Chapitre 4
Je me suis réveillé comme d'habitude le lendemain. Il fallait se lever, s'habiller et tout avant l'arrivée de Yuna.
J'avais encore un peu de mal à m'y faire. Elle et moi, ensemble. Il fallait croire que tout pouvait arriver.
On toqua à ma porte et avant que je ne puisse répondre, celle-ci s'ouvrit et ma mère entra dans la pièce.
-Oh, tu es déjà réveillé !
-Et toi, tu te lèves plus tôt que d'habitude, non ?
-Oui. Ton père m'a réveillé en partant au travail. J'aurais aimé dormir encore un peu mais impossible de me rendormir. Enfin... Pour une fois, je peux te faire ton petit-déjeuner.
-Merci.
Ma mère travaillait pour une société dont elle ne parlait presque pas. Un poste important, qui plus est, et cela signifiait qu'elle restait souvent tard au bureau. Là où mon père se fichait bien de ce que je faisais du moment que je ramenais de bonnes notes et que je ne lui faisais pas honte, ma mère prenait le plus possible de mes nouvelles et était au petit soin pour moi, comme me faire à petit-déjeuner quand elle le pouvait. Car depuis que j'accompagnais Yuna à ses entraînements matinaux, je partais juste avant qu'elle ne se réveille.
Après mettre lavé et habillé, je suis descendu à la salle à manger prendre mon petit-déjeuner. Comme toujours, ma mère était très bonne pour cuisiner, contrairement à moi.
-Ton ami vient encore te chercher, ce matin ? Je suis contente, tu sais. Comme Yûji ne vient pas souvent te voir, que tu ais sympathisé avec un autre garçon me fait plaisir.
Ma mère ignorait que la personne qui venait me chercher si tôt le matin était en fait une fille. Qui plus est, ma petite amie depuis hier soir. Je ne parlais pas de ma vie privée avec mes parents. Surtout pas à ma mère. Avec mon ex, elle me demandait déjà pour quand était prévu ses petits-enfants...
Je regardais l'heure sur ma montre : Yuna n'allait pas tarder.
Alors que je commençai à débarrasser la table, on sonna à la porte. Ma mère se demandait qui cela pouvait être à cette heure-ci et s'y précipita.
Je me suis figé un instant en pensant à une possibilité qui prenait en compte les données d'hier soir. Non, elle n'aurait pas...
J'ai posé précipitamment mon bol et j'ai accouru jusqu'à l'entrée !
-NON ! NE...
Trop tard. Ma mère avait déjà tournée la poignée et ouvert la porte, pour tomber sur une fille radieuse qui nageait vraisemblablement dans le bonheur et portant l'uniforme pour fille de mon lycée.
-Heu... Je peux vous aider ? demanda ma mère, perplexe.
-Heu... Bonjour. Je suis Nanahara Yuna, fit cette dernière qui ne s'attendait pas à rencontrer ma mère. Heu... Shûhei est prêt ?
-Shû...
Ma mère s'est tournée d'un coup vers moi, avant que son regard n'alterne entre moi et Yuna tout en poussant de petits cris de surprises. De mon côté, j'avais plongé mon visage dans ma main.
(Dire que je voulais éviter ça...)
-Shûhei, commença ma mère. Cette fille, c'est...
-C'est celle qui vient me chercher le matin, expliquai-je. Et c'est ma petite amie depuis hier.
En entendant les mots « petite amie », j'ai cru que Yuna allait exploser de joie et réveiller le reste du quartier qui somnolait encore.
Mais ma mère la devança, pour le malheur de mes oreilles.
-KYAAAAH ! Mon petit Shûhei a une petite amie ! C'est merveilleux ! Il faut fêter ça dignement !
-Maman !
Yuna essayait de ne pas rire en voyant mon expression embarrassée.
-Ah ! Mais je ne me suis pas présentée ! Quelle malpolie ! Nishiyama Shôko, la maman de Shûhei ! Ravie de faire ta connaissance, ma petite Yuna !
-Tout le plaisir est pour moi, Madame ! Je suis contente d'enfin vous rencontrer !
Pas bon ! Elles commençaient déjà à sympathiser ! Je devais agir et vite ! Je suis vite retourné à la salle à manger pour attraper mon sac et suis revenu en quatrième vitesse !
(Vite ! Mes chaussures avant que Maman...)
-Oh, vous ne vous êtes mis ensemble que récemment ? Mon petit Shûhei ne tournait pas autant autour du pot, quand il était petit.
(NON ! Elle commence à sortir les dossiers ! Allez ! Fichus lacets !)
-Ah bon ? fit cette idiote de Yuna, curieuse. Racontez-moi !
-Eh bien, vois-tu...
