45 (partie 2 )
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Léo
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Je fends la foule en jouant des coudes et d'injures salées afin de me frayer un chemin jusqu'au couchage ou repose Lou, étendu sur le dos, et un large masque en plastique qui lui englobe nez et bouche lui envoyant de l'oxygène dans un « bip » régulier. Ses yeux sont clos, et de là où je me trouve, il semble simplement dormir. Sauf que lorsque je me retrouve à quelques centimètres de lui, je remarque les traits crispés de son visage, le rythme trop lent de ses mouvements thoraciques, l'absence de réaction lorsque je pose ma main sur son front brûlant.
- Qu'est-ce qu'il a ? je murmure en retraçant sa joue du doigt.
Les pas précipités de Mia dans mon dos rajoutent une couche à mon état d'anxiété déjà conséquent, et avant que je n'ai pu esquisser le moindre geste, je sens ses bras m'entourer la taille.
- Léo, susurre t-elle, le visage contre mon dos. Il est sous morphine pour le moment. Lors de l'intervention de Juan et nos parents, il a reçu une grande quantité de gaz toxique dans le visage. Les médecins de Redhead sont en train d'en analyser la composition pour pouvoir donner à Lou le meilleur traitement possible.
- Il est dans le coma ?
- Non, juste endormi par les anti-douleurs et l'anesthésie locale au niveau de...
- De ses yeux, achève Gloria en s'approchant de nous d'un pas lourd.
Elle aussi ne semble pas en très grande forme, néanmoins, j'arrive tout de même à noter le petit sourire qui se dessine au coin de ses lèvres à ma vue, avant qu'elle ne m'étreigne avec affection.
Je fais sa taille désormais, voir un petit peu plus et pourtant, j'arrive tout de même à me sentir fragile et enfantin ainsi niché au creux de ses bras.
- Mi amor, la vie de Lou n'est pas menacée. Mais, il faut que tu saches que le gaz... a brûlé le nerfs optique de son œil gauche, et largement touché l’œil droit.
- … Il est aveugle ?
- Non, pas tout à fait. Il lui reste un peu de vision.
Je sens une boule se former au creux de ma gorge, tandis que je quitte l'étreinte de Gloria pour m'agenouiller au pied du lit de Lou, pour lui prendre la main, serrant ses doigts entre les miens comme pour me sortir de ce cauchemars. Les extrémités de ses doigts sont froides, et je ne ressens aucun mouvement en retour de la pression que j'exerce désormais sur sa peau.
- On aurait été là, ce ne serait pas arrivé, je gronde en essuyant mes yeux d'un revers du bras.
- Vous auriez été là, ça aurait peut-être été pire.
La voix de ma meilleure amie proche de mon oreille me donne un frisson, et quand je me retourne pour lui répondre, elle fond sur moi, ses mains attirant mon visage au creux de son cou. Elle ne me lâche pas malgré mes quelques maires protestations, et finit même par desserrer son étreinte autour de ma nuque pour me caresser le dos, longuement, tandis que je craque.
Je n'ai pas pleuré lors de notre formation. Ni durant les Jeux. Encore moins lors de mon séjour en cage chez Nodem.
Mais maintenant, alors que je rentre d'une manifestation mêlant violence et incompréhension, et que je retrouve Lou dans cet état, sous oxygène et presque aveugle, je ne peux plus. C'est... trop compliqué.
Je n'ai jamais eu l'habitude de pleurer pour moi, mise à part lors de mon épisode de dépression en troisième. Non, je préférais pleurer pour des choses et des personnes utiles, importantes. J'ai versé des larmes lorsque je me suis réveillé à l'hôpital psychiatrique de Sera et que j'ai croisé les yeux infiniment coupables de Javier et Lou. J'ai sangloté lorsque Mia s'est battu en dehors du lycée pour de mauvaise paroles à mon égard, et en est finalement revenu avec une cheville brisée et l'incapacité de participer au spectacle de fin d'année.
