Sang noir
Le sang se noircit après avoir ôté la vie de quelqu’un.
Depuis la nuit des temps, les meurtriers sont attrapés avec une facilité déconcertante. Un simple test. Une simple prise de sang. Une piqure pour un jugement définitif. Et pourtant…
Quelques semaines auparavant.
On frappe à ma porte. Des coups secs.
La sonnerie retentit. Longuement.
Je m’extrais de ma torpeur. Il est 6h17 du matin. Le lit est grand et froid. Grand car dorénavant je suis seul.
- Qui vient me faire chier de bon matin ? On est dimanche, merde !
Je sors du lit. Vais ouvrir.
Deux policiers à la mine patibulaire et au regard perçant me fixent. Le brun baille aux corneilles. Le roux rumine dans sa barbe mal taillée. Leur main droite sur leur arme, ils m’enjoignent de les suivre sans discuter. J’enfile mon falzar et la première liquette que j’aperçois. Des claquettes dépareillées.
Savent-ils ?
Ils me regardent. Nous discutons. Je dois aller au commissariat pour faire le Crime-Test. Je suis suspecté. Ils continuent à me parler. Du beau temps, du match de football de la veille, du dernier best-seller. Le brun sort une clope. L’allume. Le roux se retourne vers moi et me fait un grand sourire en me demandant ce que j’ai regardé hier soir à la télé.
Ils ne savent pas.
Après quelques minutes de discussions inutiles, nous arrivons au commissariat. Un établissement austère aux murs grisâtres, tagués de jolis noms d’oiseaux. La porte s’ouvre et craque, le sol crisse sous nos pas et moi je grince des dents. Parce qu’après tout j’ai tué ma femme quelques jours plus tôt. J’ai encore en mémoire ses yeux qui s’écarquillent à la pression de mes mains, son regard qui s’éteint alors que je reprends vie. Des années de mariage consommées en quelques secondes. Heureusement que les gosses ne sont déjà plus à la maison. Va falloir que je m’occupe d’eux d’ailleurs.
Les deux policiers me demandent de m’approcher et une infirmière blonde aux seins opulents m’appose un garrot. Elle sort une seringue et prend mon sang, tout en me scrutant de haut en bas. Le résultat est immédiat. Mon sang dans le tube reste rouge. Alors que mon âme est déjà noire comme la nuit.
Ils me présentent leurs excuses et me disent que je peux partir.
De nos jours
Le sang se noircit après avoir ôté la vie de quelqu’un. Le mien restait ambré quoi que je fasse. J’ai massacré mes gosses, mes voisins, des passants et même des fonctionnaires venus me proposer quelques contrats. Et pourtant je suis derrière les barreaux, entre quatre murs, broyant du noir et rougissant les cloisons de mes blanches mains.
Quel con j’ai été !
Je pouvais faire n’importe quoi, n'importe quoi ! Mais PAS À LA VUE DE TOUS.
Quel con je suis !
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