Chapitre 10
-SHÛRA !! Sors de là, espèce d'enfoiré !
Les cris résonnaient dans toute la cour, devant l'entrée. Mes camarades de classes se sont précipités aux fenêtres pour voir qui criait aussi fort.
-C'est qui, ce type ?
-Je sais pas, mais il fait flipper à crier comme ça...
-Hé ! Je reconnais son uniforme ! Il vient du lycée Kuzuryû !
-Kuzuryû ? Le lycée où on envoie la plupart des élèves à problèmes ?! Qu'est-ce qu'un type comme lui fait là ?
Je n'ai pas eu besoin de plus pour m'éclipser de la classe. Le lycée Kuzuryû... La mention de mon nom surnom... Je commençais à faire le lien.
-SHÛRA !!!
Après avoir enfilé mes chaussures, je suis sorti dans la cour et je me suis dirigé vers le type.
Il portait bien l'uniforme du lycée Kuzuryû, son blazer était grand ouvert et au lieu d'une chemise, il avait un t-shirt aux couleurs flashy. Il avait beau avoir un uniforme de lycéen, sa tête était presque celle d'un adulte. Une sorte de caricature de yakuza comme on pouvait en voir dans les fictions.
Lorsqu'il m'a aperçu, il a enfin cessé de gueuler et on s'est fait face. Il avait la rage dans ses yeux et donnait l'impression de se retenir de me sauter dessus.
-C'est toi, Shûra ? m'a-t-il demandé sans détour.
-C'est comme ça qu'on m'appelait, lui ai-je répondu. Qu'est-ce que tu me veux ?
-Tu te souviens Habashira Kentarô ?
-Le nom ne me dit rien.
-Arrête de te foutre de moi ! Tu l'as tellement cogné qu'il a passé un mois entier à l'hosto !
Des souvenirs remontèrent... Du temps où je me faisais encore appeler Shûra. Après ma rupture avec Aïko...
On filait le parfait amour, à cette époque. On riait, on se faisait de sorties, on s'embrassait... On a eu notre première fois ensemble. À l'époque, on était sur un petit nuage et je pensais que rien ne nous en ferait tomber. Puis, la période des examens d'entrée au lycée est arrivée. On a commencé à moins se voir, à cause des révisions. Surtout Aïko,qui visait le meilleur lycée de la ville pour pouvoir ensuite intégrer une bonne université. Elle passait tout son temps libre plongé dans les bouquins et les cours supplémentaires. Chaque fois que je la contactais pour savoir comment elle allait, elle me rembarrait en disant qu'elle était occupée ou qu'elle n'avait pas le temps de me parler.
Malheureusement, cela ne s'est pas arrêté aux messages et aux appels. Au collège, elle commençait même à m'éviter en prétextant qu'elle avait à faire. Au début, je ne lui en portais pas rigueur, mais à la longue, je trouvais ça blessant et énervant. Au bout d'un temps, nous ne nous sommes plus parlé.
À deux semaines des concours d'entrée, j'étais nerveux et un peu à cran du fait que ma relation amoureuse était au point mort. Ce fut à ce moment qu'à choisit Aïko pour m'envoyé un message. Un message court mais lourd de conséquences : elle m'annonçait froidement qu'elle rompait avec moi, sous prétexte qu'elle devait se concentrer sur sa réussite et que de toute façon, notre relation ne n'avait pas d'avenir puisque nous ne serions pas dans le même lycée.
Autant dire que le collégien que j'étais n'a pas bien pris la nouvelle.
En guise de réponse, je lui ai envoyé un torrent d'insultes pour évacuer ma colère. Mais ce n'était pas suffisant. Alors, les jours qui suivirent, j'ai commencé à sortir le soir, cherchant la bagarre à ceux dont la tronche ne me revenait pas ou en répondant aux provocations. Au début, je me suis pris de sévères râclées mais bien vite, c'était moins qui les donnaient, les râclées. Ce fut durant l'une de ces nombreuses bagarres que j'ai rencontré Genji. Plus âgé et plus expérimenté en termes de baston, je m'en suis pourtant tiré avec un match nul. Genji m'aimait bien et m'a pris, en quelque sorte, sous son aile. Il m'a fait découvrir une partie du monde la nuit local, celle où on s'amusait sans trop de risque, à part d'éventuels bagarres avec des loubards ou soûlards. Il m'avait promis de m'en montrer plus encore quand je serai au lycée. Mais à titre personnel, je m'en fichais. J'avais trop de colère en moi et je ne pensais qu'à me défouler.