Et aujourd'hui je pleurs à nouveau car de savoir mon petit ami dans cet état me révulse, me serre le cœur et l'estomac, me fait à nouveau me sentir inutile et impuissant. Aussi insignifiant qu'à l'époque, où ma vie ne rimait à rien. Et aujourd'hui, oui aujourd'hui, voilà qu'elle rime avec douleur et déchirure, quelle vaste plaisanterie.
Je m'agrippe au tee-shirt de Mia, sentant mes sanglots grossir, devenir plus bruyant, plus incontrôlables, avant que ma main passé au creux de celle de Lou, ne sente une légère pression.
Un tout petit mouvement, un léger message, qui ne fait qu'augmenter ma rancœur : il est conscient, et peut m'entendre faiblir, alors que je me dois en cet instant de rester fort pour lui.
- Tout va bien se passer mon chat, murmure Mia à mon oreille. On est là, il est vivant. Calme- toi.
Ses mots me heurtent avec une violence brutale et assommante : certes, il est en vie, et nous sommes libres, mais pour combien de temps encore ?
…
Je papillonne des yeux, fébrile, tout en jetant un énième coup d’œil à la pendule perdue au fond de la salle : bientôt sept heures du matin. Le fauteuil sur lequel je suis précairement assis grince sous mes mouvements, et je soupire.
Mia et Elio, ainsi que tous les autres, sont partis se coucher il y a deux heures déjà. Moi, j'ai préféré resté ici avec Gloria, préférant veillé Lou plutôt que d'aller me plonger dans un faux sommeil forcé.
L'une de mes mains agrippe celle de Lou, l'autre celle de Gloria. Les deux possèdent la même peau douce, la même tendresse dans les formes et le touché.
Mes yeux vagabondent ci et là de la salle, s'attardant ponctuellement sur quelques machines médicales encore branchées.
La lumière bleutée que renvoient les différents écrans de l'endroit me donne envie de vomir, et je dois dire que ma propre fatigue commence doucement à reprendre du terrain.
J'ai pu échanger quelques mots avec le gérant de l'endroit, de cet endroit, et ai pu être témoin de sa longue descente vers les tréfonds de son métier : d'abord hôtel, puis hôtel de passe, pour finir sa course en tant qu'hôpital de fortune pour membres de gangs blessés désirant passer la frontière. Il a également ajouté que nous voir ici entre ses murs l'enchantait autant que ça ne l'effrayait. D'après lui, si les forces de l'ordre apprennent qu'il nous a hébergé, il sera poursuivi ou tuer pour l'exemple.
Quelle ironie : il sera resté en dehors de toutes poursuite pour servir de passeur à de dangereux criminels, mais pour ce qui est de porter secours à des Reborn en fuite, il encoure la peine maximale. Oui à la délinquance, non à la liberté.
Un long frisson me parcourt de l'échine à la chute des reins, avant que je ne sente un léger mouvement du côté du couchage où Lou est toujours allongé. Rapidement, je redresse la tête, et suis presque statufié de croiser ses yeux grands ouverts, perdus dans ma direction.
Ses yeux...
Nouveau frisson, horrifié cette fois-ci : ses iris sont toujours de cette couleur azur que j'aime tant,
cependant ce qui me donne la nausée, une terrible envie de pleurer à nouveau, est son œil gauche, désormais dépourvu de pupille.
- Putain de merde...
Mon léger murmure attire l'attention de Gloria, qui sort de son semi-sommeil pour nous considérer son fils et moi, d'un air fatigué. Puis, revenant doucement à elle, ses yeux s'écarquillent, tandis que ses mains se plaquent soudainement sur sa tête.
- Lou, mon Lou ! Mi amor, tu es réveillé ? Comment te sens-tu ?
Il ne répond pas immédiatement, laissant son œil encore valide jauger la situation avec incertitude, avant que son visage ne se crispe, sa main convulsant au creux de la mienne.
- Où est-ce qu'on est ?
- Hors de danger, répond Gloria en lui caressant le visage. Lou, tu...
