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Lou

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« Le cœur battant à tout rompre, la gorge sèche, je gravis les marches comme jamais je ne les ai gravies. Quatre par quatre, il me semble presque voler, bien que mon sentiment premier et bien réel, soit lui, de chuter.

Ma respiration est irrégulière, erratique, à mesure que mon cœur ne trouve plus le temps de se contracter, de me redonner du souffle, d'envoyer du sang dans mes veines. J'ai l'impression d'être un vieux jouet, de ceux qui marchent encore malgré le fait que les piles commencent sérieusement à être usées. Ainsi, je cours, je vole, au-dessus des marches, de palier en palier, sans m'arrêter, tout en haletant, la gorge sèche, la langue pâteuse.

Je ne peux pas m'arrêter car je ne suis pas sûre qu'une seule seconde perdue ne soit pas fatale.

Dans ma main, je serre mon portable, l'objet de tous mes maux qui tremble entre mes mains agitées de spasmes.

Encore un étage.

Sur le carrelage des marches, mes baskets claquent, le silence m'est qu'encore plus pesant. À dire vrai, j'ai envie de vomir, tant la peur et l'essoufflement me tordent le ventre, tant j'ai tout simplement envie de me laisser tomber ici, ne prenant ainsi pas le risque de devoir découvrir le toit vide de toute présence. C'est lorsque l'on ne se confronte pas, que l'on peut fermer les yeux.

Facile, d'être courageux loin du danger.

Alors je continue, je cours, encore et encore, ne laissant pas de place à l'hésitation où à la peur, ne voulant juste pas arriver trop tard, ne voulant pas porter toute ma vie le poids de cette vie qui se sera arrêtée à cause de moi.

La porte du toit est devant moi. Je l'enfonce d'un coup d'épaule, trop pris dans ma course pour prendre le temps de m'arrêter et découvre le toit presque désert de notre collège, sous le soleil tombant de cette fin de mois de février.

Il est dix-huit heure.

Mes épaules sont agités de tremblements dus à mon halètement et je crois bien subir le point de rupture, lorsque du coin de l’œil, tout au bout de mon champs de vision, je te vois.

Tu es debout, sur le petit rebord entourant le toit terrasse de notre collège. Debout, tu ne trembles pas, tu es stable sur tes pieds, dos à moi.

Au pied du rebord en ciment, tes baskets blanches devenues grises par le temps.

Je veux t'appeler, mais aucun son ne sort de ma bouche. J'ai peur que la moindre syllabe ne te pousse dans le vide.

Tu tournes la tête vers moi, sûrement as-tu entendu le claquement de la porte menant u toit venant de se refermer après mon passage. Ton visage est... inexpressif. Tu ne sembles pas paniquer, tu n'a pas peur, non.

  • Tu sais, commences-tu. J'ai longuement hésité. Avant de monter ici. Avant de me présenter comme ça face au vide. Ça fait vraiment un drôle d'effet. De voir la cour de cette hauteur, c'est vraiment grisant. Regarde.

Tu tends le bras et balayes l'entièreté du monde de la main, tout sourire. Je ne t'ai jamais vu avec cette expression. À la fois résignée, sûre et... calme.

  • Tout à l'heure, au moment de monter, je n'ai pas su si il fallait que j'en parle à quelqu'un. Trop dangereux. Les adultes auraient appelé les urgences. Et toi... pourquoi je t'en aurais parlé ? Je comprends même pas ce que tu fous ici.

Mon cœur se serre, et une partie du sol sous mes pieds commence à se fissurer. J'ai peur de tomber, moi. Toi tu semble calme, mais pas moi. Non, car tes mots me heurtent, me déchirent de l'intérieur à la façon d'un corps criblé de balles cherchant pourtant à rester en vie.

Je déglutis, fais un pas en avant, puis m'arrête, te voyant agiter la tête de gauche à droite.

  • N'approche pas.