Malgré mes nombreuses escapades nocturnes qui inquiétaient ma mère, en voyant que je revenais souvent avec des bleus et des coupures, j'ai réussi à obtenir le concours pour mon premier choix d'établissement. Quant à Aïko, elle était en pleurs car elle n'avait pas eu le lycée qu'elle souhaitait. Je n'ai appris que plus tard qu'elle n'avait réussi que le concours de son troisième choix. Une partie de moi était fou de joie qu'elle se soit plantée. Finalement, me larguer pour augmenter ses chances n'avait pas payé pour elle. Je jubilais presque intérieurement à cette pensée.
Après cela, j'ai diminué mes escapades nocturnes, ma colère qui m'avait animé si longtemps s'estompant peu à peu depuis que j'avais su pour elle.
Mais un soir, un type que j'avais éclaté quelques soirs plutôt m'avait attiré dans un bâtiment abandonné pour me sauter dessus avec deux ou trois de ses potes. Une fois ces derniers mis hors course, je me suis attaqué à celui qui avait tenté de me piéger. D'habitude, je flanquais deux ou trois coups pour envoyer l'autre à terre mais cette nuit-là, je me suis acharné sur lui. Je n'avais pas apprécié me faire piéger comme ça par ce gars plus âgé. Et puis, se prendre une raclée monumentale par un collégien allait être la pire des humiliations pour un type comme ça, avais-je pensé sur le coup. À la fin, alors que son visage était aussi sanguinolant qu'un steak cru, il ne bougeait plus. Il était inconscient mais... je me suis rendu compte qu'il respirait à peine. Évidemment, j'ai paniqué ! Je ne savais pas quoi faire ! J'avais peur d'appeler une ambulance et qu'ils préviennent la police par la suite ! Je pensais que si je faisais ça, ma vie serait fichue !
J'ai appelé Genji pour lui demander quoi faire. Il s'est pointé le plus vite possible et m'a dit de dégager, qu'il se chargeait de tout. J'ai obéi sans discuter et me suis barré.
J'ai appris plus tard que le type était vivant mais amoché au point qu'il devrait rester à l'hôpital un temps. Malheureusement, ses potes n'avaient eu que quelques bleus et ne se sont pas privés de dire à qui voulait l'entendre que c'était Shûra qui avait fait ça. Personne ne crut que le dit Shûra était un collégien et c'était ce qui m'avait permis, à l'époque, d'échapper à des recherches sérieuses de la part des autorités. Mais tout ça avait nourris ma légende urbaine.
Après ça, j'ai décidé de faire profil bas, jusqu'à finalement ne plus faire d'expéditions nocturnes et d'essayer de laisser cette partie sombre de ma vie, basé sur de la colère, derrière moi.
Et voilà que tout me revenait dans la figure...
J'ai soupiré :
-Oui, je me souviens maintenant. Alors, quoi ? Tu viens le venger ?
-Exactement ! J'ai mis le temps mais je t'ai enfin trouvé !
-Par simple curiosité, comment t'as fait ?
-Des potes ont entendus dire par une fille qu'ils sautent que Shûra était élève ici.
(Une fille ?)
-Assez parlé ! Je vais t'éclater la...
Avant qu'il ne finisse sa phrase, il se figea en regardant derrière moi. Je me suis retourné pour voir des professeurs, dont Abe, s'approcher de nous. Toute cette agitation leur était finalement venu aux oreilles. J'ai rapidement attrapé l'autre par le col pour lui souffler ces mots :
-On réglera ça plus ard. Retrouve-moi avant la tombée de la nuit au parc, dans le quartier XXXX. Il n'y a personne, à cette heure-là. On sera tranquille.