- Maman, je comprends pas ce qui se passe. Je...
D'un geste brusque, il arrache le masque à oxygène toujours fixé à son visage, avant de se couvrir l’œil droit de la main, puis le gauche, puis à nouveau le droit, convulsivement.
- Allumez la lumière, s'affole t-il en continuant de tester sa vision, de plus en plus hébété.
- Lou, écoute-moi...
- La lumière maman s'il te plaît.
- Lou, je tente avec hésitation.
- LA LUMIERE PUTAIN !
Gloria s'exécute, se hâtant d'aller rejoindre l'interrupteur pour le claquer avec rapidité, avant de revenir vers nous d'un pas vif. La salle est inondée d'une lumière crue, dans un grésillement plaintif des différents néons suspendus au plafond. Cette luminosité verdâtre donne à mon petit ami des airs monstrueux qui ne font pas du tout bon ménage avec son œil blessé.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? susurre t-il en laissant ses mains retombés mollement sur le drap qui lui recouvre les cuisses. J’ai mal…
Sa mère, revenue auprès de nous, pose délicatement sa main sur la joue de Lou, avant de baisser la tête, pour répondre d'une voix affaiblie par l'émotion :
- Tu as été... touché, par une sorte de gaz dont nous ignorons encore la composition. J'ai appelé un vieil ami de ton père qui était spécialisé dans les différents types de neurotoxine, et tout ce qui s'en rapproche, mais je ne peux pas te promettre que nous trouverons le remède pour... pour ça.
Elle désigne sa blessure à l’œil du menton, avant de se mordre la lèvre, désolée.
- C'est un gaz qui m'a fait ça ? Et la régénération alors ? J'ai pas subit toutes leurs expériences ‘'d'amélioration'' pour même pas être capable de guérir après 'être pris une lacrymo dans la gueule ! Et me regarde pas comme ça, j’ai l’impression d’être une atrocité.
Gloria ouvre la bouche, la referme, et détourne le regard.
- Lou, écoute. On est tous les deux d'accord que Reborn est à l'origine une branche scientifique ayant conçu le Reboot, ramenant à la vie, améliorant les capacités et blablabla. Alors, j'ai peut-être une théorie.
Il me dévisage avec attente les sourcils froncées, les dents serrées.
- Oui ? me presse t-il.
- Si ils ont pu créer un tel produit, peut-être en ont-ils aussi un, avec les effets inverses.
- Pardon ?
- Le Reboot permet au corps de se régénérer et de guérir plus vite. Peut-être qu'un autre produit, permet justement de ralentir tout ça. D'empêcher ton corps de se rétablir. Ce qui expliquerait pourquoi ce gaz, quel qu'il soit, ait réussi à te faire perdre une bonne partie de la vue.
Un tas d'expressions différentes défilent sur son visage : de l'anxiété à la colère en passant par le doute, il finit par se redresser pour mieux me faire face, son œil valide me scrutant avec toute l'intention dont il semble capable au vu de sa fatigue.
- Une sorte de dernière carte à abattre si leurs précieux Reborn se retournaient contre eux ?
- Oui. On a appris au centre que nous ne pouvions être tué que par une balle en pleine tête, ou bien en nous vidant de notre sang car le Reboot justement, coule dans nos veines. C'est logique en soit : plus de sang, plus de Reboot, plus de régénération. Alors qu'avec un produit aux effets inverses, une simple blessure mortelle pour un humain, le deviendra également pour nous : si elle annule les effets de Reboot, une balle dans le ventre pourra nous tuer. Tu comprends ?
- Et il fallait que ça tombe sur moi.
Je me penche en avant, passe mes mains dans ses cheveux, et colle mon front au sien.
- Demain, on sera fixés. Pour l’instant, il faut que tu dormes, tu es brûlant de fièvre.
- J’ai pas envie d’attendre demain, et je...
Son visage se crispe sous une vague de douleur inattendue, et deux grosses larmes débordent de ses yeux désormais clos.
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