-PAS LE TEMPS ! ai-je coupé avant la catastrophe, après avoir mis mes chaussures et attrapé la main de Yuna. On va être en retard pour son entraînement matinal ! Bonne journée, Maman !
Je l'entendis nous souhaiter une bonne journée et tout le bonheur du monde, comme si Yuna et moi étions déjà marié. Ah ! J'avais tellement envie de mourir à cet instant !
Nous avons couru comme ça jusqu'à monter dans le train nous emmenant au lycée. Tout le monde regardait les deux lycées qui haletaient après leur course folle. Yuna en riait :
-Tu voulais vraiment pas que ta mère me raconte tes souvenirs honteux !
-La ferme !
Elle sourit puis m'embrassa sur la bouche devant tout le monde, sans gêne.
-Bonjour, Shûhei !
J'ai rougi. D'embarras et de colère. Faire ça en plein jour et devant tant de monde... Je me suis énervé contre elle quand on est sorti. Ce ne fut guère efficace...
Au gymnase, juste avant que je ne monte m'installer dans les gradins comme à mon habitude, Yuna fut assaillie pour toute l'équipe féminine de basket et quelques-uns de l'équipe masculine.
-Nanahara ! C'est vrai, ce qu'on raconte ! Tu as prétendu avoir un petit ami pour envoyer bouler un sale type ?
-C'est vrai que tu as utilisé ce type ?
(Le type vous entends, bande de débiles !)
Sasaki m'avait abordé discrètement.
-Dis, c'est vrai, ce qu'elle a dit hier ? Que vous sortez ensemble ?
-Pourquoi c'est à moi que tu me demandes et pas à ta meilleure amie ?
-Je veux être sûr à cent pour cent. Alors ?
Je n'ai pas répondu et ai regardé Yuna rire de la situation. J'étais certain que Sasaki n'avait pas besoin de plus pour avoir sa réponse.
Yuna n'arrêtait pas de confirmer qu'elle et moi sortions vraiment ensemble, même si c'était dur à croire. Elle me faisait de grands signes de la main en rayonnant de bonheur et moi, je soupirais avant de les lui rendre.
-Tu ne respires pas la joie, pour quelqu'un d'amoureux..., me fit remarquer Sasaki.
-C'est allé trop vite pour moi, c'est tout. Laisse-moi un peu de temps pour assimiler la situation.
-Trop vite ?... Vous avez... !?
-Pas à ce point, idiote !
-Jusqu'à quel point !? Qu'as-tu fait à ma tendre et pure Yuna !
Bien, au moins, c'était clair : Sasaki était une idiote aussi, jusqu'à un certain point.
Tout en plaisantant à ce sujet, elle me donna de petites tapes sur le dos en guise de félicitations. C'était sympa. Je crois...
-Hé ! Le type transparent !
Mimura Ken venait de m'interpeller et s'avança dans ma direction, avec une mine encore plus énervée que la veille.
(Qu'est-ce qu'il me veut encore, ce crétin ?)
On se faisait maintenant face. De plus près encore, on voyait bien qu'il avait encore plus envie de m'éclater la face contre le sol. S'il pensait m'impressionner...
Pressentant une bagarre, les coéquipiers de Mimura, surtout ses aînés, tentèrent de le faire reculer avant qu'il ne fasse une bêtise.
-LÂCHEZ-MOI !
Il se dégagea avec rage et s'avança rapidement vers moi à nouveau. J'étais prêt à l'accueillir mais Yuna vint s'interposer entre nous. Tout le monde, même les aînés, restait silencieux. Mimura semblait surpris par le geste de Yuna. Il commença alors à crier :
-C'est pas vrai ! C'est pas possible ! Tu ne peux pas être amoureuse de lui !
-Et pourquoi je ne le pourrais pas ?
La voix de Yuna, si joyeuse et chaleureuse d'habitude, était, à cet instant, plus froide que de l'eau ayant gelé à l'approche du zéro absolu.
-Mais tu l'as regardé ! Plus banal, tu meurs ! Comment tu peux choisir un type comme lui alors que moi...
-Ken... Arrête. Nous deux, c'est terminé. J'ai tourné la page. Fais de même.
Le ton glacial qu'elle employait contre lui semblait le faire mourir de chagrin. J'avais l'impression qu'il était sur le point de fondre en larmes, quand il me regarda de nouveau. Cette fois, c'était la rage qu'on lisait dans ses yeux. Et il explosa :
-C'est de ta faute ! Si tu n'étais pas là, elle serait revenue vers moi ! Si seulement tu n'existais pas...
Il a commencé à se ruer vers moi. Ses coéquipiers avaient réagi trop tard pour l'arrêter mais moi, j'étais prêt à me défendre.
Yuna s'interposa encore une fois et arrêta Mimura dans son élan en lui flanquant une gifle tellement mémorable que l'écho persista dans le gymnase une bonne et longue minute.