Je l'ai ensuite violemment repoussé et lui ait fait signe de se tirer avant que les professeurs ne l'attrapent pour lui poser des questions auxquelles il ne voulait pas répondre. Il a grincé des dents mais s'est résolu à foutre le camp au plus vite.
J'ai ensuite été convoqué dans le bureau du principal, pour me tirer les vers du nez. Ce dernier tentait juste de savoir si moi, ce garçon ou nos actions risquaient de ternir la réputation de son établissement. Je lui avais assuré que non mais m'a prévenu que dans le cas contraire, il me renverrait sans hésitation. Le professeur Abe, pour sa part, voulait savoir si j'avais des ennuis. Je lui ai bien sûr menti et d'après sa tête, il s'en doutait mais n'a pas insisté davantage. À mon avis, il se doutait que me forcer n'aboutirait à rien.
Quand je suis revenu, en classe, mon groupe m'a assailli de question, que j'ai esquivé avec plus ou moins de subtilité. Tous m'avaient interrogé... sauf Yuna. Étrangement, elle était restée en retrait.
À la fin des cours de la journée et avant d'aller à son club, Yuna a demandé à me parler. En privé.
Nous sommes allés derrière le bâtiment principal, à l'abri des regards et normalement des oreilles indiscrètes. Elle avait la tête baissée et son énergie, habituellement débordante, semblait avoir disparue.
-Ça va ? lui ai-je demandé, inquiet.
-Oui...
Elle a inspiré un grand coup puis m'a demandé :
-Shûhei... Est-ce que c'est toi, celui qu'on appelle Shûra ?
-Comment tu...
-Suzu en a entendu parler, via ton copain Genji...
(Ah, c'était donc Suzu, la fameuse fille...)
Elle avait adopté une mine grave, comme si elle redoutait la réponse. Peut-être était-ce ça, ce dont elle essayait de me parler depuis quelques temps.
J'ai soupiré. Je n'allais pas y échapper, cette fois. Je l'ai regardé et...
-Oui, c'est moi qu'on appelle Shûra.
Ses yeux se sont écarquillés. Elle me regardait, choquée, comme si elle avait espéré que ce n'était pas vrai. Comme elle ne disait rien, je lui ai tout raconté, sans omettre de détails. Alors que les mots sortaient de ma bouche, je me disais que c'était terminé avec elle...
Je ne voulais pas. Je ne voulais vraiment pas !
Mais je ne pouvais pas croire qu'elle continuerait à me voir après ces révélations. Dans la vraie vie, qui serait assez stupide pour rester avec quelqu'un qui avait fait quelque chose d'aussi horrible ?
J'aimais Yuna. Sincèrement. Mais maintenant qu'elle était au courant de ce que j'étais et de ce que j'avais fait, nous ne pouvions plus suivre le même chemin.
Elle est restée là, à écouter sans dire un mot, comme toujours sous le choc. Elle n'a commencé à réagir que lorsque j'ai eu terminé. Elle a commencé à reculer puis s'est retourné et m'a dit qu'elle allait être en retard à l'entraînement, avant de quasiment se sauver en courant.
Je l'ai regardé partir, sans chercher à la poursuivre. Oui, c'était mieux ainsi...
J'ai ensuite quitté le lycée, non sans jeter un œil vers le gymnase.
J'ai traîné en ville, en attendant de retrouver l'autre type. Je suis passé par les endroits où Yuna et moi avions passé du temps, ces derniers mois. J'en avais de très bons souvenirs, même si, avec le recul, j'étais peut-être un peu désagréable et froid par moment. Pourtant, Yuna s'était accroché. Elle n'avait pas abandonné l'espoir d'être avec moi, malgré mes défauts. Elle se montrait très attentionnée envers moi, encore plus qu'Aïko. Elle était trop tactile mais j'aimais son assurance et son énergie.
Pendant mon errance, je me remémorais ses entraînements et ses matchs. J'aimais la voir bouger sur le parquet, la façon dont elle manipulait le ballon entre ses doigts et comment elle faisait rentrer ce ballon dans les filets. Ça allait me manquer de ne plus pouvoir la regarder jouer...