Si, je dois avancer. Si je n'avance pas, tu sauteras. Mais...si j'avance malgré ton avertissement, te laisseras-tu tomber ? Quel poids ont mes paroles sur toi, sur tes agissements ?

Le vent souffle, me fait frissonner. Est-il assez violent pour te pousser dans le vide ?

  • Deux mois que ça dure, ce putain de manège, et tout le monde s'en tape. Quoi que, je ne suis pas sûr que ça n'ait pas commencé plus tôt ? T'en penses quoi ? Tsss, tu t'en fiches, comme tout le monde. Allez ! Dégage, te rends pas coupable de non-assistance à personne en danger.

Tu marches, de long en large sur le maigre rebord de béton, menaçant à chaque pas de tomber, de laisser le sol se dérober sous tes pieds. Et moi, qui reste immobile.

Mes poumons me brûlent, je n'arrive presque plus à respirer.

Je suis désolé, je pense en mordant ma lèvre. Je n'ai pas vu que tu souffrais à ce point.

  • Je ne sais pas si je te détestes vraiment, Lou. Tu ne m'as jamais vraiment fait de mal. En fait, tu es peut-être l'un des seuls de ce collège de merde à ne jamais avoir brandi poings ou insultes face à moi. Merci pour ça.

Mon cœur se gonfle un peu plus, en attendant la suite de tes paroles, car ta voix est restée en suspend, comme perdue dans le vent qui ravage nos deux corps.

  • Non, toi tu es pire. Tu vois, tu entends, et tu fermes ta gueule. C'est marrant hein, le Lou parfait, le délégué idéal, l'ami en or, que Mia affiche comme l'ange à côté du démon, le rôle que moi je remplis. Au final, tu es autant coupable que les autres, voire plus. Car sache que j'ai toujours gardé espoir qu'un jour, tu agirais. Mais tu n'as rien fait, non. Pas de vagues, pas de vagues.
  • Arrête, Léo, arrête je t'en pris.

Ça y est. Ma voix est enfin revenue, claire malgré ma gorge nouée, malgré les sanglots menaçant de déborder à chaque nouvelle parole prononcée.

  • Oh, mais il parle ! tu t'exclames avec un sourire tordu.
  • J'ai toujours cru que tu t'en fichais. Je ne pouvais pas savoir que tu étais malheureux à ce point, tu ne me parles jamais !
  • Oh, parce que maintenant c'est moi le fautif ?

Ton sourire se craquelle, tandis que tu t'assois sur le rebord en ciment, face à moi, tes cheveux volant au rythme du vent qui ne cesse de hurler tout autour de nous. Les lueurs orangées du soleil donnent à ton corps un reflet incendiaire, comme si tes bras, tes jambes, étaient en feu. Sauf que non, seuls tes yeux le sont. Perdus dans les flammes.

  • Soyons honnêtes, la seule chose qui nous relie, c'est Mia. Sauf que là, elle est où Mia ? Pas là, non ! En Afrique, partie, pouf ! Pour six mois ! Plus de Mia !
  • Tu es mon ami, arrête de...
  • … me mentir, tu complètes avec un trémolo dans la voix. Moi ton ami ? Laisse-moi rire ! Je suis pas assez bien pour toi, et tu le sais. Comment toi, pourrais-tu être ami avec un gars comme moi ? Le fils de Gloria Kampa, ami avec un débris tel que moi ? Tu vois pas où est le problème ?
  • Mais il n'y a pas de problème, crois-moi, c'est tout. Je tiens à toi merde !
  • Tu dirais la même chose si j'étais ailleurs que sur ce rebord de ciment, à un mouvement de me laisser tomber dans le vide ?

J'ouvre la bouche, mais à nouveau, rien n'en sort. Tu as réussi à couper court à toutes mes protestations, à toutes mes supplications, et désormais tu me regardes à nouveau avec ce regard brisé, avec ce visage défait, mais serein.