Nous étions tous sous le choc : Nanahara Yuna, presque la douceur incarnée, venait de lever la main sur quelqu'un.
Mais je pense que c'était Mimura qui était le plus choqué. Il tenait sa joue qui avait bien roussi sous le choc, tout en regardant son ex-petite amie.
-Si tu oses le toucher... Je ne te le pardonnerai jamais !
Sa phrase résonna à son tour pendant une bonne minute entre les murs du gymnase, comme pour s'ancrer le plus profondément possible dans le cœur brisé de Mimura. Ce dernier ne réagissait pas et continuait de fixer Yuna comme si elle était devenue une personne qu'il ne reconnaissait plus...
Le capitaine de l'équipe masculine déclara alors que le spectacle était terminé et ramena ses gars du côté de son gymnase, après s'être excusé platement du comportement d'un de ses joueurs. De son côté, la capitaine de l'équipe féminine rappela aussi ses joueuses à l'ordre, sauf Yuna. Elle me demanda de l'emmener prendre l'air un instant, avant de la faire revenir. Je pensais aussi que ça lui ferait du bien et nous sommes allé à l'extérieur.
Elle a voulu qu'on aille sous l'arbre où nous nous sommes parlé, la première fois. Elle s'est alors assise contre le tronc puis m'a invitée à m'assoir à côté d'elle. Ce que j'ai fait. Elle a ensuite posé sa tête contre mon épaule et a poussé un soupir de papillon avant de parler :
-Pardon. Je ne voulais pas que tu me voies comme ça...
-Pas grave.
-Tu me détestes ?
-Pourquoi je te détesterai ?
-Parce que je ne suis pas mignonne quand je m'énerve ?
-Tu n'es pas mignonne, même quand tu te forces...
-Méchant !
J'ai alors posé ma main sur sa tête et l'ai caressé.
-Ne t'en fais pas. Il m'en faudrait plus pour que je te laisse.
Elle m'a regardé avec un petit sourire puis leva les yeux pour fixer ma main sur sa tête.
-Je ne suis pas un chat...
-Le mien aime que je lui caresse la tête.
-Je ne suis pas ton... ta...
Elle ne finit pas sa phrase.
-J'arrête, alors.
Au moment d'enlever ma main, elle posa les siennes dessus et la retint.
-... Tu peux continuer.
-Capricieuse.
-Je sais...
Une fois la Yuna habituelle revenue, elle alla s'entraîner comme à son habitude. Et moi, son petit copain, suis allé la regarder. Comme d'habitude.
Le retour en classe fut mouvementé. Elle et moi sommes rentré dans la salle ensemble et déjà, nos condisciples venaient nous assaillir de question. Enfin, surtout des questions pour Yuna. Pour ma part, je suis parvenu à me faufiler à travers la foule avant qu'elle ne devienne hermétiquement compact et me suis installé à mon bureau. Je pensais que c'était une victoire mais Yûji, en embuscade, me sauta dessus pour me harceler :
-Shûhei ! C'est vrai ?! Nanahara et toi êtes officiellement ensemble !? Et qu'elle l'a déclaré à un type louche qui te connaissait ?!
-Les nouvelles vont vite...
-Et il paraît qu'elle t'a défendue contre son ex devant tous les membres des deux clubs de baskets réunis !
-Les nouvelles vont très vite, ici...
Le silence s'est subitement abattu et je remarquai que les regards étaient braqués sur moi.
-Quoi ? ai-je lancé à mes condisciples qui semblaient avoir un intérêt nouveau pour ma personne.
Les choses devinrent... oui, c'était le mot approprié : bizarre.
Les garçons, même ceux qui ne me portaient pas dans leur cœur, m'interrogeaient sur la manière dont j'avais séduit Yuna, la fille qui ne semblait ne s'intéresser qu'au basket.
(Elle était vraiment réduite à ça ? Tu m'étonnes qu'elle garde de la distance avec les garçons, après...)
Les filles, elles, se demandaient ce qu'elle pouvait bien me trouver. Je n'étais pas particulièrement beau garçon, pas très athlétique, pas très sociable, pas très...
-Pas très boyfriend material ? fit Yûji pour la blague.
Je lui ai flanqué mon poing sur l'épaule en guise de punition pour sa sincérité.
Même jusqu'au club de littérature, ces réflexions sur ma situation amoureuse me suivaient. Les autres membres se demandaient comment on pouvait me trouver intéressant, la Vice-présidente me tenait pour responsable de la présence des murmures ayant envahis ce havre de quiétude (Je suis tout à fait sérieux !). Et le Président... s'en fichait royalement. Merci, Président !
Sachi, elle, ricanait à chaque fois qu'elle me voyait, ce qui m'irritait au plus haut point. Tout ça pour me rappeler qu'elle avait deviné juste sur les sentiments de Yuna.