J'ai alors senti quelque chose couler le long de ma joue. J'ai passé ma main dessus... Une larme... Je me suis surpris à verser une larme en me replongeant dans ces souvenirs...
Je ne pus m'empêcher de rire. Cela ne me ressemblait tellement pas ! À croire que j'avais vraiment changé... Grâce à elle...
Le soleil n'était pas loin de se coucher. Je me suis alors dirigé vers le parc...
J'y venais à l'époque de Shûra. Le soir, pendant un temps, c'était un point de rendez-vous pour les petites frappes qui aimaient traîner en faisant du bruit. Jusqu'à ce que Shûra y vienne deux ou trois soirs pour se défouler.
Le type au t-shirt flashy était déjà là, assis sur un banc. En me voyant, il s'est levé d'un bond.
-Je pensais que tu allais te défiler, m'a-t-il lancé en faisant craquer ses phalanges.
-Rassuré ? lui ai-je demandé en lâchant mon sac.
-Ouais. Je vais pouvoir t'éclater et venger mon pote !
C'était tout. Il n'y avait pas à chercher plus loin. Un type était venu me trouver pour m'éclater parce que j'avais éclaté mon pote. Par moment, la vie était aussi simple que ça.
Sans attendre davantage, il a foncé vers moi et a tenté de me filer un crochet du droit, que j'ai évité de justesse en reculant. Il enchaîna avec un crochet du gauche, que j'ai bloqué, et lui ait flanqué un bon coup de poing dans l'estomac, qui le fit plié en deux. Pas question de le laisser reprendre son souffle et j'enchaînai avec un uppercut dans le menton, le sonnant et lui faisant cracher un peu de sang.
Je la retrouvais... Cette sensation... Cette adrénaline... Cette euphorie qu'on ressentais dans une bonne baston.
L'autre type n'en resta pas là. Il enchaîna les coups de poings que je bloquais ou esquivais.
(C'est tellement téléphoné. Je vais terminer ça vi...)
Ma trop grande assurance m'a fait baisser ma garde et je n'ai pas vu venir ce coup de genou dans l'estomac qui m'a plié en deux. Il a ensuite écrasé ses poings sur mon dos pour me mette au sol et là, il n'a pas hésité à me rouer de coups de pieds, avant de terminer par un shoot en pleine figure comme si ma tête était un ballon de football, me cassant le nez au passage qui saignait abondement. Je ne lui pas laissé le temps de jubiler bien longtemps et l'ai fait tomber sur son cul par un balayage du pied, profitant de sa confusion pour me relever. Mais à peine avais-je commencé qu'il se jeta sur moi pour me plaquer au sol et commença à me rouer le visage de coup de poings, comme on martelait une enclume.
Étrangement, les souvenirs de cette nuit où j'ai presque massacré son pote me revint. Mais cette fois, c'était moi qui subissais les coups au lieu de les donner. Une étrange sensation...
Était-ce moi ou Shûra ? Peu importe, mais une rage soudaine en moi explosa. Peut-être que je ne voulait pas me faire battre, qui sait...
Toujours était-il que, de mon pied, j'ai réussi à repousser ce type et à me relever.
On a alors échangé quelques coups encore, avant qu'il ne tente un uppercut, qui s'est finalement écrasé contre mon coup de coude bien placé. D'après le bruit, je lui avais peut-être cassé un doigt. J'ai profité de son agonie pour lui envoyer un direct du droit dont j'avais le secret. Quand mon poing à rencontré sa joue, il a de suite décollé du sol pour finir au sol, inconscient.
Bien que je fusse rouillé niveau baston, la victoire était mienne. Si j'avais été au meilleur de ma forme, je n'aurais pas été si amoché...
Juste après cela, des policiers ont accourut et nous ont interpellé. Finalement, notre bagarre n'était pas passé inaperçu.
À la vue de notre état, ils nous ont d'abord amené à l'hôpital avant de contacter nos familles. Pour le type, seulement sa mère était venue et elle prenait l'affaire à la légère comme si elle s'en fichait un peu.
