28
Dans le train seulement, Lucas commença à réfléchir à ce qu’il allait dire à ses parents et à Marie. En retournant chez lui, il pensait à sa vie d’avant, si lointaine, à ses amis. Que faire avec eux ? Son affection pour Guillaume était profonde : ils se connaissaient depuis toujours. Il savait que tout lui dire ne changerait pas leur amitié. Mais pourquoi lui dire ? Au milieu de ses pensées, un visage revenait, avec déjà une impression de manque.
Il fut surpris de voir son père l’attendre.
— Salut, papa. J’aurais pu prendre le bus !
— Bonjour ! J’avais hâte de te revoir ! Un mois que tu es parti ! Le vide maintenant dans la maison…
— Et maman n’est pas venue ?
— Surprise ! Tout le monde est là ! Même Marie ! Pour fêter le retour de l’enfant prodigue !
— Super ! Ça me fait plaisir !
Ce n’est pas ça qu’il avait prévu. Il voulait leur dire, immédiatement, pour ne pas mentir. Il allait devoir rejouer son ancien rôle. Il ne le sentait plus. Il allait être mauvais. Il voulait être lui, simplement, devant eux.
— Tu as l’air perdu dans tes pensées et pas si heureux que ça de voir tout le monde…
— Si, si… Simplement… Il faut qu’on trouve un moment pour parler sérieusement.
— De quoi ?
— De moi, de ce que je fais…
— Bien sûr, mon chéri.
Lucas retrouve l’attention et l’affection de son père. Ils n’étaient pas proches, mais il avait toujours été présent, rassurant, protecteur et stimulateur. Sans lui, Lucas ne serait pas ce qu’il est. Il ressentait cet amour profond qui l’avait enveloppé, guidé. Les gestes d’amour étaient discrets, mais puissants.
— Je crois que j’ai de la chance d’avoir eu un père formidable !
— Eh Lucas, quelle déclaration ! Moi, j’ai eu la chance d’avoir un garçon merveilleux ! Pourquoi tu dis « avoir eu » ? Je ne suis pas mort !
— Ne parle pas de malheur ! J’ai de la chance d’avoir un père formidable et j’espère que ça va durer longtemps !
(Papa, si je te dis que je suis homosexuel, que j’aime un homme à la folie, que j’abandonne mes études pour devenir comédien, suis-je encore ton fils aimé ?)
Ils arrivaient. À peine la porte franchie que des petites furies l’assaillirent en criant son nom. Il avait établi, sans savoir comment, avec chacun de ces neveux et nièces, une relation de complicité et de tendresse. Ils comprenaient leurs réactions, savaient les consoler, les intéresser. Il était payé au centuple. Il savait qu’il serait un père parfait.
Marie le regardait. Son cœur éclata. Son affection était entière pour elle. Belle fille, bel esprit, humour et attention, partager avec elle était un grand plaisir. Il l’entoura affectueusement de ses bras, cherchant ses lèvres.
— C’est bientôt les fiançailles, lui lança Rebecca, sa sœur aînée.
— T’es lourde ! lui répondit-il en lui faisant la bise.
— Tu as un drôle de look ! Ça fait un peu pédé, ce pantalon.
— C’est la mode ! Je me suis fait un petit plaisir !
Il avait enfilé sa tenue maintenant habituelle, celle achetée avec la complicité de Corentin, sans penser à ce qu’elle signifiait.
— Moi, je trouve que ça lui va bien. Il est tellement beau, mon Lucas !
Il s’enfonça dans les bras de sa mère qui lui murmura :
— Tu as bien changé ! Je ne sais pas en quoi, mais tu as changé ! Et ça, c’est quoi ? dit-elle en jouant avec la petite boucle.
— Oh, rien ! Un amusement…
Il l’embrassa sur la joue avant de finir les embrassades et de revenir vers Marie, toujours agrippé par la ribambelle qui voulait jouer avec lui. Il les écarta gentiment.
— Tu es plus beau qu’avant ! Tu as une lueur nouvelle dans les yeux. Tu… tu rayonnes. Cela me fait plaisir de te voir ainsi. Finalement, j’aurais dû aller en fac, comme toi.
— Merci, Marie. Tu es belle aussi. Je suis tellement content de te revoir !
— Pourtant, au téléphone, tu m’as paru distant, à raccrocher vite…
— Désolé. Je te dois des explications. On va parler. On a le temps.
— Je t’aime, Lucas.
— Moi aussi, je t’aime Marie.
(Mais plus comme avant… J’ai besoin qu’on reste amis. Comment te dire ce que je ne comprends pas ?)
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