Je me répète sans doute, mais j'étais entouré d'idiots.
À la fin de la journée, alors que je raccompagnais Yuna chez elle, elle me proposa de dîner au restaurant de son père.
Je n'étais pas à l'aise à l'idée de voir son paternel avec mon nouveau statut de petit ami mais d'un autre côté, j'aimais sa cuisine. Et étant devenu un client régulier...
Arrivé au restaurant, je fus accueilli normalement. Depuis quelques temps, le père de Yuna recevait de plus en plus de clients, surtout des touristes étrangers. Au passage, sa femme jouait la serveuse.
Je vis également d'autres réguliers qui me saluèrent et l'un d'eux, sur un ton plaisantin, demanda à Yuna quand est-ce qu'elle sortirait avec le pauvre garçon que j'étais.
Je vous laisse imaginer leur tête quand elle leur a annoncé que c'était déjà fait.
Tous pensaient à une blague mais comprirent vite que non, elle ne plaisantait pas. Son père ne disait rien et cuisinait tranquillement dans son coin. Forcément, vu que lui et sa femme avaient épié leur fille le soir où elle s'était confessée à moi...
J'étais sur le point de m'assoir à une table quand M. Nanahara me cria dessus :
-Pas ici ! Là !
Il me montra alors une place au comptoir. Les habitués poussèrent un cri d'étonnement en chœur et Mme Nanahara et sa fille étaient bouche bée.
De ce que m'avait expliqué Yuna, M. Nanahara réservait les places au comptoir pour les clients les plus fidèles et ceux qu'il appréciait le plus. Une poignée de gens, en somme. Et moi, comme ça, j'entais dans ce carré V.I.P.
J'ai pris place puis Yuna, après être monté se changer, m'apporta le menu.
-Pas besoin ! avait déclaré son père d'un ton ferme.
Il avait déjà commencé à cuisiner quelque chose. Apparemment, il avait choisi mon plat à ma place. J'espérai qu'il ne verse pas de poison dans ma nourriture...
Il vint me servir lui-même : un curry. Pas n'importe quel curry. LE curry du chef Nanahara. Sa spécialité. Son plat le plus cher sur sa carte. Pour vous faire une idée de l'honneur de manger un tel plat !
Et je le confirme, le goût était à la hauteur !
Yuna et moi discutions pendant que je mangeais. Plus particulièrement des examens proches. Elle était inquiète car elle craignait de se planter en maths et de devoir suivre des cours supplémentaires pendant l'été.
-Si tu bossais plus sérieusement aussi...
-J'essaie ! Mais les formules ne rentrent pas...
-Fais un effort. Ou tu risques de pas me voir pendant l'été.
-NON ! Je vais travailler dur ! Déjà qu'on ne se verra pas pendant deux semaines, à cause du camp d'été du club de basket !
-Alors courage.
-Oui, cap'taine !
Je pense avoir été le seul à le remarquer mais l'entrain et la bonne humeur de Yuna se faisait ressentir chez les clients, qui me lancèrent des sourires semblant me traiter de veinard.
Il y a vraiment des idiots de tout âge, ma parole...
Juin continuait sa marche sans attendre personne et les examens étaient de plus en plus proche. Le lycée Aomori baignait dans les révisions et la sueur, tellement il faisait chaud ! Si on n'avait pas ventilateurs et climatiseurs dans certaines salles, il y aurait sans doute eu une vague de décès parmi la jeunesse fougueuse que nous représentions.
Pour les autres, je ne savais pas. Mais moi, j'étais mis K.O par une attaque Canicule super efficace. Et ça, presque tous les jours. Surtout à midi.
-Qu'est-ce qui lui arrive ? demanda Sasaki aux autres en me voyant pendant qu'elle installait son pupitre près du mien pour le déjeuner.
-Shûhei ne supporte pas la chaleur, expliqua Yûji en installant le sien devant moi. Chaque été, il décède et implore que ça se termine vite !
Yuna s'installa à ma droite et m'offrit comme à son habitude mon bentô du jour avec un sourire. Je la remerciais cordialement.
Depuis quelques temps, je mangeais avec ces trois-là. Sasaki, sous l'insistance de Yuna, apprit à mieux me connaître. Elle me trouvait direct et parfois rude mais en creusant sous la surface, elle admit que je pouvais être sympathique par moment.
-Ça n'enlève rien au fait que si tu lui brises le cœur, je te brise les..., m'avait-elle lancé en mordant et coupant en deux son œuf dur à pleine dent.