Pour moi, mes deux parents étaient venus. Mais là où ma mère, certes en colère mais surtout inquiète en voyant mon visage, me cria un peu dessus, mon père avait fait quelque chose dont je ne le pensais pas capable. Il m'a décoché un crochet en me voyant, me jetant au sol, et a commencé à me rouer de coups de pieds, en disant que je l'avais mis dans l'embarras devant tout le monde et que j'allais payer pour ça. Ma mère tenta en vain de me protéger. Les policiers et le personnel médical ont dû unir leur force pour éloigner mon père et l'emmener ailleurs. Les coups de mon paternel ont rajouté des blessures dont je me serais bien passé, surtout à la tête.
Après examens, les médecins étaient catégoriques : un séjour à l'hôpital s'imposait.
L'incident n'échappa aux oreilles de mon lycée. Alors que j'étais encore dans mon lit d'hôpital, Abe est venu en personne prendre de mes nouvelles mais surtout, m'annoncer que le principal avait décidé de me renvoyer. Il m'expliqua cependant que, étant donné que j'avais expliqué à la police que j'avais agit en légitime défense, il avait réussi à convaincre le principal de passer d'un renvoi définitif à un renvoi temporaire jusqu'en novembre et je devais en plus adresser une lettre d'excuse pour tous les ennuis que j'avais apporté à l'établissement, au personnel, et cetera... Ça allait faire une tâche sur mon dossier mais à ce stade, je n'allais pas me plaindre et l'ai remercié de sa visite et de ce qu'il avait fait pour moi.
Les jours suivants, j'ai eu le droit aux visites de ma mère, qui venait autant que possible malgré son travail, mais aussi à celles de Yûji, Sachi, Jun, Yuzu et même Sasaki. Je leur ai raconté la bagarre, ses raisons mais surtout... je leur ai parlé de ma période Shûra. Ils ont écouté en silence puis Yûji et Sachi m'ont traité d'idiot, avant de me dire que l'important était que je m'en sois sorti vivant. Sasaki était énervé contre moi mais elle rejoignait le sentiment de soulagement de mes autres amis.
Yuna, elle, demeurait absente.
Sasaki m'a expliqué qu'elle était folle d'inquiétude en apprenant ce qui m'étais arrivé mais que quand ils se sont retrouvés devant l'hôpital, il n'a pas pu entrer et s'est sauvé. Elle avait ensuite envoyé un message à son amie pour s'excuser.
J'imaginais que tout devait se bousculer dans sa tête : apprendre ce que j'avais fait, voir les conséquences de ces actes, ce qu'elle ressentait, comment aborder la chose...
J'ai soupiré et mentalement, j'ai donc commencé à me faire à l'idée que, pour Yuna et moi, c'était terminé.
Les jours suivants ne faisaient que donner raison à mon idée.
Yuna n'était pas venue une seule fois me voir. Ses parents, si, et m'ont même apporté des petites choses en douce à grignoter. Ils ont également fait la connaissance de ma mère, lors de l'une de ses visites, et disaient à quel point ils m'appréciaient et ma mère a stipulé à quel point elle appréciait Yuna...
Yûji venait m'apporter les cours et devoirs, négligeant un peu son club, mais il m'assura que ce n'était pas grave. Pareil pour Sachi et par occasion, Sasaki.
Peu avant ma sortie de l'hôpital, ma mère m'a fait une annonce : elle avait demandé le divorce. Elle et mon père ne s'entendait plus depuis un moment et elle m'a avoué que ce qu'il m'avait fait était la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase. Elle m'a également annoncée qu'il avait quitté la maison. Pas une fois il était venu me voir ou pris de mes nouvelles...
(Bon débarras...)
Elle m'a également annoncé qu'on lui avait proposé une promotion dans les bureaux de la maison-mère de son entreprise, à Tokyo, pour le printemps prochain. Qu'elle avait déjà commencé à regarder les maisons et appartements à vendre, pour qu'on puisse vivre tous les trois. Elle, moi et Kurô, bien sûr. On allait pas abandonner notre chat.
J'étais content pour elle. Tokyo... Ça allait changer de cette petite ville. Et puis, peut-être que cette fois-ci, je pourrais vraiment repartir à zéro.