  • J'aurais du m'écouter, en primaire. Ne pas t'accepter, ne pas te laisser entrer dans ma vie pour mieux la détruire de l'intérieur. Un trio, ouais. Un duo, et moi. Normal, que Mia te préfère. Tu as une famille stable, des bonnes notes, tu ne te bats pas. Tu es poli, propre sur toi, n'a jamais un mot plus haut que l'autre. Tout mon contraire en fait. Le Ying et le Yang, quelle belle ironie.

Ton discours est décousu, j'arrive à te suivre, mais ne te comprends pas. Pourquoi dis-tu ça ? Mia t'aime bon sang, elle t'adore. Alors pourquoi me faire porter le chapeau d'un vol aussi cruel qu'est celui de voler un cœur ? Lorsque je suis avec Mia, elle me parle de toi. Elle me vente tes mérites, des étoiles pleins les yeux. Pas sûr qu'elle parle de moi de cette façon, lorsque je ne suis pas là.

  • Tu as toujours tout fait pour ne pas t'éloigner de nous. La danse, la MMA. Ta candidature à Liberty, alors que c'était MON rêve à moi ça, tu entends ? Arrête de toujours vouloir me surpasser, qu'est ce que tu veux à la fin ?

Tu te relèves, et grimpe à nouveau sur ce rebord, tandis que je m'avance de quelques pas, à nouveau.

  • Ah... si.

Tu tends les bras en l'air, vers le ciel mauve, en adoptant à nouveau ce sourire à la fois tordu et déréglé, triste et brisé, avant de faire un tour sur toi-même, sur une seule jambe, sur le rebord du toit.

  • Tu vas tomber, arrête.
  • Comme si ce n'étais pas ce que tu voulais.
  • … quoi ?
  • Quoi ? Tu ne vas pas me dire que me laisser comme ça, m'isoler et me faire emmerder depuis deux mois, ne découlait pas d'un but précis ? Celui de me voir faiblir, jusqu'à... jusqu'à ce que la corde se rompe. Qu'elle cède, et que je disparaisse. Sauf que tu as oublié, dans ton équation, d'ajouter le facteur ''parents''. Car en ajoutant ceci, on passe d'une vie gâchée seulement au collège, à une vie gâchée, tout court. Tout est en miette, tu piges ça ?
  • On peut arranger ça, mais pour ça il faut que tu descendes de là !

Tu exploses d'un rire douloureux, en te retournant vers moi, t'accroupissant sur le rebord en ciment.

Je ne mens pas. Je n'ai pas vu tout ça. Je pensais que tu te plaisais à te battre, et que les insultes qui te heurtaient, ne te faisaient pas mal. Tu rigoles, lorsque l'on se moque de toi, tu semble t'en moquer toi-même. Comment aurais-je dû le voir ? Comment ?!

Je suis ton ami, merde. Je t'aime, sombre connard, alors descend de ce foutu rebord.

On recommencera tout, on ira voir tes putains de parents, on cassera la gueule à ceux qui t'emmerdent. Tu verras que je t'aime vraiment, que tu comptes à mes yeux bien plus que tu ne le crois. Ne te laisse pas tomber. Je savais pas que tu souffrais, je te le promets.

Les premières larmes débordent de mes yeux, coulent le long de mes joues, et s'échouent au sol sous tes yeux froids. Froids, mais brillants. Tu sembles prêt à pleurer toi aussi, mais te retiens, sûrement par fierté. Ne pas pleurer face au responsable présumé de son malheur.

  • Tu diras à Mia, lorsqu'elle daignera revenir, qu'elle a vraiment mal choisit son moment.
  • Elle va revenir, et je n'aurais rien à lui dire, tu lui diras toi-même !
  • Arrête de chialer, je comprends que dalle à ce que tu geins !