J'ai mangé en silence puis suis allé nettoyer la boîte de mon bentô. En revenant en classe, j'ai croisé Mimura. Comme à son habitude, il m'a lancé un regard assassin et est passé à côté de moi sans dire un mot. Tant mieux. Je n'avais pas la force de supporter ses conneries. Je suis revenu en classe et après avoir rendu sa boîte à Yuna, je me suis affalé sur mon pupitre, terrassé par la chaleur malgré les fenêtres ouvertes. Yuna me regardait du coin de l'œil alors qu'elle finissait de manger. Je ne savais pas ce qu'elle voulait et de toute façon, j'économisais mes forces pour finir la journée. Mais j'avais remarqué son air inquiet. J'avais l'air si mal en point que ça ?
-Ça va ? a-t-elle demandé avec une voix douce.
Je me suis contenté d'un grognement pour lui dire que oui. Quitte à savoir si elle avait compris...
Je sentis soudainement des doigts se glisser dans mes cheveux humides à cause de la transpiration. Est-ce que... ?
J'ai un peu relevé la tête et je vis bien Yuna me caresser les cheveux. J'aperçus certains de mes camarades masculins crever de jalousie en me voyant. Pour ma part, j'étais surpris, clairement, mais je ne l'ai pas empêché de continuer. Au contraire, je trouvais ça agréable... Et je me suis endormi...
Ce fut Yûji qui me réveilla à la reprise des cours. J'avais bien dormi.
J'avais oublié que c'était agréable, d'avoir une petite amie...
Les examens étaient là ! C'était devenu une réalité qu'on aurait aimé fuir mais qui était inévitable.
Honnêtement, même pour moi qui était studieux, j'étais estomaqué par la difficulté des sujets. Rien à voir avec ce qu'on a eu plutôt dans l'année. À croire qu'on passait déjà les examens d'entrée pour l'université. À chaque fin de journée, les élèves disaient qu'ils allaient mourir d'épuisement et certains voyaient leurs nerfs lâcher en disant qu'ils allaient échouer et se retrouver à suivre des cours supplémentaires cet été. J'aurai aimé dire qu'ils exagéraient mais quand je me remémorais les sujets, l'idée que moi-même me retrouve à des cours supplémentaires durant l'été m'a effleuré. C'était dire.
Une fois la période d'examens passée, la pression ne retomba pas pour autant puisqu'il fallait attendre les notes, à présent. En attendant, nous suivions nos routines.
Le dernier week-end de juin. L'équipe de basket féminine allait disputer un match amical avec l'équipe du lycée pour filles Midorino. Mais selon Yuna et Sasaki, c'était aussi une excuse pour les deux équipes de voir si l'une représenterait une menace pour l'autre lors du tournoi d'automne, qui devait définir les équipes qui participeront aux dernières phases du tournoi inter-lycées prévu pour l'hiver.
Bien entendu, j'étais présent pour assister au match, accompagné de Yûji et Sachi. Il y avait aussi d'autres élèves et quelques membres de l'équipe masculine, dont Mimura.
L'équipe de notre lycée avait déjà commencé à s'échauffer quand celle de Midorino est arrivé, dans leurs tenues vert pomme.
-Ouah ! T'as vu comme la plupart sont grandes ! commenta Yûji. Ça ira, pour notre équipe ?
-Ne t'en fais pas, le rassurais-je. Pour avoir assisté au moins aux entraînements matinaux, elles ont clairement leur chance.
-Yûji ! Shûhei ! Vous avez intérêt à encourager Yuna à fond !
-Oui, oui...
Sachi était vraiment à fond dedans alors que le match n'avait pas commencé.
Yuna me faisait de grands signes et je lui répondais avec des petits.
La veille au soir, elle m'avait écrit car elle était nerveuse : la coach avait décidé qu'elle et Sasaki joueraient à la place de deux titulaires. Le but était apparemment de ne pas dévoiler leurs meilleurs atouts en vue du tournoi et aussi, car les deux étaient, selon leur coach, les meilleures parmi les nouvelles recrues. Elle leur donnait donc une occasion de jouer sérieusement contre une équipe adverse. J'ai tenté de la rassuré en disant qu'elle s'entraînait dur tous les jours et que c'était l'occasion rêvé pour épater la galerie, encore plus si j'étais dedans. Elle m'a remercié et promis qu'elle donnerait tout ce qu'elle avait.
-Shûhei !
La voix de Sachi me ramena au présent.
-Regarde ! Dans l'équipe de Midorino !
Parmi les joueuses adverses, je vis quelqu'un que je pensais ne plus revoir : grande, athlétique, une coupe à la garçonne...
-Karin..., murmura Sachi.
Umino Karin. Une camarade de classe datant du collège. Et une ancienne amie de Sachi, jusqu'à une dispute qui brisa leur amitié... Karin était du genre sportif mais au collège, elle n'avait rejoint aucun club. Elle avait aidé ces derniers occasionnellement mais ne s'était spécialisé en rien. Elle avait donc choisi le basket en entrant au lycée...
