteté les humains compatissants de notre sort, réprimés par l'armée classique et l'armée Reborn, afin qu'un semblant de calme engendré par la terreur ne sévisse tout autour de nous. Le Chef de Reborn aura beau dire tout ce qu'il voudra, cette initiative ayant pour principe la violence montre bien une chose : il a perdu, et ne sait pas comment réagir à cela. Se rendant compte que les humains étaient désormais du côté des monstres, il a du perdre tous ses moyens et s'accorder avec le gouvernement afin de lancer une vague de répression contre l'insurrection.
- Le gouvernement est d'accord avec ça ?
- Le gouvernement est d'accord avec ce qui maintient le calme. Pour l'heure, mes Reborn.
Bien sûr, il va sans dire que mes gestes, tous comme les vôtres, vont nous amener tôt ou tard, à une guerre civile, une guerre mondiale peut-être ? Sûrement.
Ma gorge se serre, au moment où d'autres hommes pénètrent dans le couloir menant à nos cellules, de longues perches entre les mains, au bout desquelles se trouvent de larges colliers de cuir.
- Attachez-les bien, et suivez-moi. Les deux autres doivent déjà être là-bas, gronde t-il en me dévisageant.
- Qui ça ?
- À ton avis ma jolie ? Le reste des miraculés de Liberty, cela va de soi.
Alors que la porte de ma cellule s'ouvre sur un homme armé de la fameuse perche-collier, je laisse un sourire étirer mes lèvres, bien que la situation ne s'y prête guère.
Les autres miraculés de Liberty ? Léo et Lou, c'est certain.
D'une main ferme, on me retire le menottes pour les remplacer par des cordages, puis le soldat tenant la perche m'enfile le collier de cuir, avant de me forcer à me lever en tirant sur son arme.
- Allez debout.
Je m'exécute, hébétée par ce qui est en train de m'arriver, et me laisse entraîner dans les couloirs à la suite de Elio et Nodem, presque sans rechigner.
Mes pas résonnent sur le sol en pierre humide, et je vois à la lueur des murs l'humidité me renvoyer un reflet fantomatique de mon visage. Je suis atrocement fatiguée, et assoiffée. J'espère que nous n'aurons pas à marcher trop longtemps, ou je risque bien de parvenir au point de rendez-vous sur les rotules.
Après quelques longues minutes de marche et d'interminables escaliers, nous arrivons enfin devant une large porte en métal renforcé, sécurisant sans aucun doute le lieu où Nodem nous a conviés. Je remarque de part et d'autre du cadre, de larges verrous à emprunte rétiniennes, ainsi qu'une ultime sécurité par test sanguin.
Le centre aux abords de Cristal, n'était rien comparé à celui-ci.
Nodem s'approche du scanner, laisse une sorte de rayon coloré balayé son œil gauche, avant de piquer son doigt au bout de l'aiguille disposée sur la droite de la porte, et prévue à cet effet.
Un sifflement, puis les verrous se défaisant un à un, avant que la porte ne s'ouvre finalement dans un soufflement, dévoilant une large pièce satinée, mais surtout...
- Les garçons ?
Je bondis presque en avant, mais suis retenue avant même d'avoir parcouru un mètre par le collier en cuir passé autour de ma gorge. Je gronde, racle des mains sur le sol après avoir chuté, mon équilibre s'étant perdu dans la pression sur le collier.
Léo et Lou, sont là. Visiblement amorphes, endormis, mais vivants. Et c'est là le plus important.
- Retenez-les, marmonne Nodem en prenant place derrière l'immense bureau de la pièce.
Je siffle entre mes dents serrées, et avise Elio être conduit docilement jusqu'à un siège où il est solidement attaché, à la façon dont Léo et Lou le sont déjà, à la différence près que mon petit ami semble moins souffrir des liens autour de ses poignets que mes deux amis d'enfance.
Léo, le regard brillant de joie entremêlée à une colère farouche, m'adresse un sourire immense, tandis que je suis à mon tour conduite sur un siège, où l'on m'emprisonne sous des liens de cuir, des barres métalliques, tout un arsenal pour me tenir en place.
Une fois le passage du ligotage passé, je jauge Lou un long moment, n'arrivant pas à mettre le doigt sur la raison du malaise que je ressens en le regardant depuis que je suis entrée. De ce que je remarque, bien qu'il soit assis, c'est qu'il ne semble pas avoir beaucoup grandit depuis deux ans, et même s'être amaigri, bien qu'une fine couche de muscles ne roule sous sa peau à chacune de ses respirations. Mais le pire et de loin, de cette apparence rachitique, reste son regard voilé, fantomatique, tellement différent de celui de Léo en cet instant.