Je pousse un râle de colère, et fais un pas en avant, tandis que pour me narguer, tu effectues une roue plus ou moins maîtrisée sur ce fichu rebord de ciment.

Arrête, arrête, arrête...

Arrête !

  • Léo je t'en supplie, descend de là !
  • Et pourquoi ? Pour retourner chez moi ? Dans le silence et l'indifférence des mes connards de parents ? Ou bien, pour qu'on aille se promener ensemble, que tu m'expliques à quel point une amitié entre nous n'était pas possible ?
  • Arrête maintenant, ça suffit.

Nouveau pas en avant. Si je tends assez le bras, je pourrais saisir ta chaussure. Sauf que j'ai peur, je suis terrifié, qu'au moindre de mes mouvements, tu commettes le pire.

  • Comment, oui comment as-tu pu imaginer une seule seconde, que ça ne me touchait pas ?
  • Tu as toujours été fort, alors j'ai cru que...
  • Cru que quoi ? Que ''petite merde'', ''sale clodo'', ''pauvre type'', ''bon à rien'', ''déchet'', répétés en boucle, tous les jours, ça me faisait plaisir ? Que ça ne me faisait rien ? Tu vas pas me dire que tu es aveugle à ce point, Lou. Tu voulais juste pas voir, voilà tout. Vaut mieux être du côté des dominants que du dominé, non ? T'en penses quoi ?
  • Je suis désolé, désolé Léo ! Pardon !
  • Elles ont bon dos les excuses une fois que le mal est fait.

Tu souris à nouveau, fermes le yeux, et lorsque tu les rouvres, deux longues larmes s'écoulent le long de tes joues.

  • Le même refrain au collège, le même refrain à la maison. Ma vie ne vaut rien, je ne serais pas pris à Liberty, notes trop mauvaises, pas assez bon. Tu veux aller en MMA ? Regarde ta gueule, tu es couvert de bleus, laisse-moi rire ! Tu ne vaux rien, tu ne sais pas te battre. Tu ne sais rien faire. Dégage. Dégage. Dégage.
  • Tu n'es pas un bon à rien !
  • Laisses un message, je suis plus disponible.
  • Arrête de faire l'enfant et écoute moi !
  • Jamais tu n'as eu un mot en me voyant la gueule en sang, les yeux cerclés de bleus, le nez en vrac. À quoi bon, vu que j'étais si fort que ça ? Tout le monde sait qu'un gamin de quinze ans a pas besoin de se faire consoler lorsqu'il se fait défoncer par dix types à la sortie du collège ! Pourquoi ? J'en sais rien, un regard de travers peut-être ? Ou alors ma simple existence, qui les gène. Un peu comme pour toi en fin de compte.

Je me déteste, du plus profond de moi-même. De ne rien avoir vu, de ne rien avoir fait. De ne pas avoir senti que tu allais si mal, que chaque jour la plaie s'élargissait et de ne pas avoir tenté de la soigner.

J'étais persuadé que tu me détestais, depuis toutes ces années, alors qu'en réalité...

… je ne comprends plus rien.

  • C'est contradictoire, hein ? Je te hais, et t'aime en même temps, Lou Kampa. Ouais, moi je t'aime, sauf que tu ne l'a jamais vu, et que maintenant, c'est trop tard. Allez, passe le bonjour au reste du monde, on se revoit en Enfer, connard.

Et tu te laisses tomber en arrière. Bras écartés en croix, en larmes, mais tout sourire.

Mon cœur loupe un battement, je pousse un hurlement qui me broie les cordes vocales, et me rue en avant presque à la seconde où je vois ton corps partir en arrière.

Tu veux que je te rattrape, j'en suis certain. Tu ne veux pas mourir. Tout ça, ce n'est qu'un appel à l'aide. Tu veux être sauvé. Tu ne veux pas mourir, tu ne veux pas mourir, tu ne veux pas....