-YUNA ! COURAGE ! hurla Sachi, pour le malheur de mes oreilles.
Yuna lui avait lancé un « Compte sur moi ! » depuis le terrain en sautillant comme une enfant. Quand je vis la tête de Umino lorsqu'elle découvrit l'origine du cri, je me suis dit que Sachi l'avait fait exprès pour aussi attirer son attention.
Le match était sur le point de débuter. Yuna et Sasaki se mirent en position. Le coup d'envoi allait retentir sous peu.
En regardant Yuna, je la vis prendre l'air sérieux qu'elle avait lors des entraînements.
Non. C'était différent.
Là, c'était son regard sérieux pour un match.
TRIIIIT.
Début du match.
Ça allait vite mais l'action restait lisible, même pour des gens peu habitués comme Yûji et Sachi.
Pour résumer simplement, l'équipe de Midorino avait marqué les premiers paniers dans le premier quart-temps et notre équipe n'a commencé à remonter qu'au deuxième. La défense de notre côté était solide mais la possession de balle était majoritairement pour Midorino. Sasaki servait de pivot pour faire circuler le ballon ou percer la défense adverse mais nombre de ses passes se faisaient intercepter. Et Yuna, légèrement moins grande que les filles d'en face, avait du mal à faire ses fameux trois points.
À la mi-temps, notre équipe n'avait que deux paniers de retard mais il fallait reconnaître que Midorino avait une équipe solide.
-Et dire qu'elles vont encore s'améliorer pour le tournoi d'automne, fit Yûji.
-Shûhei... Tu crois qu'elles ont une chance de gagner ? me demanda Sachi.
-Peut-être... Je suis très loin d'être un expert mais peut-être en jouant plus agressif...
Je disais ça mais comme je l'ai dit, je n'étais pas un expert. L'équipe de Midorino jouait très bien, surtout Umino en défense.
Les joueuses de notre lycée semblaient déterminé à décrocher la victoire, même pour un match amical. Pourtant, je voyais que Yuna avait mauvaise mine et je pouvais le comprendre : toutes ses actions avaient été bloqué, surtout par Umino qui la marquait le plus.
(Tu vas pas me dire que tu baisses les bras !)
Quand elles retournèrent sur le terrain, elles reçurent des encouragements de tout le monde, les plus bruyants étant ceux de l'équipe masculine.
Reprise du match.
C'était une catastrophe.
Pas pour l'équipe. Pour Yuna.
Tout le quart-temps, elle était marqué ou ses tirs étaient bloqués ou déviés. C'était insupportable. Ce n'était pas la Yuna que j'observais à l'entraînement, qui se relevait malgré les ratés et retournait à l'assaut de ses adversaires avec un sourire déterminée.
Fin du troisième quart-temps. Midorino avait creusé un écart significatif et faire une remontée devenait de plus en plus difficile.
Le dernier quart-temps allait débuter et Yuna était plus abattu que jamais par ses médiocres performances. Et voir ça me fendait un peu le cœur mais plus que tout... me mettait dans une rogne indescriptible.
Tant pis si je me faisais remarquer mais je devais agir.
Je me suis alors levé et j'ai crié :
-QU'EST-CE QUE TU FICHES !!!
Ma voix était tellement forte que presque tout le monde dans le gymnase a sursauté. Yûji et Sachi étaient choqué et surpris que je crie aussi fort. Yuna s'est tourné vers moi, elle aussi surprise.
-C'est quoi, cette performance médiocre que tu nous offres ! ai-je continué à crier. Tu es capable de bien mieux ! Tu t'es entraîné dur pour ! Alors ressaisis-toi !
Sur ces mots, je me suis rassis, toujours en rogne. Je crois que je n'avais jamais crié aussi fort de ma vie. Je pouvais entendre Mimura me dire de me mêler de mes affaires, ainsi que d'autres élèves murmurer en me regardant. Je vis aussi que Yûji et Sachi, tous les deux rouge de honte d'être devenus des dommages collatéraux de mon intervention.
Même sur le terrain, les filles devaient se demander si je n'étais pas un peu fou.
Mais Yuna, elle, m'a souri puis m'a crié :
-Idiot !
Et elle est reparti sur le terrain.
Juste avant la reprise, elle était allée voir son capitaine et Sasaki.
Dernier quart-temps.
Aucune équipe n'arrivait à marquer, au début. Quand Sasaki eut le ballon, elle le passa immédiatement à Yuna. Cette dernière après être entré en possession du ballon fut vite marquée par Umino. Mais elle n'allait pas se laisser faire. J'en étais certains. Yuna était à bonne distance pour un trois points. Elle a alors bondi en arrière tout en tirant. J'avais déjà vu cette technique expliqué dans un livre et vu des vidéos de joueurs pro lors de matchs : un fadeaway.
