Prologue

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Les derniers élèves partent enfin. Des rires, des pleurs... Typique de ce qu'on pouvait attendre d'une cérémonie de remise des diplômes.

C'était étrange. Le collège m'a paru à la fois très long et très court. Qu'importe. Ce n'était pas comme si j'avais des souvenirs précieux de cette période. À vrai dire, je collectionnais plus les mauvais que les bons. Je n'étais pas martyrisé ou que sais-je encore. À vrai dire, j'étais plutôt transparent aux yeux de mes camarades de classe. Le type discret qui lisait tout le temps dans son coin et ne se mêlait aux autres seulement quand il n'avait pas le choix. Quelques rumeurs sans fondement avaient circulé à l'époque mais bon, les commérages et les ados, vous savez ce que c'est.

Bref. C'est ainsi que je me suis isolé de mes condisciples. Est-ce que je le regrette ? Oh que non. Bien au contraire. J'avais la paix en classe et en-dehors. Du moins, au début.

Il y avait ce type, Tanigawa Yûji, qui est venu me parler un beau jour de mai. Je m'en souviens car toute la classe nous regardait. Imaginez la scène : l'un des gars les plus populaire de la classe avait engagé la conversation avec celui qu'on considérait comme le vilain petit canard. Même moi, je trouvais ça bizarre.

-Yo, Nishiyama ! La forme ?

Je ne lui avais pas répondu. À la place, je lui ai lancé un regard du genre : « Pourquoi tu viens me parler comme si on était potes ! ». Cet idiot s'était contenté de rire. Il avait recommencé le lendemain, le jour d'après et le jour encore après... Ce manège a duré tout le fichu mois ! Et le niveau de la conversation ne volait pas haut : des banalités du genre « Comment tu vas aujourd'hui ? » ou « On va se faire un karaoké avec les autres après les cours. Tu veux venir ? ». Son insistance pour faire ami-ami avec moi était digne d'un poids lourd ! Si bien que je n'avais la paix qu'au club de littérature.

Ah oui, j'étais membre du club de littérature. N'allez pas vous faire des films. Ça sonnait classe mais la plupart du temps, tout ce qu'ils faisaient, c'était de débattre sans fin pour savoir si tel ou tel livre méritait qu'on le qualifie de chef d'œuvre. Mais bon, ils avaient des étagères bien fournies, alors je n'allais pas me plaindre. Ça me donnait le temps de lire ces livres qu'ils touchaient à peine. De toute façon, les anciens se fichait pas mal de recruter des nouveaux membres. C'était simplement une excuse pour qu'on ne ferme pas le club, garder la salle et son contenu. Et pour conserver leur arène pour leur joute verbale.

Ah, ça aurait pu être un paradis avec un peu moins de bruit...

Pour en revenir à Tanigawa, il continuait de discuter un peu avec moi régulièrement. Peu avant le début de l'été, il avait considéré qu'on était potes. Je ne savais pas d'où lui venait cette idée mais bon, si ça lui fait plaisir...

Du coup, il en a profité pour me traîner de force pour des sorties : salle d'arcade, fast food, bowling et j'en passe. Mais on était toujours rien que tous les deux à chaque fois et au bout d'un moment, j'ai commencé à me poser des questions. D'accord que je ne suis pas du genre social mais est-ce que c'est normal qu'un mec sorte si souvent avec un autre mec en tête-à-tête ? Alors que l'été allait s'achever, je lui ai posé LA question : est-ce qu'il était gay ?

-Pas que je sache, non.

Il m'avait répondu avec un air décomplexé. Ou ahuri, je ne saurais dire. Mais il n'avait pas l'air de mentir. Peut-être qu'il voulait vraiment juste passer de temps seul avec son nouveau pote, après tout.

Les jours filaient et rien d'autre de passionnant n'arriva.
Non, navré de vous décevoir. Pas d'attaque de monstres fantastiques, pas d'histoires de fantômes, pas de malédiction ou que sais-je encore. La banalité d'une vie de collégien japonais.

Au point où ma deuxième année de collège est arrivée sans crier gare.

J'ai fini par considérer Yûji comme un ami. Un ami un peu lourd mais un ami quand même. Le pauvre essayait de me faire passer pour un mec sympa auprès des autres, mais dès qu'ils me voyaient, ils se demandaient s'il ne s'était pas cogné la tête ou quelque chose dans le genre. Vous auriez dû le voir : on aurait dit un de ces commerciaux ventant les mérites d'un produit miracle à l'origine douteuse. Au final, j'ai quand même sympathisé avec quelques personnes cette année-là mais aucun ne fut aussi proche que Yûji et une autre personne...