Ma main se referme sur le tissu de ton pantalon, et un soulagement bien vite balayé par la peur m'envahit. Car tu es lourd, bien plus lourd que moi. Et tu es là, dans le vide, retenu par ma seule maigre prise autour du tissu tellement fragile de ton bas.

Alors, je referme mon autre main sur ton tee-shirt, et tire, tire encore et encore, priant pour te remonter, pour ne pas glisser et chuter avec toi.

  • Lâche-moi !

Tu rues, malgré ta position délicate, entre le vide et le toit, et l'espace d'un instant, j'ai peur de lâcher, j'ai peur de te laisser tomber, et de m'en vouloir toute ma foutue vie.

Donc je te tire, t'agrippe à deux mains fermes. Presque deux minutes à me débattre pour te remonter alors que tu hurles, que tu pestes, en t'agitant comme un beau diable, le visage inondé de larmes et de sueur.

Le soleil s'est couché.

Dans un dernier effort, j'arrive à te distancer du vide, et te pousse en avant, du côté du toit, pour te faire trébucher, tomber, et ainsi pouvoir te bloquer de mon corps sur le tien.

  • Barre-toi connard ! Va t-en, va t-en ! Même pour ça tu peux pas me laisser faire hein ?!

Ta voix est un mélange de larmes et de fureur, bien que je sache, moi, que tu ne voulais pas sauter. Que tu priais pour que je te rattrape, que je te montre que moi aussi, au final, je tiens à toi.

  • … lâche-moi...

Ta voix n'est plus qu'un murmure sangloté, couvert par tes hoquets de plus en plus forts, de plus en plus amplifiés par une tristesse ancienne et dévorante, refaisant enfin surface. De tes mains, tu saisis mon tee-shirt, le serre avec force, et me rapproche de toi pour enfouir ton visage contre mon cou.

Je ne t'ai jamais vu comme ça.

Presque dix ans que nous nous connaissons, et nous ne nous sommes jamais parlé. Jamais réalisé à quel point tu avais besoin de moi, et vice versa.

Tu tiens à moi, sinon, pourquoi aurais-tu envoyé ce message ?

Je tiens à toi, sinon pourquoi serais-je monté ? Pourquoi serais-je en train de pleurer avec toi, tous deux allongés sur ce toit froid du collège, si tu n'étais pas mon ami, hein ?

Lorsque ton visage quitte enfin l'étreinte de mon cou, après ce qui me semble être une éternité, tu pousses un cri rauque, douloureux, et mon cœur se brise une nouvelle fois.

Il va falloir le temps Léo, mais je jure de te reconstruire, petit bout par petit bout, jusqu'à ce que tu sois réparé. Qu'importe le temps que ça prendra. De mes mains, tu vivras, et tu n'auras plus jamais besoin de te prouver mon affection en te jetant du toit. Plus jamais ça.

Plus jamais. »

Un flash lumineux me déchire les yeux, me scie le crâne en deux et pourtant... pourtant je sais, que ce flash, est à l'intérieur de ma tête. Que cette douleur, est simplement celle rappelée par cette image s'interposant avec celle de mes souvenirs.

Mes souvenirs...

Dans ma tête, se rejouent la rentrée en primaire, le premier cours de danse, les après-midi au zoo avec Mia et Léo, les matchs de football à la récré, les soirées pyjamas, les rires, les sourires, mon amitié fusionnelle avec Mia, mon admiration sans limite pour Léo, la rentrée au collège, les difficultés, le départ de Mia en Afrique, la tentative de suicide de Léo, l'hôpital psychiatrique où je me suis rendu chaque semaine dirant deux mois, notre serment de ne jamais rien dire à Mia. Tout déferle en moi tel une vague aussi douloureuse que libératrice. La douleur lancinante me donne l'impression que mon cerveau vient d'exploser, que le sang n'y afflue plus, que je vais mourir ici, sur ce toit.