Le ballon a décrit un bel arc de cercle avant de rentrer tranquillement dans le panier, sans toucher l'arceau. Un très beau tir à trois points.
Ce panier boosta le moral de l'équipe. Petit à petit, elle rattrapait son retard, surtout grâce à Yuna et à ses trois points inarrêtables depuis que je l'avais secoué en lui criant dessus. Par moment, personne ne croyait qu'elle pourrait marquer tel ou tel panier. Mais comme par magie, le ballon rentrait. Pour la première fois depuis que je la regardais jouer, elle n'avait manqué un seul panier depuis le début du quart-temps. Et lorsqu'elle tirait, j'avais le sentiment que plus rien d'autre n'existait autour d'elle. Entre ses mains, le ballon volait tranquillement jusqu'au panier et y entrait en douceur.
Plus qu'une minute de jeu.
La défense était efficace mais au dernier moment, Umino dribbla Yuna pour passer et mit ce qui semblait être le panier scellant la victoire de Midorino. La capitaine de notre équipe ordonna une remontée rapide pour marquer un dernier panier, au moins pour faire une égalité.
Yuna avait le ballon et semblait être sur le point de faire la passe pour que l'équipe commence la remontée.
Mais elle ne le fit pas.
À la place, depuis l'autre bout du terrain, elle... tira !
Tout le monde regardait le spectacle, bouche bée.
En théorie, ce qu'elle venait de faire n'était pas impossible. Certains joueurs de NBA réussissaient ce genre de tir durant les entraînements, d'après mes recherches. Mais en match, c'était impensable à faire ! Bien trop risqué !
C'était donc un pari. Un pari pour déterminer la victoire ou la défaite.
Tout le monde retint son souffle quand le ballon commença sa descente.
(Faîtes qu'il rentre ! Même si la probabilité est faible, qu'il rentre !)
Le ballon tapa l'arceau ! Une fois... deux fois... Il manqua de tomber !
(ALLEZ !)
Doucement, il glissa et tomba...
À l'intérieur du filet.
L'arbitre valida les trois points. Et on siffla la fin du match.
Sur cette action folle, Yuna venait de faire gagner son équipe.
Un tonnerre de joie tonna chez les élèves de notre école et l'équipe félicita Yuna pour son action folle mais payante. Mais elle, elle ne regardait que moi et me criait :
-SHÛHEI ! Tu as vu ! ON A GAGNÉ !
Je ne disais rien mais j'applaudissait avec les autres. C'était un beau match.
Après que les deux équipes se soient saluées, je suis descendu des gradins avec Yûji et Sachi pour féliciter Sasaki et surtout Yuna pour leur performance.
-Beau match ! avait dit Yûji en tapant dans les mains de Sasaki et Yuna.
-Vous avez bien joué ! leur dit Sachi.
Sasaki les remerciait pendant que Yuna se jetait dans mes bras !
-AH ! Tu transpires ! ai-je hurlé.
Mais elle semblait s'en ficher et me souriait à pleine dents.
-Merci, Shûhei ! Si tu ne m'avais pas remonté les bretelles, je n'aurais pas donné le meilleur de moi-même !
-C'est bien mais maintenant, lâche-moi ! Et va prendre une douche !
-Ah ! C'est pas des façons de parler à sa copine qui a fait de son mieux !
-Je te féliciterai autant de fois que tu veux si tu arrêtes de me transpirer dessus ! Et vous autres, arrêtez de rire et aidez-moi !
Pendant que ces idiots s'amusaient à me regarder, je vis Umino qui s'était approché. Elle et Sachi s'échangèrent un regard.
-Yo, Sachi.
-Salut, Karin.
Umino me regarda de travers et poursuivit :
-Tu traînes encore avec lui ?
-Ça te pose un problème ?
-Je vois pas en quoi traîner avec lui est une bonne chose pour quiconque. Pareil pour toi, Tanigawa. On a longtemps dit des choses sur toi, à cause de lui.
Yûji ne disait rien mais son visage montrait clairement qu'il ne manifestait aucune sympathie pour Umino. Cette dernière me regarda de nouveau et claqua la langue :
-Je comprends pas pourquoi Aïko cherche à te recontacter. Moi qui pensais qu'elle t'avait rayé définitivement de sa vie...
Sachi fut surprise en entendant ça et me regarda. Je l'ai ignoré, mon attention toujours porté sur Umino. Décidément, elle ne m'appréciait toujours pas. Et de toute façon, c'était réciproque. Elle regarda ensuite Yuna, qui était toujours collé contre moi.
-Toi... C'est quoi, ton nom ?
Yuna se décolla doucement et soutint le regard d'Umino avant de lui répondre :
-Nanahara Yuna.