Elle m'a dit qu'elle avait déjà commencé à chercher un lycée pour moi et que pour l'instant, je devais me concentrer sur ma guérison. Je lui en étais reconnaissant, surtout qu'elle continuait à travailler en parallèle.
Finalement, après un peu plus d'un mois d'hospitalisation et ma période de renvoi, début novembre, je suis revenu au lycée.
J'ai eu l'impression d'être revenu au début de l'année, où tout le monde m'évitait. En dehors de mon groupe, personne ne m'avait adressé la parole. Yuna compris.
Elle comme moi avions pris nos distances. Je n'allais plus la voir jouer au gymnase, j'ai démissionné du club de littérature, malgré les protestations du Président et de Sachi, et je rentrais dorénavant directement chez moi après les cours. De temps en temps, je passais faire un tour rapide au club de manga et leur donnait quelques conseils pour qu'ils améliorent leurs histoires.
Le temps passa.
J'avais loupé le festival sportif à cause de mon hospitalisation et le festival culturel n'était pas très intéressant pour moi, le plus gros des préparatifs ayant été fait pendant mon absence. On m'a juste fait faire la pub pour leur café majordome-soubrette sans originalité. Cela me convenait. De toute façon, ce n'était pas comme si je tenais à me faire des souvenirs avec eux. Quand j'ai pu faire le tour des stands, je l'ai fait avec Sachi ou Yuzu. L'une voulait que je me fasse au moins quelques bons souvenirs et l'autre... aussi, mais d'un genre plus charnel. L'idée était tentante mais je n'étais pas particulièrement d'humeur. Et pourtant, elle avait des bons arguments.
Quand le festival s'est terminé, la plupart des troisièmes années allaient se concentrer sur la préparation des concours d'entrée à l'université, tandis que les autres avaient encore un temps de répit avant les examens de fin de trimestre.
Début décembre, Sasaki était venue me voir, alors que Yuna était sorti de la classe, pour me demander si je comptais voir jouer l'équipe pour le tournoi d'hiver. Elle s'était qualifiée au niveau national et à partir des huitièmes de finale, les matchs se dérouleraient à Tokyo, le week-end avant les vacances.
-Je ne pense pas, ai-je répondu.
-Tu sais, ça ferait plaisir aux filles. Et... ça ferait sans doute plaisir à Yuna.
-Yuna et moi, on ne se parle plus depuis un bon moment déjà. Je doute que...
-Je sais que ça ne va pas fort, entre vous. Je sens bien que tu mets de la distance intentionnellement mais ce n'est pas le cas pour elle. Elle...
-Arrête !
-Non, tu vas m'écouter ! Elle souffre de la situation et n'arrive pas à gérer ! Son jeu commence à s'en ressentir !
-Et que veux-tu que j'y fasse ! Lui dire clairement les choses n'arrangera en rien votre situation !
-Non, ça va l'aggraver, sûrement ! Mais au moins, elle pourra penser à autre chose !
-Et elle le fera ! Laisse-lui le temps !
-T'es vraiment un enfoiré, quand tu veux ! Tu te fiches d'elle et de ce qu'elle ressent !
-Je pense à ce qui est le mieux pour elle, maintenant ! De toute façon, le problème ne se posera plus au printemps prochain !
On avait tellement élevé la voix que les autres dans la classe nous ont regardé. Sasaki semblait confuse puis me demanda :
-Qu'est-ce que tu veux dire ?
Je ne l'avais dit à personne. Je ne comptais pas le faire avant le début de l'année prochaine. Au moins, ce serait fait, comme ça.
-Ma mère est mutée à Tokyo, le printemps prochain. Je pars avec elle.
À peine avais-je fini ma phrase qu'un bruit fit sursauter tout le monde, près de la porte. Yuna nous fixait, la bouche à moitié ouverte et les larmes qui lui étaient montés aux yeux.
-Yuna..., fit Sasaki.
J'ai croisé son regard envahis par la tristesse. J'ai eu un pincement au cœur et je crois que mon visage trahissait ma pensée. J'ai alors détourné le regard et l'ai entendu s'enfuir de la classe, Sasaki à sa poursuite.
Oui, c'était mieux ainsi.
J'en étais convaincu.
Je devais m'en convaincre...
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