Alors toujours plongé dans la déferlante d'images et de sons dans ma tête, je me sens tomber à genoux, les mains crispés dans mes cheveux, les dents serrées.

Je dois me relever, je dois agir car Léo est...

  • Léo !

Ma voix n'est qu'un craquement douloureux, un appel désespéré.

Ne saute pas.

Notre arrivée à Liberty, l'année de seconde, le spectacle de fin d'année où j'avais du remplacer Mia, la première et tous nos rires à l'internat. La terminale, l'approche du bac, la danse, la MMA, les terreurs nocturnes, Elio, l'alarme incendie, l'attentat, ma cuisse perforée par une balle. L'hôpital, le centre de formation... papa.

  • Léo !!

Je sens la colère me nouer la gorge, la tristesse m'étreindre de ses bras robustes, la rancœur me donner envie de vomir.

Ne saute pas..., ne saute pas..., NE SAUTE PAS !

Puis, d'un seul coup, d'autres bras m'étreignent, une nouvelle chaleur m'envahit, m'enveloppe, et je redresse brusquement la tête, tiré hors de mes pensées par l'odeur de Léo, tout proche de moi.

  • Dis-moi que tout est revenu, murmure t-il contre ma tempe.

Mon souffle se coupe brusquement, comprenant enfin la portée des gestes de mon ami, et je sens l'entièreté de mes muscles se contracter en une pulsion aussi violente qu'inattendue. Tremblant, je tourne la tête vers lui, totalement partagé entre la colère brute et la peur viscérale.

  • Espèce... de... connard !

Je hurle en plantant mon regard dans le sien, sentant mes larmes déborder, mon souffle devenir erratique, mais aussi et surtout, mon corps partant en avant.

Mon cri se perd contre les lèvres de Léo venus rejoindre les miennes pour mettre un terme à ma surcharge de rage et un instant, je reste pétrifié sur place, figé, les yeux grands ouverts face à ce geste auquel je ne m'attendais pas.

Statufié, raide comme un poteau, j'attends patiemment qu'il s'éloigne, que je puisse à nouveau capter son regard, pour l'interroger avec un mutisme non-voulu.

  • J'espère que dans les souvenirs qui te sont revenus, se trouvait celui te rappelant qu'avant de les perdre, tu étais amoureux de moi.

Ma gorge est tellement sèche que je n'arrive plus à articuler le moindre mot.

Il savait que mon plus grand traumatisme, est celui d'avoir frôlé sa perte, en troisième. Il en a recréé les circonstances, pour réveiller quelque chose en moi, pour me donner un électrochoc.

Reborn avait au moins raison sur une chose : nos plus grandes peurs peuvent être nos plus grandes alliées une fois combattues.

Tout est encore un peu flou, mais je me souviens. Je me souviens de mon amitié exceptionnelle avec Mia, et de mon amour démesuré pour lui.

Mes lèvres se renouent aux siennes, tandis que ses mains empaument mon visage en coupe, pour approfondir l'échange, le rendre encore plus électrifiant que le retour de mes souvenirs.

Lorsque je commence à manquer d'air, et que son rire s'élève tout contre mes lèvres, je me recule, et darde mon regard dans le sien.

Il rit à gorge déployée, les yeux clos, et une légère teinte rosée venu s'épanouir sur ses pommettes.

  • T'es trop con, je murmure en venant me nicher contre lui, mes mains crispées sur son haut.
  • P'têtre, mais un con qui t'a rendu ta mémoire mon pote.
  • J'aurais une crise cardiaque un jour par ta faute.
  • Ouais bah pas aujourd'hui. J'ai pas manqué tomber du toit pour que tu clamses aussi bêtement. Hein mon loup ?

Je redresse la tête pour capter son regard obsidienne et m'y perds.

Je suis vraiment amoureux.