Lou n'était pas aux Jeux, définitivement, mais autre part. Et je n'ose imaginer où.
- L'équipe de Liberty enfin au complet ! s'exclame Nodem en frappant dans ses mains.
- Pour ton plus grand plaisir, grince Léo avec mauvaise humeur.
Je note sa voix plus grave, son timbre plus rauque, avant que notre geôlier ne me ramène à l'ordre d'une apostrophe vulgaire.
- Vous vous doutez que je ne vous ai pas réunis pour votre plaisir, mais pour une raison plus..., professionnelle, dira t-on. Je ne ferais pas traîner cet entretien en longueur, le temps étant la chose la plus précieuse pour moi, mais pour vous également.
Elio grince des dents, à quelques mètres de moi, sentant sûrement comme nous tous, le vent tourner à notre désavantage, une nouvelle fois.
- Grâce aux récents exploits de Mia et Elio, je me retrouve dans un sacré pétrin, marmonne Nodem. Les foules en ont après mes fesses, et après celles de l'Etat. Et comme Reborn est présent dans chaque pays, sur chaque continent, votre petite interview résolument naïve, a déclenché un conflit mondial, allant bien au-delà que vos simples problèmes d'adolescents.
À ses mots, je gronde, et me secoue un peu brutalement sur ma chaise, en faisant grincer les pieds sur le sol carrelé.
Des problèmes ''d'adolescents'' ? Il plaisante ? Nos maux ont cessé d'être enfantins du moment que ces hommes ont franchi les portes de l'internat pour tous nous abattre. Ils sont devenus colossaux une fois enfermés dans les locaux de Reborn. Ils sont mondiaux maintenant que nous avons tenté de faire bouger les choses.
- Pauvre con, nos problèmes n'ont rien d'infantiles.
- Langage, Léo.
Un coup de perche électrique dans la nuque plus tard, Léo exhale, et nous braquons à nouveau tous nos regards et nos doute sur Nodem, un carnet entre es mains.
- Les foules se déchaînent, en ont après nous, et vous savez quoi ? C'est entièrement de votre faute. C'est pourquoi vous allez calmer tout ce petit monde presto, compris ?
- Et comment ? Tu crois que nous adresser à la population jouera en ta faveur ? Les gens s'insurgent car ils en ont marre d'être pris pour des imbéciles par quelques hauts placés de ton genre. Si nous leur demandons de cesser de vouloir connaître la vérité, tu crois sincèrement que cela marchera ? Et puis, comme tu l'as dis, nous ne sommes que des adolescents.
- Qui a mentionné le fait de ''parler aux foules'' ?
Mon sang se glace dans mes veines, lorsque du tréfonds de mon esprit embrumé, je réalise au ralenti que Reborn n'a jamais employé le dialogue pour régler les problèmes. Ce n'est pas leur philosophie, pas la morale qu'ils nous ont enseignées.
- Vous les Reborn, avez tenté de me renverser, c'est pourquoi en échange de ma clémence, vous allez servir aux côtés des armées de l'Etat pour rappeler au peuple, qui dirige, et qui est dirigé.
- C'est hors de question, crache Elio avec hargne.
- Qui t'a parlé d'un choix à faire, jeune homme. Ici on parle d'ordre, mais surtout... de menace.
Nouveau blocage. De mes mains, je racle le bout des accoudoirs de ma chaise, et sens mon cœur pulser plus fort à chaque seconde passée dans le silence de Nodem.
- Vous nous avez déjà causé du tort, et vous êtes rebellés, dans le passé ; c'est pourquoi mes hommes et moi-même avons pris des dispositions préalables à votre future mise au combat sous nos ordres.
- Qu'est-ce que...
- Durant vos petits sommes jusqu'ici, mes agents les plus fidèles, vous ont implantés de très sympathiques nanobombes dans la nuque. Petits dispositifs qui ont la particularité de se déclencher en cas de tentative de fuite, de mutinerie, out toute autre joyeuseté dont je vous laisse découvrir les limites. Et juste, une dernière précision...
Nous attendons, tous, pendus à ses lèvres comme si il représentait à lui seul la vérité universelle, le glas mortel et la peur absolue.
- Imaginons que Mia tente de s'enfuir, ce n'est pas sa bombe qui se déclenchera, mais celle de Léo. Ou de Lou, de Elio, peut-être. En bref, si vous agissez contre moi, et donc contre Reborn, ce n'est pas votre bombe qui se déclenchera, mais celle de l'un des trois autres. À vous de voir si vous avez envie de jouer avec le feu.
Annotations
Versions