-Nanahara, hein ? Je m'en souviendrais, quand on se reverra au tournoi. Et un conseil : choisis mieux tes amis. Ce type n'apporte rien de bon.
-Merci mais je sais choisir mes amis. Et Shûhei...
Elle m'attrapa aussitôt la main et la serra.
-Shûhei est mon petit ami.
Umino la regardait à présent comme si Yuna était atteinte d'une quelconque maladie mentale.
-C'est une blague ?
Voyant le sérieux sur le visage de Yuna, Umino semblait déçue.
-Heureusement que tu es douée au basket. Parce qu'en matière de garçon, c'est lamentable...
Sur ces mots, elle tourna les talons et alla rejoindre ses coéquipières.
Yuna soupira de soulagement en la voyant partir.
-Shûhei...
C'était Yûji qui m'interpella le premier, l'air inquiet. Sachi prit alors la relève en demandant :
-Aïko t'a vraiment contacté ?
Yuna me regardait aussi, inquiète car ma mine s'était assombrie. J'ai soupiré :
-Plus d'une fois. Et je ne lui ai jamais répondu.
-Je vois...
La peine commençait à envahir Sachi. Puis, comme se rappelant d'une chose, elle regarda Yuna. Elle devait sans doute se demander si elle devait lui dire. Oui, je devais en parler avec elle. Mais je ne voulais pas. Pas maintenant. C'était le moment de Yuna, à cet instant. Je ne voulais pas le gâcher. Je devais au moins lui dire qu'on en parlerait après, même si je devais me forcer :
-Yuna, je...
-Ça ira.
Elle me souriait. Au début, je pensais que ce sourire était forcé mais il m'a paru sincère.
-Sérieux comme tu es, je sais que tu m'en parleras quand tu seras prêt. Je peux attendre. Alors... Ne te force pas, d'accord ?
J'avoue avoir été surpris par ses paroles. Et elle semblait s'en amuser.
Je ne lui ai alors rien dit. Et puisque j'avais son accord, je lui dirais quand je me sentirais prêt.
J'espérai juste l'être bientôt...
Les résultats des examens sortirent la première semaine de juillet, juste avant les vacances d'été.
Comme d'habitude, j'étais haut dans le classement des premières années. Sachi était légèrement au-dessus et Yûji... Quand je lui ai demandé comment ça a été, il m'a annoncé, dépité, qu'il s'était planté en maths. Genre méchamment. Au point où Abe l'avait convoqué en salle des professeurs pour lui dire qu'il devrait suivre des cours supplémentaires au début des vacances d'été.
(Que ton âme repose en paix, vieux.)
Alors que je sortais de classe pour rejoindre le club de littérature, j'ai vu Yuna me foncer dessus, se jeter sur moi et me serrer fort en simulant une crise de larmes.
-OUAAAAAAAAAAAH !!!
De toutes ses excentricités, c'était facile la plus tactile. Des élèves nous regardaient en se demandant ce qu'on faisait.
-Me saute pas dessus comme ça ! Non, en fait, ne me saute pas dessus tout court ! Qu'est-ce que tu fous ?!
Elle leva la tête de mon torse sans desserrer son étreinte et gonfla ses joues :
-Ta copine se jette dans tes bras et c'est tout ce que tu as à dire ?
-Pas en chargeant comme ça ! On aurait dit un taureau qui fonce en voyant s'agiter un drap rouge !
-Un taureau ?! Tu insinues que je suis grosse !?
Elle semblait un peu fâchée mais je refusais de retirer ce que je venais de dire. Sasaki nous rejoignit juste après.
-Tu lui as dit ? demanda Sasaki à Yuna.
-Me dire quoi ?
Je regardais Yuna, qui m'avait lâché, et qui regardait ailleurs, mal à l'aise.
-Qu'est-ce que tu as fait ?
Je ne savais pas quoi redouter et en même temps, je m'attendais au pire.
-J'ai... j'ai foiré, avoua-t-elle.
-Foiré quoi ?
-Les... Les maths. J'ai foiré les maths.
(...C'est une blague ?!! Après tout ce temps à réviser ensemble !!!)
-Comment tu as fait ?!
-En... En fait... J'ai... J'ai bloqué devant un problème. Puis un autre. Puis un autre. Jusqu'à la dernière question...
Était-elle en train de me dire que j'avais gaspillé mon temps et mon énergie à l'aider en maths pour rien ?! J'avais des envies de meurtres, là !
Quand elle le vit sur mon visage, la terreur s'empara d'elle.
-Pardon ! Pardon ! Pardon !
-Je vais te le faire payer...
-Noooooon ! Abe me fait déjà venir pendant les vacances ! Je paye suffisamment, non ?
-NON !
Et peu de temps après, les vacances débutaient...
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