La troisième année de collège... Cette troisième année...

-Yo ! Shûhei !

Je reconnus de suite la voix qui m'avait extirpé de mes pensées.
J'étais dans la cour, à fixer le bâtiment principal de l'établissement, et je le vis courir dans ma direction. Yûji, avec son trop plein d'énergie, sa trop grande taille par rapport à moi et son manque de discrétion, vint frapper mes épaules, tout en arborant un sourire dont la niaiserie m'irritait comme jamais.

-Allons, allons ! Souris ! C'est pas tous les jours qu'on quitte son collège !

-Lâche-moi...

-En tout cas, les choses vont être différentes maintenant ! À nous la vie de lycéens ! Un pas de plus vers la vie d'adulte tout en conservant notre jeunesse brûlante qui... Pourquoi tu t'en vas ? J'avais pas fini !

-Moi, si. De t'écouter. Allez, bouge.

Ce qu'il pouvait être fatiguant en plus d'être bruyant. Enfin, depuis le temps, j'arrivais à en faire abstraction, même si c'est dur.

Il m'a proposé de traîner un peu avant qu'on ne rentre chacun chez soi.

(Bah, pourquoi pas ?)

Je n'avais rien de mieux à faire aujourd'hui. On a alors marché sans but dans les rues. Comme ça. On s'est arrêté une fois pour acheter à boire à un distributeur. On a repris la route.

(Il compte me faire marcher combien de temps encore ?)

-Hé ! Tu veux qu'on en parle ?

(Qu'est-ce qui lui prend ?)

-De quoi ?

-Bah, tu sais. De...

(...Ah. De "ça"...)

-Arrête.

-Tu vas vraiment garder ça pour toi ? Écoute, je sais que tu n'es pas le genre à t'ouvrir aux autres mais ce truc... Ça va finir par te ronger.

-Chacun règle ce genre de chose différemment.

L'air joyeux de Yûji avait cédé la place à un air triste. Je sentais qu'il voulait insister mais ne le fit pas. Ce que je lui en suis reconnaissant et le lui démontra avec une petite tape dans le dos. Quand je le fis, son sourire revint au galop.

-Alors, tu vas le faire ? lui ai-je demandé.

-Faire quoi ?

-Ta déclaration à Sachi.

Rien que voir la réaction surprise sur sa tronche valait la peine que je lui demande. Je restais impassible mais dans mon for intérieur, j'étais plié en deux.

-C'est... C'est pas tes oignons !

-Tu devrais te décider. Au lycée, elle pourrait se trouver un mec et te filer entre les doigts.

-Ce n'est pas son genre de draguer !

-Je n'ai jamais dit le contraire. Les autres mecs, par contre...

Son visage devint aussi blanc qu'un cachet d'aspirine. Là encore, je riais intérieurement.

On a traîné encore un quart d'heure puis on est rentrés chacun de notre côté.

Je suis alors rentré chez moi. Dans une maison vide. Encore.
J'ai regardé mon portable et n'ai remarqué que maintenant que j'avais des messages non lus. Deux d'entres eux venaient de mes parents pour me dire qu'ils rentreraient tard. Encore. Ma mère avait indiqué la présence de mon dîner, enveloppé, dans le frigo.

(Elle n'a pas oublié, cette fois...)

J'ai mangé et suis allé me coucher tôt. Je n'avais envie de rien faire de plus, de toute façon. J'étais vidé, épuisé, lessivé.

On était encore en mars mais je pensais déjà à la rentrée, en avril. Est-ce que tout allait se dérouler comme au collège ? Serait-ce une sorte de cycle voué à se répéter ? Dans ce genre d'histoire, le protagoniste se secoue et se déclare à lui-même qu'il va changer, se faire des nouveaux amis et qui sait, trouver l'âme sœur. Ceux qui écrivent ce genre d'histoire doivent voir la vie en rose tous les jours et ceux qui les lisent doivent penser que ça va être excitant. Je ne comprenais pas. Je ne les comprenais pas. Je ne voyais pas ce qu'ils voyaient. Je ne voyais pas ces couleurs qui soi-disant illumineraient les vies de tous ces insouciants. Je ne me voyais pas, au lycée, faire partie de cette palette de gens.

J'étais là, sur mon lit, bloqué dans une réalité que je ne comprenais pas et que je n'avais pas vraiment envie de comprendre. Une réalité dont les couleurs se sont envolés pour des horizons meilleurs.

Un monde sans couleur.

Un monde gris.

Puis vint la brise printanière...

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