Redescendus du toit, Léo et moi partons rejoindre les autres sans plus attendre, le temps accordé par nos supérieurs déjà largement écoulé. Il marche devant moi, tenant ma main au creux de la sienne, comme effrayé que je lui échappe à nouveau. Ses phalanges devenues blanches à force de serrer mes doigts entre les siens, et je ricane avec pour seul effet d'attirer un haussement de sourcil désapprobateur.

  • Pourquoi tu ris pauvre loup ?
  • À cause de toi. Tu es marrant.
  • J'aimerais bien savoir en quoi.
  • À jouer la maman poule comme ça.
  • T'as pas une gueule de poussin, alors arrête de te faire des films.

Je ris de plus belle, et le sens me tirer plus franchement à sa suite, sans me laisser le temps de m'accorder à ses pas.

Lorsque nous passons les portes du bâtiment principal du centre, celui où nous logeons et nous entraînons, je sens immédiatement le regard des autres Reborn se poser sur nous.

Pour la majorité en train de se battre pour s'exercer dans les différentes zones d'affrontements, je remarque néanmoins que Mia et Jelena sont au repos, et que notre entrée semble presque... les soulager.

Mon amie d'enfance se redresse, fait quelques pas dans ma direction, et attrape ma main encore libre pour la serrer au creux de la sienne.

  • Bon retour parmi les vivants, Lou.
  • Comment tu...
  • Tes yeux. C'est super subtil, mais quand on sait différencier la lueur qui y danse, on peut en déduire beaucoup de choses. Comme on dit, « les yeux sont le reflet de l'âme ».

Jelena vient également de nous rejoindre, pour passer un bras autour de la taille de Mia, qui affiche un sourire démesurément grand. Elle me regarde comme si je représentais à moi tout seul les sept merveilles du monde, et finis par se pencher en avant pour tendrement me prendre contre elle, nichant son nez dans mon cou avec un soupir de soulagement.

Ses mèches de cheveux me chatouillent les narines, et j'éternue sans vraiment pouvoir me contrôler, avant qu'elle ne recule, un sourire au coin des lèvres.

Des yeux, je remarque qu'elle semble noter nos mains entremêlées à Léo et moi, avant de s'en retourner, avec un léger signe de main.

  • Je l'avais toujours dis, souligne t-elle en s'éloignant, Jelena sur les talons.

Léo secoue la tête, et me lâche enfin pour s'approcher d'une zone de combat où Jeremy et Tim se font face, pour siffler avec admiration.

  • De vrais bêtes, vous êtes prêts pour les Jeux.
  • Rigole pas avec ça, Léo, rétorque Jeremy en lui coulant un regard sévère.
  • Mec, j'y ai participé durant deux ans, alors mieux vaut en rire qu'en pleurer.

Jeremy hoche la tête, semblant pertinemment savoir que ce que dit Léo est totalement juste : ici, nous avons tous vécu des traumatismes, plus ou moins graves. Alors, ainsi tous immergés dans les mauvais souvenirs et la rancœur, il nous est encore préférable de tourner notre situation en auto-dérision sinon, comment survivre ?

Me laissant reposer sur l'une des trois cordes faisant office de barrière autour de la zone de combat, j'observe d'un œil habitué les coups partir, voler, heurter, sans même sourciller un instant. Jeremy se bat vraiment bien, malgré une petite faiblesse du côté de sa vitesse, sûrement due à sa grande stature. Du côté de Tim, ses attaques et esquives sont furtives, rapides, mais ses coups manquent de puissance. D'un côté comme de l'autre, un handicap rend le combat difficile, et il leur faudra passer outre si les dirigeants de Reborn nous envoient sur le champs de bataille.

  • T'es trop lent Jerem, lance Léo avec détachement.
  • J'aimerais bien t'y voir petit con, je fais pas loin de cent-vingt kilos.
  • Merci pour le compliment et... rien à foutre.

Je roule des yeux, dépité : comment ai-je pu oublier tout ça ?

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